Théâtre de l'Odéon
7 avril 2013
Mise en scène: Peter Stein; Pionceux: Jean-Damien Barbin; Mme Bartavelle: Rosa Bursztein; M. Bartavelle: Julien Campani; Martinez: Pedro Casablanc; Loïsa: Christine Citti; Groosback: Manon Combes; Le Docteur: Dimitri Radochevitch; Agénor Montgommier: Laurent Stocker; M. Martin: Jacques Weber.
Dans l'Allégorie du Temps de Titian sont représentés les âges de la vie: la jeunesse, la maturité, la vieillesse. Trois moments que vivront chacun de nous, avec ses caractéristiques de comportement, habitudes, forces et faiblesses. Dans Le Prix Martin, un Labiche en fin de vie (c'est une de ses trois dernières pièces) et qui est passé successivement par ces différentes étapes nous les exposent sur scène, chacune représentée par une ou plusieurs personnes.
Le jeune couple fraichement marié qui doit aligner les visites de courtoisie avant de pouvoir enfin partir en lune de miel. Dans le cahier de voyage, pas d'impressions des différents lieux mais des hôtels, des lits, des souvenirs des chambres. Pendant toute la pièce, on entend les gémissements érotiques des deux jeunes personnes qui font parfois des interruptions bien pressées d'aller dans leur chambre, ou alors peu vêtues. Enfin si, mais beaucoup moins que la moyenne en cette fin de XIXe, restons pudiques. Le couple Bartavelle est donc la jeunesse même, la soif et la découverte sexuelle, qui semble rappeler à tous les autres personnages un passé bien lointain.
En avançant dans le temps, un vieux couple d'amants qui ne fonctionne plus: Mme Martin et Montgommier, ils se sont aimés, elle voyait en lui le grand héros, le grand poète. Elle espère encore. Leur système de message m'impressionne bien: il trace des traits horizontaux ou verticaux à la craie sur le dos du mari cocu pour indiquer s'il viendra ou non. Et les traits horizontaux se font bien rare. C'est une nouvelle Bovary, qui ne supporte pas son lâche et gros mari qui ne sait que boire de la bière et jouer aux cartes. Elle cherche encore, malgré son âge, une nouvelle aventure. Elle le trouvera dans l'exotique Martinez, qui n'hésite pas à faire irruption dans sa chambre, à s'afficher torse nu pour révéler un affreux tatouage d'aigle.
Montgommier a fini par ne plus aimer sa maîtresse et est ironiquement devenu très ami avec le mari cocu. Dernier âge de la vie, l'amitié prime avant tout. M. Martin essaie de tuer son rival, par poison ou en le poussant dans une crevasse, mais jamais il ne pourra s'y résoudre. Quand il doit punir son ami (pour créer un Prix Martin pour les valeurs de la famille), cela lui déchire le coeur et il tente d'adoucir la peine au maximum. Après s'etre echangés des cadeaux bien ridicules (un rond de serviette où est gravé Amitié et une tabatière en argent que Montgommier chérira), les deux amis finiront la pièce comme ils l'ont commencé, en jouant au bésigue, bien tranquillement.
Et finalement c'est ce qui est le plus intéressant dans ce Labiche, ce qui ressemblerait à de la nostalgie. À l'inverse d'un Fil à la Patte ou d'un Chapeau de Paille, on est bien loin de la grosse farce où le délire est permanent. Ici certaines caractéristiques du vaudeville, avec des "ciel mon mari", un cousin d'Amérique, de riches bourgeois et un voyage en Suisse (comme dans Perrichon), mais surtout une belle leçon sur l'amitié. Selon Jourdheuil, le conseiller en dramaturgie de la pièce, ceci aurait un rapport avec la mort d'un bon ami de Labiche quelques temps avant l'écriture de la pièce, et qui s'appelait Martin justement. Si on s'amuse bien devant cette pièce, on en ressort donc autre chose également.
Le personnage de Pionceux, frère de lait et domestique de M. Martin, qui se permet de nombreuses libertés avec son maître, rappelle les personnages de Sganarelle dans Molière. Il se permet d'initier les jeunes servantes (une suissesse dans ce cas) à l'amour. Il demande à son maitre de ne pas grossir car les vêtements qu'il lui prend après sont trop grand pour lui. La touche comique parfaite dans ce domestique qui est uniquement là pour ses petites remarques en aparté.
La troupe est bonne, je ne reconnais pas Laurent Stocker en Montgommier, entre ces cheveux violets et sa moustache, j'ai l'impression qu'il a tout d'un coup bien vieilli! Il forme un couple de Laurel et Hardy avec le très humain Jacques Weber, que je suis content de pouvoir voir sur scène. Christine Citti nous fait bien la bourgeoise vaguement romantique, qui menace même de se suicider pour un amant avant de tomber dans les bras d'un autre et de s'exiler comme courtisane du roi des Chichimèques en Amérique du Sud. Il faut bien que Labiche soit égal à lui même.
Le décor du fond en photographie nous montre bien que nous sommes à l'époque du développement de cette technique. Les portes, omniprésentes dans la mise en scène, rappellent les vieux vaudevilles où les amants se cachent dans les placards. Labiche semble bien nous indiquer qu'une époque est finie. Entre les pièces citées précédemment et celle-ci, le second Empire est tombé, la période de faste est passée. Labiche et ses personnages ont vieilli, ont acquis de la maturité, mais on n'hésite à relancer une sympathique comédie avec les ingrédients et la maturité que l'on a, en prenant un peu de recul sur le passé.