Théâtre Stanislavsky
4 mai 2013
Chorégraphie: Kenneth McMillan
Direction musicale: Timur Zangiev
Rodolphe: Sergei Polunin; Mary Vetsera: Anna Ol; Mitzi Caspar: Natalia Kleymenova; Stéphanie: Anastasia Limenko; Elisabeth: Yulia Belova; Marie Larisch: Anastasia Pershenkova; Bratfisch: Dmitry Zagrebin.
Arrivé fraichement à Moscou, j'apprends que le soir même se dansera Mayerling avec Polunin. Petit retour en arrière pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est ce prodige russe qui est devenu le plus jeune Principal du Royal Ballet puis a soudainement décidé de claquer la porte: il refusait de sacrifier sa jeunesse à la danse. Finalement quelques mois plus tard on le retrouve raisonné au Stanislavsky Théâtre de Moscou. En mars dernier, il a apporté la chorégraphie de McMillan, le théâtre devenant alors une des rares maisons à avoir sa propre production de cette oeuvre actuellement dansée à Londres.
Je retrouve dans cette chorégraphie quelques éléments marquants de Manon du même McMillan: le jeu de cartes truqué, la danse bourrée, les danseuses de petite vertu ou encore l'érotisme palpable. Pour la danse, c'est de nouveau l'importance des portés, la complexité et le nombre des pas et la danse qui nous raconte une histoire sans rajouter de fioritures inutiles. Et enfin une dramaturgie qui joue une place prépondérante. Voire trop importante d'ailleurs, l'acte 2 finit par en souffrir.
Ce qui fait la spécificité de Mayerling, c'est que c'est un ballet narratif pour un homme, rarissime dans l'histoire du ballet. Ce n'est plus autour de Giselle, Odile/Odette ou Juliette, mais de Rodolphe que le corps de ballet s'affaire. Nous arrivons donc à un rôle très complexe et demandant pour un soliste, il danse trois actes presque sans quitter la scène. L'énergie et l'endurance de Serguei Polunin permettent une interprétation superbe. Pas un faux pas, pas un essoufflement, un ballon large et impressionnant et de superbes couples qu'il porte au plus haut sommet.
De plus, il se permet de rentrer complètement dans la peau de son personnage, il a l'air fou, complètement narcissique, voire parfois même enfantin. Il joue le rôle de l'archiduc Rodolphe, fils de Francois Joseph et d'Elizabeth d'Autriche. Après s'être marié avec Stéphanie de Belgique, il la néglige rapidement et se tourne vers de vieilles et nouvelles maitresses. Il finira par se suicider avec l'une d'entre elles dans le pavillon de chasse de Mayerling. Sa danse n'a rien de stoïque, de lourd ou d'imposer. Tout lui vient naturellement pour nous raconter une histoire jusqu'à la fin de l'oeuvre.
Les pas de deux sont donc nombreux et prenants, j'en ai compté au moins cinq. Le premier acte est le plus dense. Polunin commence par un solo lors de son mariage qui met déjà la barre haute mais qui ne l'épuise pourtant pas. Un pas avec sa maitresse, mais il retourne finalement dans le lit de Stéphanie qu'il effraiera avec un pistolet. Il est absorbé par l'idée de mort dès le début de la pièce qui ouvre avec son enterrement avant un retour en arrière. Il trainera son pistolet et un crâne, tel Hamlet. Il finira par trouver du répondant chez Marie, la fille d'une amie qui n'aura alors cesse de lui tendre des pistolets pour arriver au double suicide finale.
Pour fermer le clapet aux grands rôles féminins du XIXe, McMillan ne donne une place d'exception à aucune des femmes. On remarque certes Elisabeth qui se taille un solide rôle comme Impératrice et mère. Elle arrive soudainement avec son amant (telle mère, tel fils) pour un pas de deux qui n'est pas bien réussi dans le second acte. Tant pis, elle réussit dans le reste de son rôle à adopter la majesté nécessaire. On remarque aussi les bonnes interprétations de Mitzi Caspar, sorte de Maîtresse de Lescaut version Mayerling dans le cabaret, ou encore de la Comtesse Larisch en maîtresse délaissée. La princesse Stéphanie est tendre et douce comme on l'attend de son rang, elle ne sait pas trop quoi faire ni ou se mettre et semble soudainement passionnée quand elle danse avec son nouveau mari comme découvrant l'amour.
Une constellation de femmes qui entoure donc le jeune Polunin et qui se conclue par Marie, jeune femme à qui on fait croire que le destin la destine au prince. Elle sombrera donc lentement dans son jeu, jusqu'à la mort, après quelques instants torrides. D'est toujours elle qui apportera le pistolet à Rodolphe, comme s'il représentait un objet sexuel ou de jeu. Leur premier pas de deux ensemble est sensuelle mais attendu, le second parait beaucoup plus moderne, violent, macabre également.
Toutes ces femmes se ressemblent et malgré la richesse des costumes, j'ai parfois du mal à les différencier. Ce n'est pas si important, il suffit se comprendre que les femmes se battent pour lui. Elles forment une ronde qui le pousse au plaisir et l'obsède vers la mort.
Il n'est pas le seul homme mais est entouré par quatre superbes danseurs hongrois ainsi que de quelques amis qui m'ont également impressionné par leur vitalité et leur énergie. Et c'est cela qui m'a le plus marqué dans la danse de cette soirée: on approche parfois des acrobaties, mais tout est réussi et coordonné. L'ultime solo peu avant les deux morts semble un cri du coeur de Bratfisch pour rappeler son ami à la raison dans des danses plus folkloriques.
La musique orchestrée à partir d'oeuvres de piano de Liszt n'es pas brillante, j'aime néanmoins le choix d'avoir une vraie chanteuse lors de l'épisode de l'anniversaire de l'empereur. La production est riche avec des décors, des rideaux et des costumes dignes d'une grande maison de danse. En s'appropriant un talent comme Polunin, le Stanislavsky a su se doter d'un danseur bouillonnant qui a encore beaucoup à montrer.