11 janvier 2013
Théâtre du Châtelet
Philip Glass, Robert Wilson, Lucinda Childs, Christopher Knowles, Samuel M Johnson
The Lucinda Childs Dance Company ; The Philip Glass Ensemble sous la direction de Michael Riesman
Je ne connaissais rien de cet œuvre pourtant bien atypique mais sa nouvelle tournée avait été triomphalement annoncée depuis des mois, comme quoi une bonne campagne de communication permet de transformer un spectacle en must de la saison. Et il faut avouer que je suis rentré au Châtelet avec beaucoup d'excitation, en partie à cause du format: 4h30 de spectacle, sans entractes, comment tenir ? Le spectacle commence réellement dès 18h, avec l'arrivée des chœurs. Soit le même emplacement sans bouger de 18h à 23h. Effectivement la production nous indique que le public est libre de sortir et entrer de la salle au cours du spectacle (en précisant que les autres spectateurs ne peuvent pas prendre les places libres), mais en étant placé en plein milieu d’une rangée, ca semble difficile.
Et donc? Un bon spectacle qui passe effectivement vite, les 5h ne se font presque pas sentir. Un spectacle qui n'est pas tout à fait un opéra mais plutôt une œuvre d'art totale, mélangeant musique, texte, chant et danse.
J'y ai retrouvé l'esthétique wilsonnienne que j'avais pu voir dans son Old Woman et que j'espère pouvoir voir dans le Pelléas qu'il a fait pour l'Opéra. Ses lignes géométriques (mobiliers, éléments de décors, ...) illuminées par des lumières finement choisies et du maquillage si typique créent des tableaux saisissants qui n'ont pas vieilli en quarante ans.
L'œuvre va de l'invention du train, révolution du XIXe siècle, à la bombe atomique, révolution du XXe siècle. Pas de narration, mais une série de tableaux séparés par des entractes-knee plays. Je vous avoue ne pas avoir tout compris, mais on se laisse saisir et porter par les tableaux de toute façon.
Ce que j'en ai tiré, si ce ne sont les thèmes évoqués dans le programme sur la solitude, l'oppression de la société et j'en passe, c'est surtout la décomposition de la matière. Le tableau de la bombe atomique nous démontre comment l'outil nucléaire a pu décomposer la molécule. Ce qui intéressait Einstein n'était pas l'explosion ou la destruction, mais plus la capacité d'étudier et de séparer l'atome.
Ici, l'œuvre nous propose une décomposition musicale, textuelle et corporelle. La citation de Wilson sur Balanchine tirée du programme illustre plutôt bien le propos :
"Une des choses qui me fascine chez Balanchine, c’est que vous regardez dix-sept femmes alignés faisant à vos yeu le même pas. Mais non. Si vous les observez longtemps et d’assez près, vous vous apercevez que chacune est en léger décalage"
En regardant la première scène, du train, comme je l'ai fait, c'est à dire de façon artificielle, je ne comprends pas, pourquoi refont-ils les mêmes gestes? La même musique? Les mêmes textes ? Puis je me rappelle The Old Woman, ses répétitions qui paraissaient finalement si fines. Et là le texte répétés à l'infini, les gestes de la femme qui traversent de façon identique la scène en diagonale, la musique et les chants, tout s'explique. Le duo Glass/Wilson nous décompose chacune de ses composantes, pour arriver à leur essence même.
La scène la plus frappante reste sans doute celle du train numéro 2. Nous voyons l'arrière d'un wagon, où un couple chante des notes musicales Fa Si La Mi, pour nous conter une histoire. J'y vois un exemple d'opéra, un patchwork que les compositeurs classiques ont réutilisés. Le couple sort du wagon, continue à chanter, le stress monte, puis chacun rentre et la femme finit par abattre l'homme d'un coup de pistolet. C'est la seule scène où il y a réellement une volonté narrative, et sans doute celle qui reste le plus dans les esprits à la fin du spectacle, sans doute par ce qu’on entend, ces répétitions de notes de musique, qui font écho à celles des numéros de 1 à 8 qui reviennent
En ce qui concerne la danse, je dirai qu'elle a du mal à s'insérer au reste de l'œuvre. Si la continuité n'est pas évidente entre les différents actes, les changements restent encore moins naturels entre les scènes dansées et le reste. Les chorégraphies comme le reste, reviennent à l'essence de la danse, on sent ici une influence de Balanchine et des modernes, mais aussi de Cunnigham (en respectant néanmoins la musique), les danseurs traversent l'espace et se croisent sur une musique aussi saisissante que le reste de la partition.
Cette œuvre géante est presque aussi écrasante qu'un Ring. Elle finit par une scène plus intimiste qui se recentre sur l'humain, avec un joli texte sur l'amour, raconté par un chauffeur de bus à la grosse voix. On en sort apaisé, avec des chiffres et des notes de musique dans la tête.