Opéra Bastille
16 septembre 2013
Mise en scène : Krysztof Warlikowski ; Direction musicale : Susanna Mälkki ; Emilia Marty : Ricarda Merbeth ; Albert Gregor : Atilla Kiss-b ; Jaroslav Prus : Vincent Le Texier ; Dr Kolenaty : Jochen Schmeckenbecher ; Vitek : Andreas Hill ; Janek : Ladislav Elgr.
Makropoulos appartient à ce type d'opéra qui n'a ni air, ni chœur (ou presque) et où le chant semble accompagner la longue symphonie de l'orchestre. A mi-chemin entre Agatha Christie et Jules Vernes, cet opéra de 1926, à l'inverse des opéras du XIXe, donne préférence à l'intrigue, qu'il est parfois difficile de suivre. Autant vous prévenir que le changement est brutal par rapport aux Lucia, Aida ou Alceste qui occupent cette rentrée lyrique. Un mélange qui parait donc bien nouveau, et dont j'en ai pu voir certaines prémices dans La Dame de Pique.
À n'écouter que la musique, on se noierait avec plaisir dans ce flot de deux heures (avec une petite pause dans le noir entre deux actes), qui passe de la légèreté la plus érotique à une considérable gravité qui remet en jeu les fondements de ce monde. Susanna Mälkki, seulement la troisième chef d’orchestre femme que j'ai entendue après Haïm et Equilbey, porte son équipe et l'agite d'un regard plein de sympathie, s'emportant pendant les deux longues heures. L'orchestre semble ravie de sa direction lors des applaudissements et, extraordinaire, les musiciens restent tous jusqu'à l'ultime baisse du rideau.
Le tchèque n'est pas une voix qui m'emballe, La Fiancée Vendue à Garnier m'avait notamment bien ennuyé. Ici le format fait qu'il y a peu de récitatifs à entendre, le long chant monotone et cristallin accompagne la musique. En tout cas celui de Ricarda Merbeth, une Emilia Martins brillante, tant par son rôle essentiel d'actrice que par sa voix qui révèle les aspects les plus ésotériques de son personnage. Je reste moins emballé par les hommes, à l'exception de Vincent Le Texier dont la voix colle au personnage: noir, profond, cynique qui finit par trouver plus fort que lui.
Mais finalement le personnage invisible qui a le plus d'importance dans cette œuvre est Warlikowski. Après sa géniale Médée au TCE l'année dernière qui dressait une comparaison entre la sorcière et Amy Winehouse, cette fois la comparaison porte sur Marilyn Monroe, une autre star restée éternellement jeune car disparue trop tôt. Tout comme, je crois, son Parsifal, un film sur la starlette s'affiche pendant l'ouverture où l'on revoit quelques images, du glamour aux problèmes juridiques d'une des blondes les plus iconiques.
Car toute starlette désire rester éternellement jeune, pouvoir attirer tous les hommes et les rejeter comme une mante religieuse. Elena Makropoulos ne séduit que pour arriver à ses fins, jamais pour l'amour véritable, ou si peu avec Maxi, et c'était il y a si longtemps. Elle possède la richesse, la notoriété, les hommes et ce depuis 337 ans. Et à quel prix! Elle trompe tout le monde, ne peut plus vivre avec elle même, obligé même d'exciter les sens de son arrière petit-fils, qui a un sérieux complexe d'Oedipe.
Elle ne sait plus ce qu'est l'amour ou n'en veut plus, sa nuit avec Prus est aussi glaciale que son attitude envers le fils de celui ci. Les deux hommes désirent la même femme, elle joue de cette opposition pour obtenir ce qu'elle veut, entrainant même la mort du fils. Comme s'il était contre-nature de désirer la même femme que son père. Et pourtant elle continue d'attirer les hommes pour les perdre, comme envoyée par Dieu pour révéler aux hommes qu'à travers le temps ils n'ont pas changé et ne se sont toujours pas racheté. Makropoulos ou Marilyn, icône du désir éternel de l'homme.
Et Krista, la jeune première finit par s'habiller comme Elena, même perruque blonde, même robe blanche, et elle désire tant posséder la formule de jouvence. Elle ne semble pas trop pleurer la mort de son amoureux Janek, elle désire le pouvoir et la séduction. Les hommes ne sont pas les seuls à être sombrement dépeint, les femmes apparaissent initialement innocente, puis rapidement perverties.
Je ne ressens aucune compassion pour Elena pendant l'œuvre. Cependant aux derniers instants, alors qu'elle raconte son histoire et qu'elle se meurt, la pitié finit par arriver. Sa malédiction nous apparait comme une horreur et nous ne la souhaiterions à personne. Si elle a pu tromper le monde des hommes, elle n'a jamais pourtant trahi son âme ou Dieu. En annonçant à la maternité son véritable nom pour son fils, Makropoulos, elle montre qu'elle garde une certaine dignité et que son (long) passage sur Terre, s'il est contre-nature, ne doit pas pour autant mettre entièrement en cause la société humaine.
La mise en scène fonctionne et ne dénature pas l'opéra. Elle n'est certes pas très lumineuse et on se sent un peu enfermé dans cette atmosphère suffocante. Certains éléments font paraitre le décor un peu vieilli, comme ce King Kong passablement inutile et qui semble sorti du Cendrillon de Noureev. Mais Warlikowski réussit de nouveau le pari de livrer son interprétation la plus totale de l'œuvre. Il semble un peu perdu aux applaudissements, mais tout me monde lui sourit, ravi d'avoir fait passer une bonne soirée au public clairsemé de Bastille.