Théâtre Bolshoï
5 mai 2013
Chorégraphie: Yuei Grigorovich
Nikia: Ekaterina Krysanova; Gamzatti: Ekaterina Shipulina; Solor: Vladislav Lantratov; Idole dorée: Mikhail Kochan; Danse indienne: Anna Antropova, Vitaly Biktimirov et Andrey Bolotin; Manu: Chinara Alizade
Ni Bayadère ni le Bolchoï n'étaient pour moi des nouveautés. Ni d'ailleurs l'addition des deux. J'avais vu deux fois ce ballet avec Zakharova à Bastille en avril dernier. Pour la première fois, je vois la compagnie chez elle dans son théâtre massif et fraichement restauré. Massif c'est bien le mot qui me vient directement devant cette salle, qui combine la beauté d'une salle à l'italienne avec l'efficacité scénique d'un plateau et d'une fosse comme Bastille.
Commençons d'ailleurs par la fosse: la musique (aussi étonnant que cela paraisse pour du Minkus). Et bien si déjà l'Opéra avait réussi à me faire considérer la partition comme intéressante, ici le Bolchoï m'a complètement bluffé, notamment pour la danse indienne où les tambours recouvrent totalement l'orchestre. Du haut de mon quatrième balcon, j'en prends plein les oreilles! Seul regret néanmoins, c'est que la chorégraphie paraisse moins musicale à Paris. Ainsi je garde un étonnant souvenir des deux notes gracieuses qui accompagnent la descente de Gamzatti de son carrosse, et qui ici passent inaperçu.
Les danseurs sont époustouflants d'énergie à travers cette immense scène. J'avais déjà eu cette impression quand j'avais vu la compagnie danser Don Quichotte et Flamme de Paris à Garnier il y a deux ans. Ainsi dans les derniers moments, Nikia réalise une diagonale de pirouettes d'une vitesse hallucinante avec un retour sur pointes tout aussi rapide.
L'énergie se retrouve chez Solor qui danse sans cesse, même à des moments où Noureev a choisi de ne pas chorégraphier de pas. La danse ne l'épuise pas pourtant et cela n'en parait que plus fluide. Il semble avoir un rôle plus important qu'a Paris. Gamzatti de la même façon se laisse entièrement porter par la musique lors de ses fouettés qui retiennent le souffle de tout le public. Shipulina se montre une belle technicienne.
Mais finalement, est ce qu'on ne perdrait pas quelque chose devant une telle flamboyance? Un certain lyrisme qui devrait être nécessaire? Et bien étonnamment non, les danseurs montrent une superbe capacité à passer du brillant show off à l'émotion. De plus, en tant que parisien, je m'attendais à la même histoire, où l'émotion des personnages était un élément clé, mais le message de ce ballet n'est pas toujours le même.
Car en réalité, si l'Opéra se vante d'être le seul à posséder la version Noureev de la Bayadère, les variations sont quand même les mêmes chez Grigorovich. Outre les passages dansés qui sont néanmoins plus conséquents, il y a dans la version Bolchoï une toute autre différence: l'histoire qui nous est racontée.
Ainsi Solor accepte de se marier avec Gamzatti alors qu'il avait promis fidélité à Nikiya. Lors de la cérémonie du poison, ce n'est pas parce que Gamzatti l'attire que Solor détourne la tête, mais parce qu'il semble hésiter. Et ceci est fatale, on ne refuse pas une bayadère, la prêtresse sacrée. C'est uniquement lorsqu'elle meurt qu'il réalise son erreur et se lamente. Mais réalise t-il qu'il était amoureux ou qu'il vient de s'attirer une colère divine?
Le dernier acte ressemble plutôt à une recherche de pardon que de l'être aimé. C'est peut être pour cela qu'elle défile aussi vite, pour montrer qu'elle s'est détachée de ce monde terrestre et qu'elle ne peut plus rien pour Solor qui s'effondre, mort d'épuisement d'avoir essayé de rattraper cette divinité.
La prêtresse gagne donc en sacralité. L'interprétation de Krysanova est vraiment très douce, toute timide en s'assumant néanmoins, jusqu'au dernier acte explosif. Ce n'est pas une femme qui a rompu ses voeux, elle reste pure jusqu'à la fin, même trompée par le superbe Solor de Loparevich.
Le trio principal m'a donc emballé, j'apprécie avec eux une version différente de celle que je connais. Pour le reste de la compagnie, le corps de ballet ne me parait pas aussi géométrique qu'à Paris, je ne vois pas une seule respiration lors de la descente des Ombres comme j'ai déjà pu en voir. Mais il y a également moins de stress et plus de sourire. L'idole dorée de Kochan m'a quant à lui époustouflé avec ses jambes et sauts qui feraient pâlir n'importe quel danseur
Ma première au Bolchoï m'a donc bien confirmé que les russes réussissent à donner leur version de la danse, si différente d'ailleurs, devant un public qui s'enthousiasme à chaque arrivée sur scène et à chaque variation, remerciant les solistes par de nombreux bouquets de fleurs.