De moins en moins de temps pour des articles complets sur mes spectacles, donc voilà un premier tour d’horizon de mes spectacles de février 2014.
Février a décidément été le mois d’Onéguine. Moi qui m’étais promis de ne pas le voir trop de fois, j’y suis quand même allé quatre fois. Même en connaissant ce ballet par cœur (musique, chorégraphie), les émotions reviennent, bien différentes selon chaque interprète. Paquette a tenté de faire un poète romantique, ce qui ne marchait pas trop à l’acte II. En face, Pagliero avait du mal à se positionner en tant que Tatiana. Un peu hésitant, ils finissent le ballet de façon très propre. Le lendemain, Evan McKie est revenu de Stuttgart au dernier moment pour reprendre Onéguine avec Isabelle Ciaravola. Il est décidément parfait et a réussi à montrer toutes les subtilités du personnage ; elle reste une superbe tragédienne et est sans doute la danseuse qui a le mieux compris Tatiana. Je la retrouve pour sa dernière représentation à l’Opéra, cette fois avec Hervé Moreau. Ce ne fut pas une représentation larmoyante, mais heureuse. Tatiana s’est donnée tout entière à son partenaire, Moreau est décidément un danseur très noble et très dur dans un tel rôle.
Ciaravola est sans doute la plus grande tragédienne de sa génération. Effectivement je ne m’imagine pas trop dans les rôles ultra classiques du répertoire : La Belle, Le Lac, Bayadère ou encore Kitri, car son véritable potentiel aurait sans doute été gâché. Elle le dit elle-même, elle n’était pas une technicienne hors-pair. Ses mouvements reflétaient ses états d’âme. Ses grands rôles sont ceux d’actrices (Marguerite, Tatiana, Manon).
Lors de ces trois dates, Heymann et Giezendanner dansaient le couple secondaire Lenski/Olga. Il était bien heureux de retrouver une série longue sur la scène de Garnier et s’est donc donné à cœur joie dans ce rôle qui mêle joie amoureuse et souci de la mort. Son solo du deuxième acte semblait pousser plus loin celui du deuxième acte de La Belle. Charline a trouvé ici un bon rôle pour s’exprimer, certainement plus valorisant que l’éternelle Fée-Canari de La Belle, sa joie sur scène réussissait sa mission principale : s’opposer à la nostalgie de Tatiana.
Et puis il y a eu une représentation bien différente, la troisième distribution, celle d’Albisson et d’Hoffalt, de Révillion et Barbeau. J’ai vu une toute nouvelle version du ballet, qui m’a (désolé) fait penser à High School Musical, dans le sens où c’était une histoire de lycéens. Je me fiche bien que cela gâche Pouchkine, Cranko ou d’autres, j’ai adoré cette version où les sentiments et les réactions étaient bien plus jeunes. Ainsi quand Onéguine revient, Hoffalt a l’air de se dire ‘j’ai fait une bêtise.’ En osant blâmer Onéguine après le duel, elle devient femme et ce changement est d’autant plus visible avec une aussi jeune danseuse. Je suis réellement content que Révillion ait eu un rôle consistant en plus de sa Pierre Précieuse. Ce danseur appartiendra décidément à la prochaine génération prometteuse. Il m’a convaincu tout à fait en Lensky. Voir la chronique des Balletonautes, avec qui je suis décidément de plus en plus d’accord.
J’ai également pu voir une fois le double programme très intéressant Cullberg/De Mille avec ce que je jugeais être la plus équilibrée des distributions. Pujol était parfaite en Accusée de Fall River Legend, son expressivité, qui en fait parfois un peu trop, est ici tout à fait à sa place. Elle est cinglante et glaciale en meurtrière, mais tout d’un coup plus attendrissante quand elle rencontre Pierre-Arthur Raveau, le jeune pasteur qui cherche l’amour et une âme à sauver. Il est attiré par cette jeune fille si différente. Les scènes de groupe réalisent de bons ensembles. Cette danse qui semble briguer l’héritage expressionniste de Lifar n’est pas tout à fait ma tasse de thé mais se laisse regarder sans trop d’excès.
