Opéra Bastille
Carolyn Carlson, Olivier Debré, René Aubry
11 juillet 2013
Emilie Cozette et Hervé Moreau
14 juillet 2013
Discours de Brigitte Lefèvre.
Marseillaise en version enregistrée.
Marie-Agnès Gillot et Stéphane Bullion
[Je vous évite le titre lourd dingue avec un jeu de mots sur le titre (Lac des Signes étant sans doute le meilleur).]
J'avais entendu beaucoup de choses sur Signes, Carolyn Carlson, Olivier Debré et René Aubry sans avoir jamais été en relation avec le travail d'un d'eux. J'avoue avoir donc un peu peur alors que le rideau se lève. Finalement c'est un ballet sans prise de tête, parfois (souvent) drôle et qui nous plonge dans un univers particulier. Un chef d'œuvre certes non, je n'en ressors pas plein de frissons, mais avec un sourire et de bonne humeur.
Les titres des tableaux nous mettraient dans un univers géographique: Loire du Matin, Monts de Giulin, Les Moines de la Baltique, Les Couleurs de Maduraï. Les signes deviennent alors des moyens de passage d'un endroit à l'autre. Mais cela parait presque trop simple. Les noms sont en quelque sorte remaniés, ce ne sont jamais des noms très précis mais ils évoquent des atmosphères plus particulières. Un moment je me sens alors au pays des Merveilles où se balade d'habitude Alice. Des personnages humoristiques se baladant un peu partout, ces jeunes filles assises sur un banc d'herbes qui rappellent les fleurs méchantes avec Alice.
Mais finalement ces jeunes filles en fleurs, c'est Proust, c'est l'inspiration artistique même dont le peintre va se servir pour peindre sa toile, son œuvre. Comme dans Le Chef d'Œuvre Inconnu, le public suit la progression de l'artiste appuyé de sa muse alors qu'il passe d'idée en idée, de rectification en amélioration. Il sort de la réalité et intègre son œuvre. Sa muse qui parait si hors norme dans sa robe jaune devient beaucoup plus simple une fois que le couple a intégré le tableau. Un couple en noir et blanc qui va tenter d'organiser les éléments pour former une œuvre.
Le peintre reste enfermé dans sa bulle, sa Muse elle continue de tourner, comme pour trouver de l'inspiration. Il n'en peut plus et décide de sortir de sa sphère et de commencer à chercher des idées. Arrive alors le corps de ballet, pinceaux, couleurs, idées, mouvements. Ils ne quitteront plus le peintre mais se développeront parfois sans lui, alors qu'il observe son génie se développer comme dans l'avant dernier tableau. Les derniers moments nous remettent dans l'ordre originel, l'artiste a créé ses œuvres, qui ressemblent presque aux premières œuvres de Soulages, et retourne buller, comme pour penser à sa prochaine œuvre.
La musique d'Aubry me rappelle en quelque sorte celle de Reich pour le Rain de Keersmaeker, je ressens à la fois l'eau de l'aquarelle ou l'huile que le peintre agite comme les mouvements parfois répétitifs parfois passionnels ou encore violents de l'artiste. La musique, les tableaux et la danse sont trois mouvements différents qui ne s'accordent pas tout à fait quand l'un d'eux change, accordant ainsi plus de fluidité.
Mes deux spectacles m'ont apporté des interprétations bien différentes mais tout aussi louables. La deuxième distribution avec Gillot était sans doute la prestigieuse dans le sens où la danseuse avait été nommée sur ce rôle qu'elle avait également créé. Bullion a quant à lui repris le rôle de Belarbi (dont vous pourrez apprécier l'interprétation sur You tube sans problème).
Leur partenariat m'a bien donné l'impression d'un échange d'égal à égal. Gillot et Bullion sont d'égale importance et contribuent tous les deux au travail fini et aux échanges avec le corps de ballet. Bullion que je trouve d'habitude bien sérieux et pas toujours très expressif m'a ici étonné. Comme s'il fallait qu'il n'y ait pas d'histoire à raconter pour qu'il nous en raconte une.
Gillot me donne encore cette impression mixte de douceur et de force, elle sait se faire tendre, mais en restant tout à fait expressive et présente.
Chez Cozette/Moreau, c'est bien différent, il est bien plus sérieux, moins enclin à se glisser dans les parties les plus humoristiques du rôle comme le moment du chapeau jaune. Lorsqu'il tournoie avec son grand manteau, il me rappelle un peu son Roméo, mais surtout l'homme en noir, le Degas de La Petite Danseuse, mystérieux, énigmatique, implacable qui regarde son travail se compléter.
En face, la fragile Cozette n'a pas d'autres choix que de s'incliner, elle lui lance même un instant un regard évocateur "est ce que tout va bien?" Il ne semble même pas lui répondre. Elle lui apporte un soutien, elle reste très délicate dans ses gestes, même les plus grossiers. Si c'est sans doute l'interprétation de Gillot que les spécialistes approuvent, j'ai trouvé celle-ci attirante, malgré une absence certaine de fluidité et un stress apparent.
J'ai du mal à identifier les danseurs du corps de ballet dans leurs accoutrements et je ne pourrais pas décerner de palmes spéciales sauf éventuellement à Vincent Cordier jeudi soir qui a servi de très bon second à Moreau.
Les mouvements s'alternent et si la musique peut retourner à des phrases déjà écoutées, on ne s'ennuie pas une seconde avec le corps de ballet. Un tableau comme Les Moines de la Baltique pourrait presque être dansé comme extrait avec ses dix danseurs hommes dans leur grand pantalon et leur rouge violent, presque comme des danseurs de Béjart. Mes deux moments préférés restent Loire du matin et Maduraï.
