La Monnaie de Bruxelles
22 décembre 2013
Mise en scène: Olivier Py; Direction musicale: Marc Minkowski; Hamlet: Stéphane Degout; Ophélie: Lenneke Ruiten; Gertrude: Jennifer Larmore; Claudius: Vincent Le Texier; Polonius: Till Fechner; Le spectre: Jérôme Varnier.
Une petite escapade à Bruxelles et l'occasion d'aller passer une après-midi à la Monnaie, une maison d'opéra dont on parle regulierement quand il est question de productions à succès. Cet Hamlet d'Ambroise Thomas ne fait que confirmer cette réputation avec un spectacle d'une haute qualité, et sans doute un des meilleurs d'Olivier Py.
Quatrième mise en scène de Py depuis le début de la saison, le futur directeur d'Avignon avait realisé celle-ci au Theater an der Wien au printemps dernier, rapidement exportée chez nos cousins belges. J'y retrouve les différents éléments py-esques qui m'ont parfois fait grincer des dents, mais que je réussis maintenant a surpasser. Ainsi de l'écriture à la craie par exemple. Mais plus insupportable encore, l'arrivée des manifestants lors de la balade du printemps. (Printemps-->printemps arabe--->manifestation), alors même que la présentation pré-spectacle nous dit que l'opéra a perdu l'aspect politique qui existait chez Shakespeare, ce qui rend d'ailleurs bien floue l'arrivée du prince norvégien à la fin du dernier acte une fois tous les morts allongés à terre.
J'y retrouve néanmoins ce que j'aime particulièrement dans le duo Py-Weitz, c'est l'usage d'un décor unique et maniable à l'infini. Ici le grand escalier se décompose, tourne, se décale, dévoile ses souterrains, disparait, avant de reconstituer aux derniers instants. L'épisode d'Hamlet n'aurait été qu'une parenthèse. Je retrouve également ces costumes de militaire fin XIXe, signe de ces périodes transitoires d'une civilisation, entre rayonnement, période sombre et renouveau (si bien etudiées dans Les Troyens).
Le spectre du roi n'est pas sans rappeler la ballerine d'Aïda, tout en blanc et brillant dans cet atmosphère très lugubre en noir et blanc, quelque chose qui dépasse le simple cadre des personnages et les illumine. Ophélie également est en blanc, mais elle est trop impliquée dans l'histoire, trop influençable pour servir d'astre dans ce monde-ci.
La direction de Minkowski donne une jolie couleur à une partition pour le moins étrange, coincée entre des airs de Massenet, de Berlioz et de vaguement wagnériens, sans pour autant se rapprocher de quoique ce soit que j'ai entendu, tout coule de sources, avec l'absence d'arias marqués notamment. Dommage que cette oeuvre ait disparue des répertoires alors qu'elle avait pourtant eu un succès retentissant à l'Opéra de Paris! Les thèmes orchestraux oscillent entre romance, lyrisme ou folklore, gardant toujours une teinte de noirceur, révélant le dilemne permanent d'Hamlet.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'argument qui présente Hamlet comme un jeune prince fils de lors du premier acte, il est ici déjà en plein questionnement. L'apparition du spectre s'apparente davantage à une évidence dans le cheminement du personnage qu'à un retournement de situation. Hamlet perd peu a peu tout ce en quoi il croit, finissant nu dans une baignoire, se lavant comme un Macbeth avec ses mains eternellement souillées de sang. Pourtant ici Hamlet n'a pas encore commis de crime mais s'inflige déjà un châtiment de repentance avant le crime. Le conflit freudien avec sa mère vient accentuer les nuances du personnage.
Tout l'opéra tourne, étonnamment, autour d'Hamlet, un baryton. L'oeuvre prend une toute autre dimension, tellement plus profonde, qui nous change des variations des ténors indécis. Stéphane Degout y trouve un de ses plus beaux rôles, il reste presque trois heures sur scène, ne semble pas se fatiguer, devenant de plus en plus distant, violent, presque illuminé. Je l'ai trouvé superbe.
En face, je n'avais pas d'a priori sur Ruiten en Ophélie, et j'ai été charmé par son acte 4 et son adorable chanson sur les willis, qui a capté mon attention pendant ce qui semblait un instant. Une douleur réelle et un air de folie type Lucia sans le décorum. Plus absente lors des premiers actes, elle se dévoile avant de mourir.
Le second rôle le plus frappant reste néanmoins celui de Gertrude, Larmore a un léger accent mais sa diction reste correcte. Elle reflète la femme pécheresse et meurtrie, je l'ai trouvée magistrale dans son duo avec son fils, parfois avec une voix chancelante. Elle souffre mais ne fait pas pitié, le public est comme Hamlet, il la hait.
Outre ce trio, les autres rôles sont corrects. J'ai préféré la basse du spectre du roi, plus grave d'outre-tombe que celle de Claudius, qui ne réussissait pas à être pleinement méchante.
Durant tout l'opéra, les cendres du feu roi trônent sur le côté, déposées avec soin par Hamlet. Il contemple l'histoire qu'il a indirectement causée. Est ce que toute l'histoire se déroule dans la tête du prince à partir du moment où le grand escalier se décompose? Les créatures qui entrainent Ophélie vers sa tombe proviennent elles des enfers ou de l'imagination infernale d'Hamlet? Tout comme ce spectre au visage d'or qui hante la scène et Hamlet. Enfin les acteurs de la troupe de théâtre sont les doubles parfaits des chanteurs, l'illusion est totale. Et lorsque Hamlet veut attaquer son oncle, c'est son double comédien qui l'en empêche, il se bat contre lui même, et s'étonne finalement à peine ensuite de ne pas avoir pu tuer le roi.
Une sympathique façon de clore l'année lyrique 2013, entre Le Dialogue des Carmélites et cet Hamlet, Py a finalement réussi à me séduire.