3 avril 2013
Opéra Comique
Direction musicale : Leonardo Garcia Alarcon et Cappella Mediterranea ; Noé : Fernando Guimaraes ; Rad : Mariana Flores ; Justice divine : Evelyn
Ramirez ; La Mort : Fabian Schofrin ; L’Eau : Magali Arnault Stanczak ; L’Air et la Nature Humaine : Caroline Weynants ; Le Feu : Thibault Lenaerts ;
La Terre : Sergio Ladu ; Dieu : Matteo Bellotto ; Percussions : Keyvan Chemirani
Finalement les meilleurs concerts sont ceux où on arrive sans rien connaitre. Et c’est souvent le cas pour le répertoire baroque, revenu à la mode alors que je commençais à fréquenter les salles de musique. C’est devenu la passion de certains musicologues ou musiciens de retrouver des vieilles partitions égarées par le temps et les goûts des spectateurs. Dans cet esprit là, j’avais eu la chance de voir le superbe Artaserse au Théâtre des Champs. Cette fois, avec le soutien d’Esprit Musique, outil du mécénat de la Caisse d’Epargne, qui m’invite, le chef argentin Leonardo Garcia Alarcon a pu recréer un dialogue à cinq voix et cinq instruments (non non ce n’est pas un oratorio) : Il Diluvio Universale, de Falvetti.
Cela fait dix huit mois que la même équipe travaille ensemble : direction, solistes, chœurs et orchestre. On peut percevoir une grande complicité sur toute la scène. L’Opéra Comique permet une grande proximité entre la salle et la scène. Il est donc facile de voir les clins d’œil, les tapes dans le dos, les mains qui se tiennent (et même quelques violons qui parlent entre eux…). Tout le monde est content d’être là, et semble vraiment donner son meilleur. Le chef d’orchestre le dira lui-même entre les nombreux bis qui clôtureront la soirée : jouer à l’Opéra Comique est pour lui un événement marquant dans sa vie.
Il Diluvio traite du déluge que Dieu a infligé à l’homme pour ne plus écouter sa parole. La Justice divine s’insurge contre la nature humaine, avec le soutien des quatre éléments. S’ensuit un dialogue entre Noé et sa femme Rad ; une discussion de Noé avec Dieu ; l’apparition de la Mort qui se réjouit devant La Nature Humaine en larmes. Puis Noé et Rad réalisent qu’ils sont vivants et les chœurs se réjouissent de l’apparition du soleil.
C’est d’une variété éclatante, du point de vue de la musique et des chants. Alors que l’ouverture se joue, la Justice Humaine, assise au premier rang du parterre, se lève en chantant violemment, comme pour arrêter la musique, humaine, qui, effectivement, se freine. Puis l’arrivée des quatre éléments est tout aussi impressionnante, on sent la primitivité d’un tel instant : Dieu avec ses éléments s’insurgent contre l’homme. Chaque élément a une voix bien différente, c’est un vrai régal.
C’est ensuite l’instant de la révélation avec le couple Noé Rad. Si Guimaraes est un Noé tout à fait correct, une voix profonde et très humaine, c’est bien Mariana Flores qui brille dès le début. Déjà par sa robe un peu étrange (comme d’un peuple primitif antique, ok c’est dans le thème), mais surtout par son soprano fort et clair. Un petit bijou qui brille dans l’écrin Comique.
Le dialogue entre Dieu et Noé est du meilleur effet. Dieu est perché dans une loge d’apparat et regarde le petit homme de haut, avec une basse profonde face à ce Noé dont le tremblement de la voix indique bien la faiblesse et la peur du futur dernier homme. Il tente de comprendre où est passée la pitié divine, de savoir ce qu’il va se passer : mais Dieu ne changera pas.
Un petit tour de génie avec la symphonie de la tempête. Une seule corde, puis plusieurs, quelques percussions, les violons s’en mêlent, et nous sommes noyés. Le niveau monte. Les Chœurs ne savent plus où aller et pendant qu’ils chantent leurs plaintes, certains choristes crient comme s’ils se noyaient réellement. Cela parait si moderne ! Aucune barrière n’a encore été élevée, aucune règle de l’opéra n’a été édité : le compositeur a toute sa liberté.
La Nature humaine me touche ensuite avec une sensibilité exquise, qui lui amène les larmes aux yeux, malgré les pitreries de la mort qui se moque d’elle. Sa voix n’est peut-être pas très puissante, mais elle se tient, un peu plus grave que L’Eau.
On revoit la liberté de la partition avec la tarentelle de la Mort qui se réjouie sur une musique très joyeuse, tambourin dans la main. Il est affreux, monumental, boiteux : une mort gigantesque et… contre-ténor. Réjouissant, quand il le reprend en bis, il entraine la foule avec lui. Tout semble improvisé, les solistes s’amusent, c’est merveilleux.
Mon gros coup de cœur reste l’avant dernier air Ecco l’Iride paciera, avec trois merveilleuses solistes : Rad, l’Eau et l’Air. Une fraicheur de ces trois voix tout aussi variées : timide, expressive, puissante, retenue : je vous laisse découvrir cela ici. Le final rassemble presque tout le monde pour un air bien plus classique, mais tout aussi sympathique.
La musique se mélange à des tons de percussions de l’iranien Keyvan Chemirani, créant des sonorités qui paraissent très modernes, avec des instruments comme le zarb, l’oud ou encore le daf. Vous ne les connaissez pas ? Moi non plus, mais c’est très agréable.
En bis nous avons L’iride paciera avec l’explication de l’image de l’arc en ciel – harmonie par Leonardo Garcia Alarcon et l’amélioration de la météo. Puis, étonnamment, Tutto nel mondo è burla du Falstaff de Verdi, selon le chef, après un déluge, on peut jouer de tout. Du Verdi avec des instruments baroques, c’est étonnant, mais ca rend bien ! Puis La Mort nous entraine dans sa danse macabre et tout le monde reprend le chœur final.
La salle ne calme pas ses ovations, le succès est toujours au rendez vous. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter visiblement ! Le disque est sorti, la tournée continue encore à travers la France. S’ils passent près de chez vous, courez-y !