Le premier comme je le disais plus haut pour ses Proust-eries, le chic de l'homme aux bretelles, gants et chapeau jaunes qui minaude devant les jeunes filles qui lui échappent. Puis s'ensuivent ses mouvements mécaniques ou, tel un automate il tape sur la tête de sa muse qui s'active alors telle une horloge en tournant sur elle même en tenant sa jolie robe jaune.
Maduraï clôt le travail artistique avec ses personnages imagées ornées de leur petites flammes colorées, qui tels des apôtres, répandent la couleur plus que la bonne nouvelle. Ces quatre femmes qui arrivent serrées dans leur fourreau sont ravissantes, à la fois sensuelles, rieuses et maternelles. Il se clôt avec le solo de l'homme en égyptien, à mi chemin entre la tectonique et le moon walk, qui déclenche le dimanche en matinée les rires d'un enfant qui résonnent dans toute la salle. Décidément une bonne oeuvre d'éveil à la danse.
Signes[s]
Une Flûte peut-être Enchantée mais pas Enchanteresse
Une Flûte Enchantée
Peter Brook, Franck Krawczyk, Marie-Hélène Estienne
Théâtre des Bouffes du Nord
16 juillet 2013
Piano: Vincent Planès; Pamina: Dima Bawab; Reine de la Nuit: Malia Bendi Merad; Tamino: Roger Padullès; Papageno: Thomas Dolié; Papagena: Betsabée Haas; Monostatos: Alex Mansoori; Sarastro: Vincent Pavesi; Magicien: Abdou Ouologuem; Figuration: Jean Dauriac
J'attendais beaucoup de ce spectacle. Quoi exactement je ne sais pas ou plus, mais lorsque les représentations de la création avaient été sold-out rapidement il y a deux ans puis que la production était partie triomphalement en tournée, je m'attendais à un spectacle saisissant et fort. Finalement je me retrouve devant quelques bons extraits chantés de La Flûte, mais cela ne va pas tellement plus loin.
Deuxième Flûte que je vois, et c'est à nouveau une adaptation, j'attends celle de Py la saison prochaine pour enfin voir la VO. Brook et ses compères choisissent de dépouiller Mozart de tous les artifices habituels et de sortir l'opéra de son carcan, nous offrant un Mozart ´éternellement jeune'. Merci mais non, Mozart compose sa dernière œuvre pour un théâtre des faubourgs de Vienne, tellement moins raffiné que la Hofoper impériale où un public averti aurait aisément pu comprendre les subtilités du Salzbourgeois. Si l'idée était celle d'un come back to the original Mozart, il fallait justement retourner aux artifices et éviter une épure trop drastique.
Des bambous comme seul décor, qu'un brave magicien s'amusera à déplacer comme sur un damier avant d'auto-saboter son travail en les faisant tous tomber. Le prestigieux palais maçonnique, les souterrains, les épreuves du feu, tout passe à la trappe. Il faut imaginer n’est ce pas. Des bambous comme matière originelle, j'y crois peu. Comme à l'histoire d'ailleurs, qu'on a même du mal à suivre, ce qui peut paraitre absurde pour un opéra normalement aussi lisible. Quels personnages sont réellement présents? Celui-ci est là mais disparait de la narration quelques instants plus tard.
Seul le brave magicien, le seul à ne pas chanter, tente de rallier le tout avec un talent évident d'acteur, il ne sombre pas dans la farce comme Papageno, dans la transparence comme Tamino ou dans le mélo de Tamina. Il est toujours bien difficile de vouloir donner une dimension théâtrale à une œuvre lyrique, le choix des chanteurs étant prépondérant. Dessay dans ses grands jours, ou même récemment dans La Fille du Régiment, réussissait aussi bien dans le théâtre que le chant. Mais un Tézier à l'inverse reste statique en scène et je ne lui en veux pas particulièrement pour Almaviva ou Onéguine.
C'était ce soir là la première représentation de la deuxième distribution. Était-elle particulièrement au rabais et moins brillante que la première ? Rien n'est moins sur car dans l'univers de Brook chaque représentation se nourrit de la précédente, j'étais donc ici à t=0. Et puis théâtre mis à part, les quelques airs sélectionnés sont très bons.
La Reine de la Nuit n'apparait presque pas en dehors de ses airs et c'est peut être pour cela que je la préfère. Son premier air "O zittre nicht, mein lieber Sohn" me fait rapidement frémir, auquel succédera un Höhe Rache mémorable. Tamino semble initialement aussi absent musicalement que dramatiquement. Mais il finit par s'en sortir notamment dans les duos avec Tamina. Papageno s'en sort plutôt bien et joue un comique sans doute trop fort mais qui montre une volonté de s'insérer dans la dramaturgie. Le chanteur qui réussira le mieux à balancer dramaturgie et qualité vocal est Sarastro, avec une tonalité très claire que j'aime beaucoup. C'est un des rares à ne pas paraitre ridicule comme acteur.
Finalement celui que je regarderai presque le plus était Planès au piano, qui ne lâche pas ses touches et sa partition des 90 minutes. La réécriture pour piano seule ne permet évidemment pas d'attraper toutes les subtilités de Mozart mais reste suffisamment honnête pour accompagner les chanteurs. Le pianiste semble parfois fou, entrainé dans sa musique, en contact visuel non stop avec les chanteurs. Timide, il ne sortira pas des rangs pour se faire spécialement applaudir alors qu'il méritait sans doute le plus de sortir du lot.
