Du peu de concerts que je suis allé voir, je cherchais quelque chose à regarder. Tout aussi belle que fut la musique, voir les musiciens travailler leurs instruments, le chef d'orchestre s'acharner ou le public s'agiter ne me suffisait pas, ou alors j'y décelais une forme de chorégraphie (des cygnes par exemple). En bref, il fallait quelque chose qui occupe mon espace visuel, l'auditif étant déjà occupé. Lang Lang semblerait répondre directement à ce problème avec son Dance Project, une compagnie de danse et un musicien de renommée, ce qui devrait théoriquement permettre une balance stable.
Éternel problème du lien entre musique et danse, laquelle doit primer? À l'exception des ballets orchestrés par Tchaikovsky ou Glazounov, la plupart des ballets classiques nous ennuient à force de Delibes et autres Minkus et n'attirent pas de grands noms de musiciens. La musique y est faite à la demande du ballet. À l'inverse, Lang Lang s'inscrit avec son projet dans une lignée déjà bien établie, la musique vient, puis les danseurs. Neumeier y avait pensé avec ses Symphonies de Mahler, Robbins avec Chopin, déjà.
À l'inverse de ces deux grands chorégraphes, l'équipe de Lang Lang n'a pas choisi de trouver un équilibre entre danse et musique. La musique prime, et la danse l'accompagne. Nous sommes donc arrivés à l'opposée de Bayadère. Ici le nom qui nous attire n'est pas celui du chorégraphe () mais du musicien. La balance penche.
Si les concertophiles ont apparemment passé un agréable moment avec le prodige chinois (ma voisine annonçant à son autre voisin qu'elle a pleuré pour la première fois devant de la musique ce soir-là), quel bilan en tirer pour un balletomane?
Les habitudes du concert priment sur le ballet, on applaudit à l'arrivée, mais uniquement le pianiste, pas les danseurs pourtant déjà en place. Nous aurons droit à un bis final, mais sans danseur. Les interprètes iront de temps en temps s'accouder au piano laqué, attendant le moment de retourner danser. La balance penche encore plus, c'est Lang Lang qui mène la danse.
La musique, nous la connaissons bien, et après une orgie de Dame aux Camélias à Garnier et une dégustation de Robbins il y a deux ans, je finis par voir des Marguerite et des hommes en bruns à chaque Nocturne. Toutefois je suis resté plus ouvert que lors du Boléro de Cherkaoui et j'ai pu détacher la musique des autres chorégraphies. Chopin me plait toujours autant, je regrette juste de ne pas encore m'émerveiller totalement devant la performance du pianiste.
Arrivons donc à l'épine, les danseurs. Je ne devrais sans doute pas parler de chorégraphies, le mot (me) désignant un ensemble construit d'une façon linéaire ou autre. Ici, je fais une indigestion de belles choses: de beaux mouvements, de beaux portés, de beaux échanges, de belles positions, de beaux danseurs. Mais rien de cohérent, rien n'est relié. Les danseurs illustrent effectivement la musique, comme le souhaitait Lang Lang, mais cela devient ennuyant pour qui n'est pas porté suffisamment sur la danse en général. Ils réagissent à la musique plus qu'ils ne s'expriment. J'assiste totalement passivement à ce spectacle, sans émotion particulière, sauf éventuellement la satisfaction de voir de jolis mouvements.
Finalement, pour continuer dans le vocabulaire comestible, j'avais devant moi un de ces gros gâteaux américains, c'est gros et plein de couleurs chimiques, mais au bout de quelques instants, on n'en veut plus. La compagnie se défend car elle est belle. Les danseuses sont grandes, jolies, souriantes, mais très lisses, alternant entre un début de lyrisme et la froideur. Les danseurs changent de l'Opéra, ils sont grands, poilus et massifs, notamment leurs jambes! Tout y est très bien fait, mais sans progression, tout a le même goût. Le spectaculaire comme le lyrique, tout est traité de la même façon. En revenant après l'entracte, je me demande pourquoi je suis revenu, vais je voir des choses nouvelles? Et non.