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Troisième symphonie de Mahler, John Neumeier

9 avril 2013

Opéra Bastille

Direction musicale : Simon Hewett ; Karl Paquette, Isabelle Ciaravola, Eleonora Abbagnato, Stéphane Bullion, Florian Magnenet, Mathias Heymann, Alessio Carbone, Christophe Duquenne, Nolwenn Daniel, Mélanie Hurel, Laura Hecquet

 

Œuvre tout aussi titanesque pour le compositeur que pour le chorégraphe, la soirée que nous propose l’Opéra de Paris est une surprise comme je n’en avais pas eues depuis longtemps dans les murs de Garnier ou Bastille. Esthétisme, puissance et lyrisme sont sans doute les maîtres-mots (qui peuvent sans doute s’appliquer à beaucoup d’autres œuvres, soit).

 

Tout a commencé quand, en 1974, Neumeier a souhaité créer un hommage à John Cranko, son maître qui avait dirigé le ballet de Stuttgart. Il chorégraphie alors le quatrième mouvement de la troisième symphonie de Mahler, compositeur qu’il ne cessera de revisiter, autant pour ses symphonies que pour d’autres œuvres musicales. Il crée ensuite le reste des mouvements pour finir par dompter la partition.

 

La dompter finalement peut-être pas mais l’accompagner par une chorégraphie de toute beauté. Que ce soit Karl Paquette lors de la première ou encore Mathieu Ganio lors de la répétition, ce ballet nous montre un homme qui évolue dans le monde, après le réveil, la guerre, puis les femmes et enfin l’amour, mais passager. Pour Ganio, qui fait toujours jeune, c’est une vraie éducation sentimentale que nous voyons sur scène. Pour Paquette, c’est plus compliqué, on dirait que l’homme nait déjà plus mûr, mais il garde lui aussi un semblant d’innocence (sans doute également du au retour de ses cheveux blonds après la teinture de Carmen !).

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Alors que la musique commence, des figures inanimées commencent soudainement à se réveiller, pour l’instant uniquement des tas d’hommes (torses nus, les demoiselles balletomanes ont pour une fois plus regardé le haut du corps) en collants blancs symbolisent la naissance ou le réveil de la nature. Combien sont-ils ? Ils pourraient bien être des centaines. Du mouvement, des gestes coupés qui pourraient rappeler la gymnastique forsyth-ienne, des corps qui s’élancent à la Béjart, faisant apparaitre soudainement au milieu de ces hommes un homme presque divinisé. Le monde s’organise. Puis notre personnage central, témoin de la scène voit avancer vers lui la Guerre, représentée par des hommes aux collants foncés qui s’alignent, rappelant tristement une parade militaire des années 30. Le jeune homme s’est échappé, tout lyrisme est interdit.

 

Pas tout à fait, le lyrisme de la guerre existe, comme nous rappelant la divine Pallas, guerre certes, mais belle et intelligente également. Tout reposerait finalement dans le contrepoids. Apparait alors Mathias Heymann. Depuis que je tiens ce blog, il n’est pas apparu, le pauvre étant blessé depuis bien longtemps. Il a signé son grand retour, en larmes sur scène, lors de l’hommage à Noureev dans la variation de Manfred (que je devrais voir en juin). Et là ce soir, depuis mon premier rang, je le sens, je le touche presque, il est beau, il danse, il s’arrête, semble reprendre son souffle, s’étonner de ce qu’il vient de faire. Comme si c’était réellement Mathias et non pas son rôle qui le lui obligeait. Un superbe moment de danse qui m’a bien fait frissonner ! Welcome back, et je l’espère pour longtemps.

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Alors que le groupe de soldats tente de s’imposer au jeune homme, il tente dans un dernier effort d’héroïsme de les repousser, mais ils finissent par s’affaler sur lui.  Il a peur, je l'entend respirer et suer. Puis tous le quittent.

 

La séquence qui suit est bien plus balanchine-ienne, avec un corps de femmes uniformes à travers lesquelles évoluent des couples. Cette séquence est l’été. Notre jeune ami s’allonge, pour respirer après toute la violence qui a précédé. Les jeunes femmes se mettent en place, tout en jaune, comme un champ de blé (j'évite une nouvelle prousterie sur les fleurs) qui dore au soleil, appelant les amoureux à s’y prélasser. Et ils s’y pressent. Comme dans In the Night de Robbins, j’ai de nouveau l’impression de voir plusieurs visions du couple se succéder. L’amour la plus passionnelle avec Duquenne et Daniel, suivi d’un amour plus tendre avec Hurel et Carbonne. Des deux femmes, je remarque bien plus Nolwenn Daniel qui a l’air très à l’air dans ce genre de répertoire, comme j’avais pu le voir aussi lors de la présentation. La musique y est douce, comme un songe sur un lac italien…

 

Soudainement le soleil semble tomber, l’automne arrive, les blés sont fauchés et c’est un temps où la chaleur se calme, permettant de nouveau aux danseurs de s’exprimer. Etonnante d’ailleurs cette soudaine évocation du Sud et du soleil et chez Mahler et chez Neumeier.