En face, Abbagnato jouait une Mademoiselle Julie qui reflétait tout à fait ses talents. Elle est la descendante d’une grande famille, le dernier rejeton pourri gâté et mal élevé qui veut un nouveau jouet. Elle fait fuir son fiancé, Yann Saïz, excellent même avec sa moustache et son costume violet, et se cherche un nouveau jouet. Elle regarde alors un de ces domestiques, Jean, qui drague déjà d’autres domestiques. Bullion de la même façon trouve là un rôle taillé pour lui : le domestique distant un peu froid, qui fait le travail et retourne vers autre chose. La scène de la cuisine semble directement venir du Carmen de Roland Petit, Abbagnato debout qui tente de faire craquer Bullion. Sauf qu’ici c’est elle qui souffre. La dernière scène, celle du tableau des ancêtres qui prennent vie pour blâmer l’enfant, prévient déjà l’arrivée d’Ek. Un excellent ballet que je vais sans doute aller revoir.
Pour finir sur le ballet de l’Opéra de Paris, j’ai pu profiter d’une visite de l’Ecole de Danse de Nanterre, berceau actuel de la fameuse Ecole française de danse classique. Il est passionnant de voir les locaux d’où viennent les futures étoiles du Ballet et pouvoir échanger quelques mots avec Elisabeth Platel, directrice du lieu, une femme qui s’est dévouée corps et âme à la tradition française.
En danse, j’ai également pu voir un Don Quichotte au Palais des Congrès, dont j’ai parlé ici, avec Daniil Simkin et Iana Salenko.
Enfin, j’ai assisté à la performance de Noé Soulier au Palais de Tokyo, Mouvement sur Mouvement. Tout en exécutant des pas venus de Forsythe, Soulier nous récitait un texte sur le mouvement, les référentiels, le rapport entre les actes. Une performance courte, intéressante, qui traite de Bausch, Forsythe ou encore Cunningham.
Côté théâtre, je suis allé voir Les Fausses Confidences avec Isabelle Huppert et Louis Garrel et le Roméo et Juliette de Briançon. Je suis également allé au Français voir Le Songe d’une nuit d’été mis en scène par Muriel Mayette, que j’ai vraiment détesté, je ne m’étais pas autant ennuyé depuis longtemps. La traduction était bien plate, les coupures embêtantes, la scénographie en papier et les costumes ne créaient rien qui me paraissait pertinent. Heureusement la performance de Vuillermoz et de ses acolytes a réussi à éviter le naufrage.
Côté opéra, j’ai été plus flemmard, et n’ai pas réussi à voir Butterfly ou Alcina. J’ai néanmoins été voir La Fanciulla del West avec Stemme à Bastille : une mise en scène américaine ultra kitsch, mais qui m’a bien plu. L’œuvre rappelle La Bohème ou malheureusement parfois Il Tabarro. Décidément pas un chef d’œuvre, mais une bonne distraction, et quel plaisir d’entendre Stemme après son Tannhäuser il y a quelques années.
J’ai été conquis par Pelléas et Mélisande, dont ma critique va bientôt arriver. L’Opéra Comique retrouve une des œuvres créées dans sa salle et lui offre une mise en scène sobre qui met en valeur l’œuvre, avec des chanteurs français d’un très haut niveau, sous une belle direction. J’ai maintenant hâte de voir la production Wilson à Bastille la saison prochaine.
Enfin, dans la dernière catégorie, celles des ‘autres’ spectacles, je parlerai tout d’abord de Tabac Rouge de James Thierrée, un spectacle pluridisciplinaire : cirque/acrobatie, musique, et théâtre en tant qu’expression dramatique. En rangeant ce spectacle dans la catégorie de « Théâtre, » le TdV a peut-être mal visé le public. Sans presque aucune parole, je comprends tout à fait la trame de cette histoire. Le dictateur, tel Akel dans Pelléas, va mal, et tout l’univers en souffre. Ces ‘minions’ se contorsionnent de douleur et tentent de le distraire. Il essaie de s’échapper mais l’armée l’en empêche. Une trame presque venue d’Ionesco : absurde, émotion, esthétique. Ce grand final où les parois s’élèvent et se détachent, illuminant alors enfin l’espace, rend une très belle image. Thierrée est exceptionnel dans ce rôle de fou. Chaque geste est détaillé, et c’est bien un ‘choréo-drame.’
Mon meilleur spectacle reste décidément le Kabaret Warszawski de Warlikowski dont j’avais parlé ici.