17 Février 2013
Palais Garnier
Musique : Maki Ishii ; Chorégraphie : Jiri Kylian ; Direction musicale : Michael de Roo ; Kaguyahime : Marie-Agnès Gillot ; Mikado : Alexis
Renaud ; Les Prétendants : Carbone, Madin, Meyzindi, Bertaud, Couvez.
Je m’étais senti légèrement mal à l’aise en lisant cet article de Jiri Kylian sur les critiques de danse, y compris la partie sur les jeunes. Mais je comprends sa frustration à l’égard des critiques comme Clement Crisp en lisant une interview comme celle-ci, où le vénérable journaliste du Financial Times qualifie d’un coup d’un seul « that homogenised Eurotrash rubbish from Mats Ek, Forsythe, Kylian, and all those tiresome people. » Rien de moins que trois de mes chorégraphes préférés (et je ne suis pas le seul fan, bien loin de là). Et je ne comprends pas comment un critique ayant vu Un Ballo ou ce Kaguyahime peut traiter l’œuvre de Eurotrash. Je n’ai aucun doute que l’unique but de ce chorégraphe est la beauté esthétique. L’ayant croisé à l’entracte dans les couloirs de Garnier, il n’est même pas allé se faire applaudir (ou ovationner) sur la scène, malgré une représentation de très haut niveau.
A nouveau, cette œuvre japonisante a frappé Garnier pour sa dernière après-midi. L’interprétation de Marie-Agnès Gillot, bien différente de celle d’Agnès Letestu (vu ici il y a deux semaines) ou encore de mes souvenirs de l’interprétation d’Alice Renavand il y a trois ans. La princesse lunaire n’est plus ici, dès les premiers instants totalement, majestueuse. Kaguyahime vient d’un peuple qui n’a pas d’émotion, elle n’est donc véritablement pas humaine. Elle n’est évidemment pas de nature humaine et se retrouve à l’étroit dans cette enveloppe corporelle. Elle se sent véritablement comme un ovni sur cette planète, ne sachant pas comment fonctionne une telle machine.
Son premier solo semble donc une tentative de compréhension du corps humain. Mais bien loin de la gymnastique comme vous pourrez l’imaginer. Comme être céleste, elle a su conserver toute sa grâce et son raffinement. Si elle n’a jamais eu d’émotion auparavant, maintenant la princesse a clairement peur. Le parallèle avec l’interprète m’a paru flagrant. Marie-Agnès sait bien qu’elle est différente des autres danseuses, et a du prendre le temps de trouver sa façon de s’exprimer pour devenir une des plus grandes étoiles actuelles. Une interprétation très personnelle donc.
Même si je commence à bien connaître le déroulement de ce ballet, je me suis à nouveau laissé complètement entrainer par les scènes du corps de ballet. Les cinq prétendants gaspillent beaucoup d’énergie, jusqu’à l’épuisement pour satisfaire les désirs de la princesse. Sitôt arrivée, Kaguyahime est déjà à l’origine de cadavres au sol. Mais plutôt que de lui en vouloir, accompagnés de cinq merveilleuses paysannes, ils la divertissent lors d’une célébration. (Je dis merveilleuse évident pour la charmante Charlotte Ranson, mais pas seulement attention, Séverine Westermann est très mignonne aussi). Le pas du divertissement est vraiment très agréable et se laisse dévorer des yeux, avec sa musique si douce et réjouissante. Une simple parenthèse où la princesse sourit enfin, avant de retourner rapidement vers le chaos et les combats.
Ces combats m’ont semblé en partie moins rapides que la dernière fois, certains groupes semblent courir après la musique avant l’entracte. Mais par la suite, les combats de vingt personnes reprennent leur juste valeur, une grande agressivité mais toujours d’une grande grâce et beauté. La même énergie palpable que dans quelque chose comme In The Middle (si, vous savez, le Eurotrash de tout à l’heure). Le ballon de François Alu, la technique de Carbone, l’énergie de Madin et de Bertaud, le charisme de Meyzindi, je réalise à nouveau quelle chance les Parisiens ont.
Après avoir appris à maîtriser son corps, MAG/Kaguyahime s’échappe de l’horreur des mortels pour tomber dans les mains du Mikado et de ses acolytes. Si Alexis Renaud m’avait laissé une piètre impression en Espada, ici il me semble plus impressionnant et princier que Chaillet (que je regrette énormément de ne pas avoir vu dans le corps de ballet de Kaguyahime). Il saisit MAG à travers le tissu, elle ne laisse pas faire, et se débat, beaucoup plus que le faisait Letestu, en agitant violemment ses grandes jambes. Il ne peut contrôler cet étrange animal apeuré et a bien besoin du support de ses deux acolytes. La princesse semble bien tentée un instant de rester avec lui…. Mais rapidement la Lune se rebelle, en illuminant toute la salle, en éloignant Mikado et en rappelant à elle sa princesse qui s’éloigne au loin alors qu’elle quitte son corps pour s’élever vers le ciel, enfin totalement maîtresse d'elle-même.
Les tambours et l’orchestre sont tout aussi violents et/ou raffinés que les danseurs, rentrant dans la symbiose de l’œuvre, dans ce moment très fort où ils rejoignent depuis la fosse des tambours placés sur scène. Une œuvre d’un raffinement rare que je pourrais sans doute revoir encore et encore. Donc oui, gimme more Eurotrash.