Palais Garnier
18 juin 2013
Emmanuelle Haïm et le Concert d'Astrée
Mise en scène: Laurent Pelly
Cesare: Lawrence Zazzo; Cleopatra: Sandrine Piau; Sesto: Karine Deshayes; Cornellia:; Achillas: Paul Gay; Ptolémée: Christophe Dumaux
En voyant ce Cesare, je me suis imaginé Laurent Pelly regardant le film La Nuit au musée et se disant que ce serait une bonne idée d'utiliser le principe dans un opéra. Les gardiens et conservateurs de musée s'occupent de trier, ranger et surveiller les œuvres alors que des esprits malfaisants qu'ils ne voient pas chamboulent tout ça. En réalité Cléopâtre, Ptolémée, César et tous les autres semblent s'éveiller dès que la nuit tombe pour rejouer inlassablement la même histoire, celle de Jules César en Égypte, ou Giulio Cesare in Egitto, le nom initial de l'opéra.
Le décor, les objets, les costumes, tout pourrait donc provenir d'une cave d'un musée richement fourni. La tête de Pompée mort est donc une tête d'un colosse de Pompée en marbre, portée par des palettes de mécaniciens modernes. Mais lorsqu'il faut donner l'impression d'une cour, on ne trouve que les apparats d'une cour du XVIIIe! Lorsque César rêve de Cléopâtre et de son double Lidia, des tableaux défilent de paysages égyptiens, de portraits de la reine. Les armes à travers tout l'opéra sortent des tiroirs et des armoires métalliques.
Dans cette mise en scène qui me parait si décalée du travail habituel de Pelly, comme l'Elixir d'Amour ou encore La Fille du Régiment, les chanteurs se donnent à nouveau à cœur joie au le jeu dramatique. La dernière reprise avec Natalie Dessay devait donc être dans ce sens un joli succès, tant la cantatrice sait jouer l'actrice (à tel point qu'elle décide d'y consacrer sa carrière dès la saison prochaine).
Sandrine Piau semble ainsi s'éclater à jouer la reine capricieuse et séduisante, énervant ou suppliant son frère, attirant César et se prenant pour une grande tragédienne au bord de la tombe avec un serpent en plastic. On s'éloigne ainsi certes d'un aspect plus larmoyant de l'œuvre mais on gagne tellement plus en modernité et en autodérision! Piau réussit la meilleure gymnastique soprano de l'oeuvre, allant jusqu'à s'en moquer parfois, elle ne force pas, tout lui vient du ventre comme quelque chose de naturel.
Car la pièce n'est pourtant pas débile attention! Des symboles sont laissés ça et là également et on alterne entre rires et larmes. Ainsi lorsque Sesto parle de vengeance, on voit trois personnes au fond qui telles des Parques filent travaillent avec des files, et c'est la dernière qui reste, la Parque qui coupe le fil et déclenche la mort.
De toute façon, vu la longueur de l'œuvre il faut bien diversifier les émotions. C'est peut être là le secret qui fait passer quatre heures de spectacle. Deshayes s'instaure donc comme l'anti Piau dans le sens où elle campe un personnage beaucoup plus sérieux, un jeune homme plein de fougue, d'honneur et d'espoir, là où la reine est capricieuse, maladroite et séductrice. C'est avec Deshayes qu'il y a le plus d'émotions palpables dans ces moments plus attendrissants de malheur et de défense de l'honneur.
Entre les deux une Cornellia intéressante aussi mais par trop de fois larmoyante, le personnage ne m'intéresse pas en soi, elle ne pleure pas son mari mais plutôt la perte de son statut de femme d'une famille romaine patriarche. Le personnage d'Achillas, son complémentaire dont elle ne comprendra jamais vraiment l'amour est bien plus intéressant. Paul Gay m'impressionne toujours autant (il avait été le seul à sauver Faust du désastre l'année dernière), il a ici une tessiture plus douce mais toujours aussi sure.
La surprise et la découverte viennent notamment de Lawrence Zazzo, dont j'ai beaucoup aimé les variations de ton et la diction, c'est un type de voix que j'avais rarement entendu et qui permet de fragiliser un personnage comme César. Ce n'est pas encore un ténor ou un basse d'empereur mais encore un général en chef qui instaure la pays dans l'empire.
Enfin, de mon premier rang, j'ai particulièrement pu apprécier l'orchestre et la vie qui anime ce groupe humain pendant une œuvre aussi longue. Deux musiciens se sont amusés à mettre la même cravate moche, une femme enceinte tente de tenir sa contrebasse, les deux cithares se racontent leurs potins, tous semblent rire aux choix musicaux des autres. Ils regardent tous Haïm avec le sourire et une attention qui fait comprendre pourquoi la chef refuse de diriger d'autres formations que la sienne. Sa façon tellement gestuelle de diriger rend sans doute la compréhension bien ardue.
Ils nous offrent une musique qui me parait bien plus efficace et enjouée que lorsque j'ai pu les entendre dans Médée au TCE. L'usage périodique de la flûte donne à l'instrument une importance rare. Ce sont les violons qui servent de fond sonore sur lequel se rajoutent les autres, les bassons, le clavecin, les contrebasses. Une partition riche qui nous offre des émotions bien diversifiées pendant ces quatre heures de spectacle!