Je connais peu de chorégraphes aussi hypnotisant que Kylian. Son sens de l'esthétique, de la musique et du mouvement en font une figure incontournable de la scène moderne.
Le programme que le NDT 1 présente à Chaillot commence par la dernière pièce que le chorégraphe tchèque a créée avant de quitter la direction du ballet, Mémoires d'Oubliettes. J'y retrouve surtout cette opposition ombre/lumière, entre les terreurs des donjons enfouis, les phobies et, quelque part dans les mouvements, une envie de s'échapper, de se libérer.
Kylian se révèle maitre du mouvement, capable de soutenir l'instant, entre ces duos expressifs, ses solos angoissants, et cette femme qui devient folle sous son averse de canettes. Au début, de l’ennui, puis une certaine oppression de ces personnages enfermés dans le Tartare, qui perdent peu à peu le désir de se libérer ou d’exister.
Les trois pièces présentées tournent autour de l'idée de l'évasion d'un enfermement réel ou imagé, sans pour autant tomber dans le cliché de l’oppression sociale.
La troisième pièce, Shoot the Moon, est celle qui laisse le spectateur le moins perplexe en proposant d’emblée des repaires fixes. Plus littérale, elle n'en est pas moins prenante. Sol León et Paul Lightfoot, le couple à la tête de la compagnie, ont peut-être opté pour la facilite en choisissant la musique de Glass (le deuxième mouvement du Tirol Concerto pour piano et orchestre) mais celle-ci est diablement efficace. Deux femmes, trois hommes, dans une ambiance à la Katia Kabanova: tout le monde a peur de tromper l'autre, tout le monde s'ennuie dans la routine des appartements.
Les danseurs y sont beaux, expressifs, humains et touchants. Le programme distribuée indique que les néerlandais sont un peu blasés de la compagnie, mais ici à Chaillot ils détonnent et créent l'effervescence dans ce morceau qui n'est pas sans rappeler Ek, une légère dose de désespoir en plus. Le plus impressionnant est sans doute Jorge Nozal dans son solo de désespoir entre ses deux murs, qui a failli me faire pleurer avec une idée très Jeune Homme et la mort.
Entre les deux, Cristal Pite nous livre Solo Echo, une pièce que je verrais bien comme un Dances at a Gathering, sous la neige et le froid (le spectacle de la veille m’était resté en tête). La partie de campagne en est gâchée, mais on tente quand même de s'amuser. Beaucoup de nostalgie, de corps qui s'étirent et de couples qui se tirent (facile). Une musique de Brahms rappelle le contexte nordique, et cette neige qui tombe dans le fond donne des airs de forêt de Casse-Noisette, sans la magie et avec mélancolie.
Rien de tout à fait marquant dans cette pièce, mais de nouveau une grande sensibilité et technique de la part de ces superbes danseurs, indéniablement cadrés par des maîtres de ballet et chorégraphes dynamiques et ingénieux.