Ciboulette, Reynaldo Hahn
22 Février
Opéra Comique
Direction musicale: Laurence Equilbey; Mise en scène: Michel Fau; Ciboulette: Julie Fuchs; Duparquet: Jean-François Lapointe; Zénobie: Eva Ganizate; Roger: Ronan Debois; Françoise: Cécile
Achille; M. Grenu: Jean Claude Sarragosse; Mme Grenu: Guillemette Laurens; Mme Pingret: Bernadette Lafont; Comtesse de Castiglione: Michel Fau; Le directeur d'opéra: Jérôme Deschamps
Je commence sérieusement à me demander si je reste objectif quand je vais voir un spectacle
à l'Opéra Comique. A l'exception éventuelle de Re
Orso, qui ne m’avait pas totalement convaincu, les spectacles que j'y ai vus m’ont tous enchanté, depuis ces Brigands d'Offenbach en juillet 2011 (je n'avais pas encore de blog, c'est bien
dommage....)
Retour donc a l'opérette avec cette Ciboulette. Créée tardivement (1923), en partie pour relancer une mode qui avait fleuri sous Napoléon III, mais surtout pour s'opposer aux importations américaines du music hall et de la comédie musicale. Synthèse des différents héritages, mais également renouveau du genre avec plus de sensibilité et de profondeur des
personnages. Oui attention, ce n'est pas de l'Offenbach de Tulipatan, les
personnages ont une histoire et s'inscrivent dans un cadre plus profond.
Cette œuvre est avant tout un succès d'humour
et de peinture sociale du XIXème. Les hussards, leurs
courtisanes, les maîtresses capricieuses, les maraîchers des Halles, le développement de la banlieue comme des théâtres de boulevard. Ciboulette n'a pas de dimanche, elle travaille tous les
jours. Antonin non plus, il ne travaille jamais. Il découvre la banlieue, elle comprend vite les moyens à mettre en œuvre pour arriver au sommet. Offenbach, Zola, Donizetti, ils sont tous
là.
La partition recèle de petites merveilles, des thèmes entraînants et vivifiants, avec des airs qui restent
longtemps dans la tête. L'Opéra Comique a d'ailleurs décidé de relancer une tradition qui s'est perdue en France mais subsiste encore ailleurs, le public qui entonne les chants du spectacle.
Des ateliers de formation de chant étaient prévus en amont du spectacle pour que les spectateurs puissent participer à la chanson du muguet
(Il court il court le muguet) et au dernier air sur l'amour. Une bien belle idée, mais je n'ai pas fait bénéficier mes voisins de ma voix de casserole. Laurence Equilbey, que j’avais
entendue pour la première fois pour la création de Gillot à
Garnier, se met ici dans un tout nouveau genre musical, bien plus léger, mais tout aussi riche. La partition est parfois bien simple, mais des complexités apparaissent parfois. Je vais me
renseigner davantage sur ce compositeur, ami de Proust (et donc forcément génial, évidemment).
Héritage d'Offenbach, c'est certain, mais également du XIXe en général. Des références politiques, sociales
mais également culturelles, comme ce personnage de Rodolphe Duparquet, qui sourit en pensant à ses vingt ans. C'est bien la nostalgie qui
tient une partie de l’œuvre. Il a bien vieilli depuis Scènes de la vie de bohème (le livre de Murger à l'origine de l'œuvre de Puccini), est devenu bien plus pragmatique que le poète idéaliste:
dans la vie il faut être amoureux ou fonctionnaire annonce t-il à Ciboulette. Lorsqu’ il explique son histoire, des images de La Bohème ressortent avec des émotions. Il y aurait presque pu avoir
de l'émotion lorsqu’il dicte la lettre d'amour et adieu à Antonin. Mais l'analphabète jeune homme empêche le poète de s'exprimer tout à fait. Tant mieux, les rires l'emporteront sur le pathos de
fin d'œuvre. Le froid fonctionnaire a bien pris le dessus.
Le jeune aristocrate fortuné mais idiot qui tombe amoureux de la petite maraîchère orpheline, le tout sous
la protection d'un poète. On n'est pas bien loin de Cendrillon finalement. Sauf qu'au XIXe, les femmes prennent leur indépendance et leur futur en main et Ciboulette laisse bien penser à
une femme ingénue et autonome. Julie Fuchs est
aussi charmante que le personnage, une voix aussi ravissante que la chanteuse elle-même. Idéale pour l'opérette, sa voix s'exprime aussi bien dans les parties chantées que parlées. Charmante à
tout moment, particulièrement dans sa robe rouge du dernier acte, telle une pièce montée. Elle égaie tout l'espace, on s'attache directement à cette fraiche et franche jeune fille. La plupart de
ses airs est d'ailleurs largement applaudie, comme celui qu'elle chante avec Duparquet au début du deuxième acte (Nous avons fait un beau voyage), sa douceur à elle accompagnée de la
profondeur du baryton.
Un Antonin très bon en jeune homme écervelé mais très attachant, des chanteurs de l'Académie de l'Opera
Comique corrects, sans bouleversements néanmoins. Le couple Zénobie-Roger est très amusant! Au moins tous les chanteurs bénéficient de solides talents d'acteurs, drôles sans tomber dans la
bouffonnerie. Le chœur, très polyvalent entre des soldats, des maraîchers, des villageois et des invités d'un diner parisien, rythme et
occupel'espace avec des airs décidément bien entrainants.
La distribution se complète par trois personnages, et non des moindres. Jérôme Deschamps, directeur de l'Opera Comique, accepte d'endosser le rôle de celui qui lancera le succès Ciboulette. Des le début nous sommes prévenus que le
directeur, malade, ne pourra pas chanter. Mise en abyme total donc, avec même des "chanteurs" incompétents! Michel Fau ensuite, le metteur en
scène se glisse dans la peau de la comtesse de Castiglione, sorte de femme-ogre immense dans sa robe à panier verte, qui entonne une chanson sur une symphonie de Hahn. Une horreur pour l'oreille
mais très drôle. Si ce n'est pas de l'implication dans un spectacle ca! Enfin Bernadette Lafont qui campe une vendeuse de poissons pas frais
et fausse divinatrice et qui s'improvise la mère de Ciboulette, avec sa voix si spéciale et son talent indéniable. Ses apparitions sont toutes fortement remarquées.
Une bien belle troupe dans un tout aussi beau décor,
orné de photos en couleurs ou en noir et blanc de la Belle Epoque: les pavillons Baltard des Halles, St Eustache, des maisons de campagne, un grand restaurant. Je ne suis pas toujours fan des
panneaux qui descendent des cintres pour illustrer ce dont parlent les chanteurs, mais je m’y habitue ici. La dernière scène, accompagnée de Fau et Deschamps, où Ciboulette devient une actrice
reconnue et se réconcilie avec Antonin, nous laisse apercevoir l'envers du décor, tous les panneaux sont placés à l’envers au fond de la salle, la mise en abyme continue.
Je me suis donc retrouvé devant la fraîcheur des Brigands d’Offenbach, les soldats du régiment de Donizetti, les amantes de Feydeau, les riches dont on se moque de Balzac, un vague
aperçu de Puccini. Bref, le XIXème a brillé. Ciboulette clôt le chapitre de l’opérette avec un bilan chef d’œuvre.