Théâtre du Châtelet
9 juillet 2013
A Million Kisses to My Skin David Dawson sur une musique de Bach.
Eventide Helen Pickett sur des musiques de Philipp Glass et Ravi Shankar, Jan Gabarek et Shaukat Hussain.
Windspiele de Patrick de Bana sur une musique de Tchaïkovsky
Vers un Pays Sage de Jean-Christophe Maillot sur une musique de John Adams
Noureev Corporation a bien vendu cette année, le label des vingt ans de décès s'est appliqué à plusieurs représentations partout dans le monde (même, ai-je découvert ensuite, le troisième acte de Raymonda de Covent Garden). Marges optimisées. Mais même en plaçant l'ensemble des Étés de la danse sous le patronage de l'ami Rudy, Manuel Legris a eu l'intelligence de ne pas non plus noyer le public parisien sous d'éternels hommages.
Legris propose donc quatre œuvres qui n'ont jamais été présentées à Paris, à l'image de Noureev invitant Forsythe and co à Garnier. Quatre chorégraphes peu ou jamais vus à Paris obligeant à arriver sans a priori dans la salle. Ca fait du bien !
Dès les premiers instants de A Million Kisses, je me dis que tout le monde ne peut pas faire du Forsythe. Alors certes c'est un peu plus innovant, des danseurs qui s'arrêtent tout d'un coup, qui reprennent ensuite, qui se livrent à des duos seuls dans leur coin. Mais globalement j'ai l'impression que Dawson a réussi à mettre de la poussière sur Forsythe. Un premier mouvement électrique, puis trois couples qui se croisent et se remplacent en toute beauté pour revenir à une ambiance plus énergétique.
Les danseurs viennois sont bien sages, presque timides parfois, sauf peut être Olga Esina la grande gueule et longues jambes que l'on voit à nouveau briller. Legris, comme Maitre Noureev, a ses chouchous et les met en avant. La troupe semble un tantinet stressée, le spectacle commence bien à l'heure et dès le lever de rideau et tant pis pour les replacements; quelques danseurs arrivent trop tôt ou trop tard pour rejoindre leur partenaire, comme Kimoto qui s'amuse à nouveau sur scène avec une dose de retenue que je n’avais pas vu jeudi dernier.
Dans l'ensemble leur travail est propre et attentionné mais j'y sens moins de passion que dans l'œuvre suivante Eventide. J'ai eu très peur au début, rien n'avançait, tout semblait bien lent, jusqu'à ce que je comprenne mieux que l'ambiance était celle d'une fin de journée quelque part entre Venise, Chypre et l'Orient, lampes en verre de Murano à l'appui comme décoration.
Une sorte de bal assez lent, le corps de ballet passe de temps en temps, sort suffisamment des coulisses pour nous rappeler que les trois couples principaux ne sont pas seuls au monde. Puis le soleil se couche (et le rideau de fond avec) et nous sombrons dans une ambiance tout à fait différente, comme si la nuit avait le même effet que dans Twilight.
L'ambiance se tourne peu à peu vers Carmen avec des femmes plutôt dominantes. À l'inverse d'Odile qui a le même tutu que le reste du corps de ballet (les diamants en plus) alors que Siegfried se permet des excentricités vestimentaires, ici ce sont les solistes hommes qui ont exactement les mêmes justaucorps que les femmes. Ce n'est pas très flatteur (pour ne pas dire moche), mais met encore plus en avant les solistes femmes avec leur habit qui revêt lors des pirouettes, astucieux effet d’optique à l’appui, la forme d’un tutu.
Les femmes renvoient peu à peu leurs hommes, les remplacent, les mettent à terre, s'imposent décidément. Le dernier mouvement semble les réunir finalement, comme au climax de la nuit sous les reflets de la lune qu'un grand cadre lumineux nous offre en décor.
À la mi-temps je reste donc satisfait et j'ai hâte de découvrir en deuxième partie de match les seuls noms du programme à me dire vaguement quelque chose: Bana et Maillot. Et bien je suis maintenant fixé.
Je ne vais pas m'étendre longuement sur l'affreux morceau de Bana, Windspiele. Une musique trop connue et qui me parait bien peu dansable, le concerto pour Violon de Piotr Illitch. Un super nom pour les costumes (rappelez-vous les Enfants du Paradis!), Letestu a pondu des espèces de longs tutus en papier froissé et des longs pantalons arts martiaux asiatiques.
J'y ai vu, euh, pas grand chose, et je me suis franchement bien ennuyé. Le soliste semble aux anges en dansant ce rôle étrange qui me rappelle un Rocky Balboa en conflit interne et qui a sans doute oublié qu'il y avait de la musique derrière lui. Il y avait peut être une volonté narrative, que je n'ai pas du tout saisie en tout cas. Passons. Je découvre au moins Kirill Kourlaev, un soliste en grande forme technique et qui apporte un peu de testostérone dans ces pièces qui font dans l’ensemble la part belle aux femmes.
Bana, out, passons donc à Maillot, qui est une jolie découverte et laisse des traces intéressantes. Je ne suis pas fan de toute l'œuvre, parfois trop gymnastiques ou patinoire (la jolie Olga en fait d'ailleurs les frais en s'écroulant à terre avant de s'enfuir dans les coulisses), mais je reste avec cette jolie image des corps de ballets hommes et femmes qui, sur un fond jaune fluo, semblent s'ignorer puis se retrouver alors que le reste de l'œuvre n'est faite que de retrouvailles entre danseurs, d'échanges et de départs attristés.
Ce n'est pas Denys que nous voyons le plus mais Roman Lazik, qui me conforte dans l'idée que, homme comme femme, la compagnie dispose d'atouts majeurs. Je suis frappé de leur joie de vivre et de danser (même du Bana, oui oui), ils se regardent et se sourient en dansant. Ce n'est pas un regard froid vers le public mais bien envers chacun, pour vérifier que tout se passe bien. Une complicité qui permet de donner de la vie à un ballet et rendre attirant un programme qui ne vendait pas beaucoup de rêve initialement.