Peter Brook, Franck Krawczyk, Marie-Hélène Estienne
Théâtre des Bouffes du Nord
16 juillet 2013
Piano: Vincent Planès; Pamina: Dima Bawab; Reine de la Nuit: Malia Bendi Merad; Tamino: Roger Padullès; Papageno: Thomas Dolié; Papagena: Betsabée Haas; Monostatos: Alex Mansoori; Sarastro: Vincent Pavesi; Magicien: Abdou Ouologuem; Figuration: Jean Dauriac
J'attendais beaucoup de ce spectacle. Quoi exactement je ne sais pas ou plus, mais lorsque les représentations de la création avaient été sold-out rapidement il y a deux ans puis que la production était partie triomphalement en tournée, je m'attendais à un spectacle saisissant et fort. Finalement je me retrouve devant quelques bons extraits chantés de La Flûte, mais cela ne va pas tellement plus loin.
Deuxième Flûte que je vois, et c'est à nouveau une adaptation, j'attends celle de Py la saison prochaine pour enfin voir la VO. Brook et ses compères choisissent de dépouiller Mozart de tous les artifices habituels et de sortir l'opéra de son carcan, nous offrant un Mozart ´éternellement jeune'. Merci mais non, Mozart compose sa dernière œuvre pour un théâtre des faubourgs de Vienne, tellement moins raffiné que la Hofoper impériale où un public averti aurait aisément pu comprendre les subtilités du Salzbourgeois. Si l'idée était celle d'un come back to the original Mozart, il fallait justement retourner aux artifices et éviter une épure trop drastique.
Des bambous comme seul décor, qu'un brave magicien s'amusera à déplacer comme sur un damier avant d'auto-saboter son travail en les faisant tous tomber. Le prestigieux palais maçonnique, les souterrains, les épreuves du feu, tout passe à la trappe. Il faut imaginer n’est ce pas. Des bambous comme matière originelle, j'y crois peu. Comme à l'histoire d'ailleurs, qu'on a même du mal à suivre, ce qui peut paraitre absurde pour un opéra normalement aussi lisible. Quels personnages sont réellement présents? Celui-ci est là mais disparait de la narration quelques instants plus tard.
Seul le brave magicien, le seul à ne pas chanter, tente de rallier le tout avec un talent évident d'acteur, il ne sombre pas dans la farce comme Papageno, dans la transparence comme Tamino ou dans le mélo de Tamina. Il est toujours bien difficile de vouloir donner une dimension théâtrale à une œuvre lyrique, le choix des chanteurs étant prépondérant. Dessay dans ses grands jours, ou même récemment dans La Fille du Régiment, réussissait aussi bien dans le théâtre que le chant. Mais un Tézier à l'inverse reste statique en scène et je ne lui en veux pas particulièrement pour Almaviva ou Onéguine.
C'était ce soir là la première représentation de la deuxième distribution. Était-elle particulièrement au rabais et moins brillante que la première ? Rien n'est moins sur car dans l'univers de Brook chaque représentation se nourrit de la précédente, j'étais donc ici à t=0. Et puis théâtre mis à part, les quelques airs sélectionnés sont très bons.
La Reine de la Nuit n'apparait presque pas en dehors de ses airs et c'est peut être pour cela que je la préfère. Son premier air "O zittre nicht, mein lieber Sohn" me fait rapidement frémir, auquel succédera un Höhe Rache mémorable. Tamino semble initialement aussi absent musicalement que dramatiquement. Mais il finit par s'en sortir notamment dans les duos avec Tamina. Papageno s'en sort plutôt bien et joue un comique sans doute trop fort mais qui montre une volonté de s'insérer dans la dramaturgie. Le chanteur qui réussira le mieux à balancer dramaturgie et qualité vocal est Sarastro, avec une tonalité très claire que j'aime beaucoup. C'est un des rares à ne pas paraitre ridicule comme acteur.
Finalement celui que je regarderai presque le plus était Planès au piano, qui ne lâche pas ses touches et sa partition des 90 minutes. La réécriture pour piano seule ne permet évidemment pas d'attraper toutes les subtilités de Mozart mais reste suffisamment honnête pour accompagner les chanteurs. Le pianiste semble parfois fou, entrainé dans sa musique, en contact visuel non stop avec les chanteurs. Timide, il ne sortira pas des rangs pour se faire spécialement applaudir alors qu'il méritait sans doute le plus de sortir du lot.
"Mais tu dois te ruiner en spectacles!" "Euh...non"
Rentrée rime avec résolutions: moins de bière et de soirée, plus de lecture, de musées et surtout plus de spectacles. Mais comment un jeune peut il accéder aux grandes salles parisiennes aux prix qui paraissent si exorbitants? Petit tour d'horizon des différents passepartouts que j'utilise ou m'apprête à utiliser.
L'Opéra de Paris
La grande boutique ressemble de l'extérieur à une citadelle imprenable, mais il existe des moyens d'y accéder, parfois dans les meilleures conditions.
Le sacro saint Pass Jeunes Opéra-Comédie Française offre la possibilité d'appartenir à la deuxième file des dernières minutes. La première file paie plein pot les billets qui reviennent, ils sont ensuite proposés aux Pass (20 euros pour les ballets ; 30 euros pour les opéras dans les premières catégories).
Avec l'augmentation des prix des places de première catégorie, les places disponibles devraient fleurir. Le Pass jeunes donne également accès aux visites et expositions de l'Opéra Garnier et la possibilité en début de saison de réserver quelques mauvaises places à des dates précises.
Inconvénient principal, le Pass est en édition très limitée, pour les jeunes de moins de 28 ans. Pour ceux dont ce serait la première saison, il faut passer dès l'ouverture le 4 septembre pour attraper le précieux sésame. Pour les autres il suffit de renouveler sur Internet pour un prix de 20 euros.
