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Channel: La Loge d'Aymeric
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Signes[s]

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Opéra Bastille
Carolyn Carlson, Olivier Debré, René Aubry
11 juillet 2013
Emilie Cozette et Hervé Moreau
14 juillet 2013
Discours de Brigitte Lefèvre.
Marseillaise en version enregistrée.
Marie-Agnès Gillot et Stéphane Bullion

[Je vous évite le titre lourd dingue avec un jeu de mots sur le titre (Lac des Signes étant sans doute le meilleur).]

J'avais entendu beaucoup de choses sur Signes, Carolyn Carlson, Olivier Debré et René Aubry sans avoir jamais été en relation avec le travail d'un d'eux. J'avoue avoir donc un peu peur alors que le rideau se lève. Finalement c'est un ballet sans prise de tête, parfois (souvent) drôle et qui nous plonge dans un univers particulier. Un chef d'œuvre certes non, je n'en ressors pas plein de frissons, mais avec un sourire et de bonne humeur.

Les titres des tableaux nous mettraient dans un univers géographique: Loire du Matin, Monts de Giulin, Les Moines de la Baltique, Les Couleurs de Maduraï. Les signes deviennent alors des moyens de passage d'un endroit à l'autre. Mais cela parait presque trop simple. Les noms sont en quelque sorte remaniés, ce ne sont jamais des noms très précis mais ils évoquent des atmosphères plus particulières. Un moment je me sens alors au pays des Merveilles où se balade d'habitude Alice. Des personnages humoristiques se baladant un peu partout, ces jeunes filles assises sur un banc d'herbes qui rappellent les fleurs méchantes avec Alice.

Mais finalement ces jeunes filles en fleurs, c'est Proust, c'est l'inspiration artistique même dont le peintre va se servir pour peindre sa toile, son œuvre. Comme dans Le Chef d'Œuvre Inconnu, le public suit la progression de l'artiste appuyé de sa muse alors qu'il passe d'idée en idée, de rectification en amélioration. Il sort de la réalité et intègre son œuvre. Sa muse qui parait si hors norme dans sa robe jaune devient beaucoup plus simple une fois que le couple a intégré le tableau. Un couple en noir et blanc qui va tenter d'organiser les éléments pour former une œuvre.

Le peintre reste enfermé dans sa bulle, sa Muse elle continue de tourner, comme pour trouver de l'inspiration. Il n'en peut plus et décide de sortir de sa sphère et de commencer à chercher des idées. Arrive alors le corps de ballet, pinceaux, couleurs, idées, mouvements. Ils ne quitteront plus le peintre mais se développeront parfois sans lui, alors qu'il observe son génie se développer comme dans l'avant dernier tableau. Les derniers moments nous remettent dans l'ordre originel, l'artiste a créé ses œuvres, qui ressemblent presque aux premières œuvres de Soulages, et retourne buller, comme pour penser à sa prochaine œuvre.

La musique d'Aubry me rappelle en quelque sorte celle de Reich pour le Rain de Keersmaeker, je ressens à la fois l'eau de l'aquarelle ou l'huile que le peintre agite comme les mouvements parfois répétitifs parfois passionnels ou encore violents de l'artiste. La musique, les tableaux et la danse sont trois mouvements différents qui ne s'accordent pas tout à fait quand l'un d'eux change, accordant ainsi plus de fluidité.

Mes deux spectacles m'ont apporté des interprétations bien différentes mais tout aussi louables. La deuxième distribution avec Gillot était sans doute la prestigieuse dans le sens où la danseuse avait été nommée sur ce rôle qu'elle avait également créé. Bullion a quant à lui repris le rôle de Belarbi (dont vous pourrez apprécier l'interprétation sur You tube sans problème).

Leur partenariat m'a bien donné l'impression d'un échange d'égal à égal. Gillot et Bullion sont d'égale importance et contribuent tous les deux au travail fini et aux échanges avec le corps de ballet. Bullion que je trouve d'habitude bien sérieux et pas toujours très expressif m'a ici étonné. Comme s'il fallait qu'il n'y ait pas d'histoire à raconter pour qu'il nous en raconte une.

Gillot me donne encore cette impression mixte de douceur et de force, elle sait se faire tendre, mais en restant tout à fait expressive et présente.

Chez Cozette/Moreau, c'est bien différent, il est bien plus sérieux, moins enclin à se glisser dans les parties les plus humoristiques du rôle comme le moment du chapeau jaune. Lorsqu'il tournoie avec son grand manteau, il me rappelle un peu son Roméo, mais surtout l'homme en noir, le Degas de La Petite Danseuse, mystérieux, énigmatique, implacable qui regarde son travail se compléter.

En face, la fragile Cozette n'a pas d'autres choix que de s'incliner, elle lui lance même un instant un regard évocateur "est ce que tout va bien?" Il ne semble même pas lui répondre. Elle lui apporte un soutien, elle reste très délicate dans ses gestes, même les plus grossiers. Si c'est sans doute l'interprétation de Gillot que les spécialistes approuvent, j'ai trouvé celle-ci attirante, malgré une absence certaine de fluidité et un stress apparent.

J'ai du mal à identifier les danseurs du corps de ballet dans leurs accoutrements et je ne pourrais pas décerner de palmes spéciales sauf éventuellement à Vincent Cordier jeudi soir qui a servi de très bon second à Moreau.

Les mouvements s'alternent et si la musique peut retourner à des phrases déjà écoutées, on ne s'ennuie pas une seconde avec le corps de ballet. Un tableau comme Les Moines de la Baltique pourrait presque être dansé comme extrait avec ses dix danseurs hommes dans leur grand pantalon et leur rouge violent, presque comme des danseurs de Béjart. Mes deux moments préférés restent Loire du matin et Maduraï.

Le premier comme je le disais plus haut pour ses Proust-eries, le chic de l'homme aux bretelles, gants et chapeau jaunes qui minaude devant les jeunes filles qui lui échappent. Puis s'ensuivent ses mouvements mécaniques ou, tel un automate il tape sur la tête de sa muse qui s'active alors telle une horloge en tournant sur elle même en tenant sa jolie robe jaune.

Maduraï clôt le travail artistique avec ses personnages imagées ornées de leur petites flammes colorées, qui tels des apôtres, répandent la couleur plus que la bonne nouvelle. Ces quatre femmes qui arrivent serrées dans leur fourreau sont ravissantes, à la fois sensuelles, rieuses et maternelles. Il se clôt avec le solo de l'homme en égyptien, à mi chemin entre la tectonique et le moon walk, qui déclenche le dimanche en matinée les rires d'un enfant qui résonnent dans toute la salle. Décidément une bonne oeuvre d'éveil à la danse.


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