 

Dans l’épisode suivant, les couples sont plus nombreux, plus attirants, à commencer évidemment par de délicieuses sujets très mignonnes. Si Mathilde Froustey accompagnée de Lorieux et Giezendanner m’a bien plus, Charlotte Ranson avec Fabien Réveillon semble un couple ravi et confident. Mais c’est bien Vincent Cordier et Aurélia Bellet qui m’ont le plus marqué dans tous ces petits couples. Sinon le plus important des couples de solistes est bel et bien Hecquet-Magnenet, rempli d’un lyrisme peut-être un peu trop aéré par moment mais les gestes, les pauses et les intentions sont justes. Alors que Froustey attire Paquette du regard et qu’ils restent immobilisés tous deux alors que Hecquet et Magnenet dansent, je préfère imaginer ce qui se passe entre les deux danseurs statiques qui se fixent du regard.

 

Paquette semble y découvrir un nouveau type de relations, les femmes qui dansent avec lui changent, les couples alternent, il ne s’y retrouve plus dans ce mélange. Alors qu’il danse avec Froustey, en parallèle Magnenet et Hecquet dansent de bleu vêtus, comme s’ils reflétaient les esprits des deux premiers. Si Froustey s’éloigne, Hecquet en fait de même. Tout d’un coup Florian s’approche de Karl, l’esprit se referme sur son corps, puis retourne vers Laura pour l’enlacer, mais c’est le moment que choisit Mathilde pour partir. Magnenet quitte le plateau. Karl n’a plus qu’à quitter le plateau portant Hecquet, seule souvenir de ce moment partagé avec une délicieuse femme.

 

Laissons Mahler pour un mouvement, ou plutôt cachons le quelques instants pour commencer le plus beau moment de ce spectacle. C’est le quatrième mouvement qui inspira à Neumeier l’hommage à son maître Cranko. Mais étonnamment cette chorégraphie commence par un long silence. Ici, rien du silence pesant qui m’oppresse parfois lors de spectacles silencieux. Paquette surgit, avec son doublé de l’âme, ici Stéphane Bullion. Il aperçoit au loin une femme qui danse. Et quelle femme cette Abbagnato. Il a peur en la voyant. Il n’ose pas l’approcher, mais son âme l’aide, l’accompagne, danse même seul avec elle pour la séduire. Mais nous sommes ici plus loin du simple jeu de la séduction, c’est l’apparition et la découverte de l’amour. Les corps se portent, se mélangent, dans un silence sacré d’où monte soudainement ce qui apparait comme un long murmure, la seule partie chantée de la symphonie. De la danse lente, mais d’un lyrisme et d’une blancheur qui font frissonner, un peu comme les anges-cosmonautes de Trisha Brown.

 

Puis les chœurs d’enfant commencent, et c’est l’apparition de l’Ange, mais ici bien différemment de ceux qu’ont a pu voir avant. Elle pose un pied devant l’autre, comme un enfant qui s’amuse à marcher comme un funambule. Si Laetitia Pujol vue en répétition a bel et bience côté enfantin, Isabelle Ciaravola garde pour elle ce côté mystérieux mais souriant, allié à une technique à pâlir, les six o’clock s’enchainent, avec une véritable facilité d’enfant. Mais pour une fois, c’est l’homme qui vient la voir, même si elle semble intéressée quand même. Elle représente, à l’inverse d’Abbagnato, la femme humaine, joyeuse et tendre.

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Mais ce mouvement sert d’ouverture au dernier mouvement. L’homme retrouve un instant l’ange, mais ils sont noyés par l’arrivée de tous les autres couples, menés notamment par Magnenet, Heymann et Carbone. Les femmes sont toutes portées, les couples évoluent sur scène. Et au milieu, le jeune homme semble perdu mais plus adulte soudainement. Mais alors qu’il se retrouve de nouveau seul et qu’il avance d’un pas, pour une fois, décidé, on sent qu’il renoncerait presque à l’amour. Mais sous les dernières notes, Ciaravola traverse soudainement toute l’avant scène d’un pas si noble, et au fond de la salle, Paquette se retourne comme pour admirer celle dont il se souviendra toujours.

 

Je ne m’attarde pas sur la musique, pour ceux qui ne la connaissaient pas, c’est une erreur terrible car cette partition est un véritable chef d’œuvre, une œuvre symphonique monumentale mais qui reste cependant si touchante. La direction de Hewett m’a bien plu et j’en ai pris plein les oreilles tant pour la musique que pour les voix.

 

Ce que je garde le plus de cette soirée restent les tableaux où le corps de ballet est à chaque fois vêtu d’une même couleur : blanc, vert ou encore pourpre. ces tableaux sont d'un esthétisme éblouissant. Le corps de ballet sait s’accrocher à ses traditions bien carrées où les lignes sont bien droites, mais qui se plait tout à fait dans une écriture chorégraphique moderne.

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Les différentes interviews de Lissner et Millepied montrent des intérêts conjoints pour une collaboration entre musique, chant et danse. La symphonie de Mahler conjugue tout autant ces paramètres qu’une œuvre aussi importante qu’Orphée et Eurydice de Bausch. Nous pouvons donc espérer de nouveaux coups de maître par la suite !


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