Il faut aussi être prêt à attendre quelques heures par terre ou sur des banquettes avant chaque spectacle. Mais je vous rassure, on n'a jamais aussi bien travaillé que dans la file de Bastille.
Le Pass ne permet qu'une place par personne, organisez vous avec vos amis, et il faut forcement régler en espèces. Le temps d'attente oscille entre trois heures pour les opéras les plus classiques et demandés et une heure pour les œuvres les moins demandées (une matinée de Mats Ek par exemple).
Sinon, tout étudiant ou jeune de moins de 28 ans peut se mettre dans la troisième file de dernière minute avec les chômeurs et les retraités. Les billets sont aux mêmes prix que pour les Pass mais il y a beaucoup plus de monde et vous passez en dernier. Comme pour les Pass, il faut régler en espèce et vous n'aurez droit qu'à une place par personne.
La cotisation à l'Arop, les mécènes de l'Opéra, pour un étudiant de moins de 28 ans coute 20 euros, soit le prix même du Pass Jeunes qui lui sera offert avec l'adhésion. Avantage supplémentaire des mécènes, l'abonnement étudiant permet de se fixer ses dates un an à l'avance pour la quasi-totalité des spectacles à des prix réduits. Le club junior propose également des activités, répétitions ou visites. L'ensemble de ces avantages est évidemment limité à un contingent restreint, prenez les devants pour les renseignements et les réservations. Quoi qu'on en dise, cette adhésion reste bourrée d'avantages.
Enfin pour les mélomanes convaincus et peu frileux, il existe un contingent de 32 places en galerie à 5 euros à Bastille, la queue démarre à l'extérieur et les portes ne sont ouvertes qu'une heure avant le spectacle. Les premiers arrivent très tôt mais sont toujours disponibles pour une conversation sur les dernières nouvelles de l'opéra dans le monde. Ne vous étonnez pas si vous êtes rapidement largués, cela arrive régulièrement. Vous aussi un jour vous parlerez avec humour du Ring de Krämer à un ado de 16 ans.
L'Opéra Comique
Tout comme l'Opéra a l'AROP, le Comique a l'AMOC qui finance une des meilleures formules pour les jeunes de moins de 28 ans. Pour cinquante euros, un jeune disposera d'un passeport jeune d'une valeur de cent euros à dépenser sur une saison, ce qui permet sans problème d'accéder à l'ensemble des spectacles avec les plus petites catégories. Il n'y a aucune limite de date et il est même possible de réserver pour une deuxième personne pas nécessairement jeune. Le passeport n’est pas en édition limitée et peut être pris à n’importe quelle période.
Principal inconvénient, les réservations par téléphone sont une vraie catastrophe le jour de l'ouverture. Seuls les plus obstinés obtiennent enfin un conseiller au téléphone.
La Salle Pleyel
Je me suis peu rendu à Pleyel cette année mais le modèle des abonnements jeunes (moins de 28 ans) est à son tour très séduisant: un concert à neuf euros pour la quasi-totalité de la programmation en promettant d'en prendre au moins cinq, Si vous n'êtes pas trop regardant, il reste des places disponibles en abonnement jusqu'en octobre, sinon il faut s'assurer une connexion internet impeccable le jour de l'ouverture (uniquement sur Internet) fin mai ou début juin.
La Comédie-Francaise
Le Français n'est pas une salle qui coute cher à tarif plein mais il existe également trois moyens d'accès pour les jeunes.
Le Pass jeunes Opéra Comédie Française (voir plus haut) est délivré par l'Opéra et doit ensuite être visé par le Français, permettant alors sur l'ensemble des dates de bénéficier de tarifs avantageux dans la limite d'un contingent. 9 euros en catégorie C par exemple, c'est aussi cher que d'aller au cinéma.
Les places à 5 euros sont au nombre fixe de 65 disponibles au petit bureau sous les arcades et sont distribuées une heure avant le lever de rideau. Suivant le succès de la pièce il faut venir plus ou moins tôt, trois heures pour les grands classiques alors qu'une heure trente est suffisante pour les pièces plus difficiles. Les meilleurs places sont tout à fait correctes mais on arrive rapidement à des sans visibilité, il faut ensuite charmer les ouvreurs (ses) pour se replacer. Deux places maximum par personne. Petit bonus le premier lundi du mois : la Caisse d'Epargne finance les places à 5 euros pour les moins de 28 ans.
Les dernières minutes qui ne différencient pas les jeunes des autres permettent aussi aux guichets de revendre à un prix minoré les places restantes.
Le Théâtre du Châtelet
Les dernières minutes fonctionnent plus ou moins bien en fonction du nombre de représentations et du succès du spectacle mais sont toujours un bon moyen d'accès, surtout pour les étés de la danse ou les comédies musicales. Prix maximum de 20 euros pour les jeunes avec une carte d'identité.
La carte jeune d'un prix de 20 euros permet ensuite de réserver à l'avance des places pour tous les spectacles à 20 euros en moyenne dans les premières catégories.
Le Théâtre des Champs Elysées
Un des meilleurs systèmes à Paris. L'abonnement jeune doit être composé de cinq spectacles à choisir parmi une large programmation. Les opéras scéniques et quelques concerts et ballets valent 20 euros, le reste 10. Il est ensuite possible de compléter l'abonnement en contactant la responsable des relations avec le public qui répondra avec attention à vos demandes.
Le Théâtre de la Ville
Sans doute la seule citadelle imprenable de Paris! Et non pas à cause des tarifs qui restent très raisonnables. Les abonnements jeunes sont traités en priorité mais il faut vite se dépêcher en mai. Ils proposent de surcroit des tarifs avantageux, mais le public jeune est déjà content d'avoir des places.
