Quantcast
Viewing all articles
Browse latest Browse all 173

Written on Skin

Opéra Comique

19 novembre 2013

Direction musicale : George Benjamin ; The Protector : Christopher Purves ; Agnès : Barbara Hannigan ; The Boy : Iestyn Davies.

 

 

Un opéra au XXIème siècle qui ne fait pas peur et n’est pas incompréhensible, c’est possible. Written on skin est une œuvre qui n’effraie pas, qui est musicalement et dramatiquement accessible et qui finalement est même superbe, s’inscrivant dans l’évolution de l’opéra plutôt qu’en essayant d’être une rupture. J’y étais le dernier soir de la tournée parisienne, qui clôt une tournée de quinze mois depuis la création à Aix.

 

George Benjamin et son acolyte Martin Crimp ont respecté l’existence d’une dramaturgie lisible et claire en allant chercher une histoire, basée sur des faits historiques, qui nous parait aujourd’hui la plus archaïque possible et qui ne date pourtant que du XIIIème siècle. Un chevalier-troubadour arrive au château et entame une liaison amoureuse avec la dame du lieu. Son seigneur de mari l’apprend, tue de sang-froid l’amant et sert son cœur à sa femme qui se jettera du haut d’une tour avant que son mari ne réussisse à la tuer. Le roi d’Aragon punira son vassal en l’emprisonnant à vie et enterrera les deux amants ensemble.

 

Le troubadour n’en est ici plus un mais est transformé en enlumineur. Les créateurs voulaient distinguer le personnage, et le faire chanter (dans un opéra) n’était pas la meilleure solution. Ils font finalement un choix que Carsen avait déjà fait en mettant en scène Tannhäuser : le personnage éponyme était devenu un peintre. Ce changement permet de donner une toute autre forme à l’œuvre, que je trouve esthétiquement intelligent. La scène est découpée, comme différentes salles d’une maison. On voit les personnages des ‘anges’ ouvrir un livre, et ils donnent vie à une histoire qui s’est déroulée 800 ans avant notre époque. Chaque scène est donc un tableau que les anges confectionnent d’eux-mêmes lors des intermèdes musicaux : disposition des éléments décoratifs et même des personnages qu’ils portent, placent ou retirent du cadre principal. Pendant que l’action se déroule dans le cadre inférieur droit, les anges s’affairent dans les autres morceaux du cadre, tels des agents du NCIS, observant les pages du livre avec des yeux et des mains de scientifique.

 

L’opéra nous a ouvert une livre, qui nous raconte son histoire. Dans ce cadre, la lumière y est particulièrement bien arrangée, elle donne à la scène un aspect doré qui confère tout de suite l’aspect d’une enluminure médiévale. Les personnages n’y vivent pas mais nous raconte leur histoire. Ainsi quand Agnès, la femme, parle, elle finit ses phrases par ‘says Agnes.’ Presqu’aucun des personnages ne s’étonnent, ils semblent vivre leur histoire à l’infini, réellement comme des personnages de tableaux. L’opéra commence comme les thèmes des Très riches heures du duc de Berry, tout y est parfaitement réglé. Le Protecteur (l’homme de l’histoire) se félicite de sa richesse, de sa domination sur tout, y compris sur tout le corps de sa femme, qui reste silencieuse en retrait. Les étoiles et les saisons rythment la vie de chacun. Puis arrive le Garçon, élément perturbateur dès le début, c’est un contre-ténor, et c’est un artiste. L’ordre commence déjà à être chamboulé.

 

Le Garçon est celui qui écrit sur la peau. Littéralement d’abord puisque les enlumineurs travaillaient sur de la peau de bête. Mais c’est lui qui façonne la femme et qui, tel Pygmalion, lui donne vie en lui révélant son corps et ses sens, en modelant son corps. Progressivement la femme commencera à prendre son indépendance, on ne l’entend chanter qu’après l’arrivée du Garçon, puis elle commence à prendre elle-même des décisions, à demander d’elle-même à son mari de lui faire l’amour : elle devient un individu.

 

Lui ne comprend pas tous ses dérèglements, ne comprend pas que ses paysans s’insurgent. Il répond, archaïquement, par la violence et les champs brûlent et les gibiers de potence s’alignent au loin. On ne voit pas tout ça mais on nous l’apprend, comme une illustration. Et ce bouleversement, c’est l’arrivée du savoir, de la connaissance, qui vient des livres. C’est ainsi l’apparition d’un monde ou chacun revendique son droit d’exister, par l’accès à la connaissance et à l’amour, et de dépasser le simple état de soumission au ‘Protecteur,’ qui est un terme finalement presque Orwellien. Agnès, qui nous révèle son nom lors de son chemin vers sa recherche de soi, est donc une martyre dans cette évolution. Le Garçon lui apparait comme un ange, si on lui ôte son cœur, il retourne vers les autres anges, observateurs de l’histoire, et c’est lui qui nous contera la fin de l’histoire. Cet opéra m’a donc paru être un mythe fondateur, une fable qui annonce le passage d’un monde primitif à notre ère moderne, sur fond d’instances religieuses du Moyen-âge, comme l’apparition du sacrement du mariage, et en raisonnance directe avec la Genèse. Mais pourtant j’ai eu un sentiment de découverte totale, devant l’histoire et la beauté de la mise en scène.

 

Parlons maintenant musique et chants ! A nouveau, une simplicité éclatante. Pas de lignes brisées, tout s’accompagne, pour pouvoir suivre et entendre les chanteurs. Selon Hugo, ca ressemblerait à du Britten, je vais me lancer dedans alors ! La musique reste suffisamment douce, bien réglé au début alors que toute la vie est bien calibrée. Ensuite, au fur et à mesure que la femme prend conscience, on gagne des tonalités forte. Je connaissais Barbara Hannigan de nom, mais ne l’avais vue, ce qui est un tort, car elle est belle et en plus a une voix sensible et un vrai caractère. Elle est accompagnée de deux chanteurs qui ne déméritent pas à commencer par Christopher Purves, un baryton sorti de cet état primitif qui nous glace sur place avec son manque de compassion. En face, c’est tout autre chose avec la tendresse presque fatale du contre-ténor Iestyn Davies. Il chante finalement peu j’ai l’impression mais sa voix est bien différente de celles des autres contre-ténors que j’ai pu entendre, languissante, cassante parfois.

 

J’ai passé un très bon moment, ma place de dernière catégorie s’est finalement révélée être une bonne surprise, je n’avais qu’un léger angle mort. 1h30 de spectacle, une légère longueur au premier acte, mais un spectacle qui tient tout à fait la route !


Viewing all articles
Browse latest Browse all 173

Trending Articles