Il est également possible d'acheter une carte jeune, qui vous permet ainsi de réserver deux semaines avant l'ouverture officielle de la billetterie. Sinon vous ferez comme tout le monde la queue sous le froid et la pluie à 9h pour espérer décrocher une place pour Bausch quelques semaines plus tard.
Ne sont listés ici que les politiques les plus développées et celles que j'utilise. Chaque théâtre possède normalement un tarif, un abonnement ou des dernières minutes pour les jeunes. A condition de vouloir se renseigner et accepter éventuellement de devoir attendre, les salles parisiennes peuvent devenir plus accessibles aux jeunes publics…. parisiens.
Swan Lake - "Hey DJ, Hit Me!"
Théâtre du Rond Point
Mardi 10 septembre 2013
Chorégraphie et interprétation : Dada Masilo.
Danseurs : Kingsley Beukes, Nicola Haskins, Shereen Mathebula, Songezo Mcilizeli, Ipeleng Merafe, Llewellyn Mnguni, Khaya Ndlovu, Lesego Ngwato, Thabani Ntuli, Nonofo Olekeng, Thami Tshabalala, Carlynn Williams, Xola Willie, Tshepo Zasekhaya.
Je ne vous ferai pas de liens entre ce spectacle et les polémiques de Millepied sur la blancheur des danseurs de Garnier ou encore sur le mariage gay. La pièce a été créée à Lyon il y un an et ces polémiques n'avaient pas pris l'envergure qu'elles ont pu avoir par la suite.
Dada Masilo, danseuse sud-africaine passée par l'école chorégraphique de Keersmaeker, nous parle des sujets qui lui tiennent à cœur en tant que femme, chorégraphe et sud-africaine. On passe ainsi une heure très dense à se balancer entre les diverses problématiques, passant réellement du rire aux larmes avec cette quinzaine de danseurs tous en tutus blancs. Les couleurs sont inversées, nous sommes de l'autre côté du miroir, une danseuse blanche dans la troupe et le cygne blanc n'est pas le bon.
Le thème le plus important concerne directement la femme comme chorégraphe. Elle nous livre une nouvelle lecture du classique des classiques, Le Lac des Cygnes. Je me suis un peu senti comme la première fois que j'ai vu les sketchs de Gad Elmaleh: "mais oui, c'est tellement ca." Sauf qu'au lieu de voir sur scène une satire de ma vie quotidienne, j'y ai vu une externalisation des sentiments de n'importe qui devant un ballet classique.
Un narrateur avec l'accent de Mary Poppins nous explique la vision du novice qui dit que tous les ballets ont la même histoire de prince et princesse qui ne se voient pas, se noient dans le corps de ballet. Les gestes sont décomposés, comme l'inoubliable "let´s get married dance" où les couples se tiennent main dans la main et parcourent la scène (ce qui n’est pas sans rappeler Onéguine entre autres)
Qui ne s'est jamais dit en plein pas de deux "allez bientôt ca part en coda" ? Ou pour les plus novices, en feu d'artifice. Et bien les danseurs ne s'embêtent pas à feindre l'étonnement. Avant que la musique ne reparte, la princesse se lance vers la salle "hey Dj, hit me up." Et les danseurs de se jeter corps et âmes dans une chorégraphie qui mêle classique, hop hop et danse africaine. En plus, on assume la musique enregistrée et de son DJ qui remplacent l’orchestre et son maestro : un ballet du XXIe siècle finalement. Les musiques de Tchaikovsky se mélangent à celles de Reich, René Avenant, Arvo Prät ou encore de Saint-Saëns pour créer une palette aussi diversifiée que la danse elle-même.
Mais attention on n'est pas pour autant dans la farce la plus totale. L'ensemble est si bien ficelé qu'on ne sait plus trop où l'on en est pour la danse. A-t-elle réellement dansé une diagonale de pirouettes ou de fouettés? Une fois sur deux non, le reste le mouvement des bras et un habile jeu de jambes donnent seulement l'impression de l’effort effectué. La technique n'est pas divinisée. Un saut au ballon épatant surgit sans qu'on ne le voie. Le cygne noir masculin arrive sur pointes, on a à peine le temps d'être ébahi, il est déjà reparti.
Un ballet qui se veut donc narratif, mais pas prétentieux. L'intrigue reprend celle, remixée, du Lac des Cygnes, avec une petite touche de Roméo et Juliette. Les parents veulent marier Siegfried à un cygne blanc "just perfect" et " so beautiful." Mais lui ne veut pas, ce n'est pas elle le problème mais lui. Il voit passer le cygne noir au loin. Le blanc danse alors un solo épatant, à la frontière du lyrisme et du cirque, comme tout ce spectacle. Siegfried préfère son pas de deux qui suit avec le cygne noir, qui lui parait beaucoup plus naturel et qui me parait encore plus beau.
Mariage forcé, homosexualité, racisme sont des thèmes importants, qui amènent rapidement au rejet de la part de tous, même du cygne noir qui accuse le prince de ne pas s'assumer. On arrive donc aux derniers instants de la pièce. Les tutus disparaissent, les crêtes iroquoises en plumes blanches aussi, remplacés par des crânes rasés et de longues jupes noires. On ne distingue même plus les sexes. Un à un les danseurs, trop tardivement réunis, finissent pourtant par succomber un à un. Thématique nationale du manque de cohésion face au virus du sida, fléau sud-africain.
On ressort de ce spectacle tout à fait ému, amusé et avec une gorge un peu noué. Une heure est passé avec autant d’émotions qu’un spectacle de trois heures. En étant superstitieux, je dirai que cette ouverture de saison promet une jolie suite !
L'Affaire Makropoulos
Opéra Bastille
16 septembre 2013
Mise en scène : Krysztof Warlikowski ; Direction musicale : Susanna Mälkki ; Emilia Marty : Ricarda Merbeth ; Albert Gregor : Atilla Kiss-b ; Jaroslav Prus : Vincent Le Texier ; Dr Kolenaty : Jochen Schmeckenbecher ; Vitek : Andreas Hill ; Janek : Ladislav Elgr.
Makropoulos appartient à ce type d'opéra qui n'a ni air, ni chœur (ou presque) et où le chant semble accompagner la longue symphonie de l'orchestre. A mi-chemin entre Agatha Christie et Jules Vernes, cet opéra de 1926, à l'inverse des opéras du XIXe, donne préférence à l'intrigue, qu'il est parfois difficile de suivre. Autant vous prévenir que le changement est brutal par rapport aux Lucia, Aida ou Alceste qui occupent cette rentrée lyrique. Un mélange qui parait donc bien nouveau, et dont j'en ai pu voir certaines prémices dans La Dame de Pique.
À n'écouter que la musique, on se noierait avec plaisir dans ce flot de deux heures (avec une petite pause dans le noir entre deux actes), qui passe de la légèreté la plus érotique à une considérable gravité qui remet en jeu les fondements de ce monde. Susanna Mälkki, seulement la troisième chef d’orchestre femme que j'ai entendue après Haïm et Equilbey, porte son équipe et l'agite d'un regard plein de sympathie, s'emportant pendant les deux longues heures. L'orchestre semble ravie de sa direction lors des applaudissements et, extraordinaire, les musiciens restent tous jusqu'à l'ultime baisse du rideau.
Le tchèque n'est pas une voix qui m'emballe, La Fiancée Vendue à Garnier m'avait notamment bien ennuyé. Ici le format fait qu'il y a peu de récitatifs à entendre, le long chant monotone et cristallin accompagne la musique. En tout cas celui de Ricarda Merbeth, une Emilia Martins brillante, tant par son rôle essentiel d'actrice que par sa voix qui révèle les aspects les plus ésotériques de son personnage. Je reste moins emballé par les hommes, à l'exception de Vincent Le Texier dont la voix colle au personnage: noir, profond, cynique qui finit par trouver plus fort que lui.
Mais finalement le personnage invisible qui a le plus d'importance dans cette œuvre est Warlikowski. Après sa géniale Médée au TCE l'année dernière qui dressait une comparaison entre la sorcière et Amy Winehouse, cette fois la comparaison porte sur Marilyn Monroe, une autre star restée éternellement jeune car disparue trop tôt. Tout comme, je crois, son Parsifal, un film sur la starlette s'affiche pendant l'ouverture où l'on revoit quelques images, du glamour aux problèmes juridiques d'une des blondes les plus iconiques.
Car toute starlette désire rester éternellement jeune, pouvoir attirer tous les hommes et les rejeter comme une mante religieuse. Elena Makropoulos ne séduit que pour arriver à ses fins, jamais pour l'amour véritable, ou si peu avec Maxi, et c'était il y a si longtemps. Elle possède la richesse, la notoriété, les hommes et ce depuis 337 ans. Et à quel prix! Elle trompe tout le monde, ne peut plus vivre avec elle même, obligé même d'exciter les sens de son arrière petit-fils, qui a un sérieux complexe d'Oedipe.
Elle ne sait plus ce qu'est l'amour ou n'en veut plus, sa nuit avec Prus est aussi glaciale que son attitude envers le fils de celui ci. Les deux hommes désirent la même femme, elle joue de cette opposition pour obtenir ce qu'elle veut, entrainant même la mort du fils. Comme s'il était contre-nature de désirer la même femme que son père. Et pourtant elle continue d'attirer les hommes pour les perdre, comme envoyée par Dieu pour révéler aux hommes qu'à travers le temps ils n'ont pas changé et ne se sont toujours pas racheté. Makropoulos ou Marilyn, icône du désir éternel de l'homme.
Et Krista, la jeune première finit par s'habiller comme Elena, même perruque blonde, même robe blanche, et elle désire tant posséder la formule de jouvence. Elle ne semble pas trop pleurer la mort de son amoureux Janek, elle désire le pouvoir et la séduction. Les hommes ne sont pas les seuls à être sombrement dépeint, les femmes apparaissent initialement innocente, puis rapidement perverties.
Je ne ressens aucune compassion pour Elena pendant l'œuvre. Cependant aux derniers instants, alors qu'elle raconte son histoire et qu'elle se meurt, la pitié finit par arriver. Sa malédiction nous apparait comme une horreur et nous ne la souhaiterions à personne. Si elle a pu tromper le monde des hommes, elle n'a jamais pourtant trahi son âme ou Dieu. En annonçant à la maternité son véritable nom pour son fils, Makropoulos, elle montre qu'elle garde une certaine dignité et que son (long) passage sur Terre, s'il est contre-nature, ne doit pas pour autant mettre entièrement en cause la société humaine.
La mise en scène fonctionne et ne dénature pas l'opéra. Elle n'est certes pas très lumineuse et on se sent un peu enfermé dans cette atmosphère suffocante. Certains éléments font paraitre le décor un peu vieilli, comme ce King Kong passablement inutile et qui semble sorti du Cendrillon de Noureev. Mais Warlikowski réussit de nouveau le pari de livrer son interprétation la plus totale de l'œuvre. Il semble un peu perdu aux applaudissements, mais tout me monde lui sourit, ravi d'avoir fait passer une bonne soirée au public clairsemé de Bastille.
Alceste
Palais Garnier
19 septembre 2013
Mise en scène : Olivier Py ; Direction musicale : Marc Minkowski et les musiciens du Louvre Grenoble ; Admète : Yann Beuron ; Alceste : Sophie Koch ; Le Grand Prêtre d’Apollon : Jean-François Lapointe ; Hercule : Franck Ferrari ; Soli ténor : Stanislas de Barbeyrac ; Soli soprano : Marie-Adeline Henry ; L’Oracle : François Lis ; Soli alto : Manuel Nunez-Camelino. Apollon : Florian Sempey.
Alors que l'Opéra consacre sa rentrée aux femmes tragiques, voilà pourtant une œuvre où l'héroïne survit, ´heureuse´ avec ses enfants et son mari. Mais rien à la fin de l'œuvre, si ce n'est le texte, ne montre qu'Alceste est heureuse de la clémence des dieux de l'Enfer. Son sacrifice a été vain, elle ne mourra pas en martyre mais restera éternellement vivante au coté d'Admète. À la différence de nombreux couples lyriques, ici le couple est déjà marié. C'est comme s'ils avaient besoin de retrouver la fraicheur de leurs premiers instants. Mais rien, ni même l'approche de la mort ne réussit. Elle en est comme triste sous son voile noir que son mari n'ose pas enlever alors que le rideau se ferme. Une Ombre d'elle même, une Eurydice.
Alceste est un opéra triste, du début à la fin, à l'exception de quelques airs de liesse populaire qui ne servent que de faire valoir aux malheurs d'autrui. Nous ne voyons rien de la Thessalie, uniquement cette opposition entre les vivants et les morts (et les quasi morts en transition). C'est sans doute sur ce diptyque qu'Olivier Py choisit d'axer ses décors et costumes tout en noir et blanc.
Des artistes passent le spectacle à dessiner à l'aide de craie le décor sur des appuis noirs. Au fur et à mesure, les décors prennent forme et vie. Il suffit de quelques secondes pour effacer la porte des enfers qui a enlevé Admète et englouti Alceste et qu'elle soit remplacée par une vue calme de la mer. Cet incessant mouvement de va et vient des dessinateurs nous offre un plateau en éternel activité. Si les grands de ce monde se torturent sur la vie et la mort, les autres vivent et travaillent à l'édification des monuments et de la nature.
Je n'ai néanmoins pas tout suivi, pourquoi le premier décor est-il un dessin, certes grandiose, du Palais Garnier? Et le dernier celui du rideau de scène? Ai-je loupé un parallélisme de toute l'œuvre avec une académie de musique? Le flou s'accentue avec le troisième acte, où l'Orchestre s'est tout bonnement installé sur le restreint plateau de Garnier (on frôle la version concert, si ce n'était pour la brève utilisation de la fosse). Avec la glorification permanente, et dans l'œuvre et dans la mise en scène, d'un Apollon musagète qui, du haut de Garnier, brandit sa lyre, c'est comme si Py indiquait que la musique sauvait tout. Mais nous ne somme pas ici dans Orphée, la musique ne sert pas à accéder au royaume des morts ou à charmer les dieux. Elle est un support pour l'histoire.
Si une telle méthode de décor est tout à fait passionnante, c'est dommage que le même principe des craies soit utilisé pour énoncer sur un tableau noir des sortes de titre pour chaque passage: la mort n'existe pas, Ananké (incompréhensible pour qui n'a pas fait de grec), La musique sauve tout ou encore La nuit d'été (à peine lisible tant le tableau est humidifié). Sans doute trop intellectualisé.
L'ensemble crée une mise en scène très esthétique et dynamique, en pleine mise en valeur des chanteurs. Sophie Koch brille, et me rappelle étrangement son rôle de Freia dans Rheingold où, enlevée par les géants, elle est restituée à sa famille mais n'en est pas pour autant heureuse. Alceste parait triste en revenant dans le monde des morts. Sa voix m'enchante notamment dans ses deux premières airs, ceux où ses malheurs semblent les pires. Étonnamment par la suite, une fois son mari revenu, les frissons sont moins présents, mais elle reste globalement très émouvante et s'est bien insérée dans le travail de Py.
Du coté des hommes, je remarque notamment le grand prêtre de Lapointe, véritable second rôle de l'œuvre qui assoit directement sa voix. Admète en comparaison me semble plus pâle. S'il ne démérite pas, j'imaginais une meilleure présence. Les quatre solistes qui campent les rôles des parques, divinités mineures ou hérauts du peuple m'ont particulièrement plu, surtout le ténor dont la voix envahit l'espace et la soprano qui dépasse sans souci ses amis.
Enfin Franck Ferrari s'amuse sur scène, à jouer un Hercule tout aussi amusant qu'inutile pour l'histoire. Le deus ex machina dans sa splendeur qui, d'un coup de baguette magique libère les époux des Enfers. Py en fait donc un magicien de pacotille, qui fait sortir des mouchoirs et des colombes de son haut de forme. Sa voix puissante est un délice qui nous vivifie de nouveau quelques instants avant la fin.
Le Gala des Etoiles
Théâtre des Champs Elysées
20 septembre 2013
Dès que j’y vais, je suis toujours tiraillé entre le « je n’y retourne jamais je déteste le format » et « quelle bouffée d’air de voir d’autres danseurs de talent à Paris. » Cette année, j’étais particulièrement fatigué en arrivant au TCE, et l’ambiance dans la salle m’a exténué. Mais passé les premiers éléments (listés ci-dessous), on y passe un très beau moment de danse.
Si seulement il n’y avait pas eu ça :
- Le bug technique de la lumière et du rideau. On ne comprend pas très bien pourquoi la lumière se fait pour les applaudissements d’Evan Mckie, qui se sent à la fois flatté et perdu. Tant pis, on l’applaudit encore plus.
- La musique qui grésille, dès le début, et qui empire avec les derniers morceaux, notamment la troisième de Mahler. En plus, la musique n’est parfois même pas lancée au bon moment. Le public finit même par se moquer de la bande son de Flammes de Paris.
- Les mécènes russes qui se croient au Bolchoï et débarquent au choix en robe longue ou alors en t-shirt. Et ils ne semblent déranger personne en arrivant tranquillement après l’extinction de la lumière et le lever du rideau. Et à applaudir on ne sait pas trop quoi.
- L’aspect gala trop (mal) médiatisé. Oui, évidemment, c’est Simkin qui a été utilisé pour l’ensemble de la communication, et donc c’est le seul danseur à se faire applaudir en entrant sur scène, ce que je ne trouve pas tout à fait correct. Puisqu’il apparait dans des articles du Figaro et des Echos, on succombe rapidement au star system.
Je ne pars pas danse une réflexion (vide) sur la pertinence ou non du principe du gala, les danseurs présents semblent rompus à cet exercice, tout comme la plupart des morceaux choisis. Je décide donc ainsi de remettre les prix suivants :
- Prix Un Certain Regard : Basbayeva et Gatauov de l’Opéra D’Astana.
Je n’ai pas tout fait compris ce qu’ils faisaient là entre les énormes talents présents plus connus. Certes, cela aurait pu être la découverte de la soirée, mais non. Ils étaient présentés en ouverture de la soirée, dans le pas de deux de la Fille mal gardée. Ils étaient tous les deux évidemment stressés. Elle a réussi à donner un peu de vie à sa variation, mais ca reste un peu trop droit. Lui tremble presque.
Ils ont ensuite voulu danser le pas de deux de Flammes de Paris, entre mon souvenir d’Osipova/Vasiliev et les bugs musicaux, ce n’est pas vraiment ça, ils reçoivent en prime le prix de la participation.
- Prix Espoir Jeune : Mattia Russo, Daan Vervoort et Kayoko Everhart de la Compania Nacional de Danza
José Martinez était de passage à Paris pour encourager trois de ses danseurs. Il en a profité pour passer voir Alceste à Garnier et s’asseoir devant moi lors du gala.
Le premier duo nous offre une sympathique chorégraphie moderne, sur une musique minimaliste, comme un murmure, qui finit même par s’arrêter quelques instants. Je n’ai pas tout à fait compris de quoi il s’agissait, c’était tout ce que j’aimais, de la danse pour la danse. Ils n’y étaient peut-être pas tout à fait à l’aise, mais l’effet global était bon.
La deuxième partie m’a moins emballé, dans une ambiance musicale plus torride et espagnole, avec de jolis mouvements certes mais un ensemble qui nous laisse un peu sur notre faim.
Passons, le bilan espagnol est dans l’ensemble très correct.
- Prix Hommage aux Habitués : Julien Favreau et Elisabeth Ros, Béjart Ballet Lausanne
Favreau et Ros, ce sont toujours des bonheurs à voir, même si cela aurait été sympa de découvrir Kateryna Shalkina, mais le duo star du Béjart Ballet Lausanne ne refuse pas.
Béjart en gala, c’est très bien, on comprend tout de suite l’esprit, cela met en valeur facilement et rapidement les interprètes. Ainsi les jambes vertigineuses de Ros et ses bras qui s’agitent font d’elle un oiseau, comme un cygne, qui réveille Favreau d’un sommeil ou alors appartient à son rêve. L’extrait permet en quelques secondes un cours de classiques, avec les pointes et les positions les plus impressionnantes. L’effet est tout de suite impeccable. Favreau réussit toujours à paraitre très viril et jeune premier, avec un charisme qui m’impressionne à chaque fois.
Pour le second extrait, Wien Wien, après un pas plus classique qui s’inscrit sans souci dans l’optique gala, ils choisissent de se faire plaisir dans une œuvre qui me rappelle par moment le duo Black Cake de Von Manen. Ils semblent s’amuser, se sourient l’un à l’autre. Ils n’ont plus besoin de prouver leur technique ou de briller particulièrement, ils le font naturellement. Indéniablement des étoiles.
- Prix Découverte bienheureuse: Maria Kochetkova et Taras Domitro du San Francisco Ballet
La nouvelle maison de Mathilde Froustey nous a envoyé deux très bons éléments. Ils ont suivi à la lettre le manuel du gala : un énorme classique du répertoire et un pas plus contemporain.
Bordelands est très sensuel, vivant et attirant. Les deux danseurs font preuve d’une très bonne technique et d’une interprétation lyrique, mais je ne garde pas un souvenir impérissable de cette chorégraphie.
Ils clôturent la soirée avec le feu d’artifice quichotte-ien (c’était ça ou Le Corsaire, sinon un gala de danse n’en est pas un) qui pourrait faire pâlir quelques étoiles du côté de la grande boutique. Enjoué, énergétique, du début à la fin on ne lâche pas les danseurs des yeux. J’ai toutefois l’impression que la chorégraphie est plus simple que celle de Noureev et il n’y a pas de piqués avec l’éventail, ce qui perd un peu de son charme.
- Prix de l’habitué heureux : Evan McKie de Stuttgart.
De nouveau seul invité de Stuttgart cette saison, Evan nous offre deux solos intéressants. Je sens qu’il a surtout voulu se faire plaisir pour le premier, Sturm, comme s’il était enfermé fou dans une salle sans avoir la clef. Je suis un peu passé à côté, mais je le sentais heureux sur scène.
J’ai beaucoup plus apprécié le superbe Capriccio, un solo très entrainant qu’on ne lâche pas du regard et où chacun des mouvements du danseur, des bras aux jambes, semblent signifier quelque chose. C’est toujours un bonheur de le voir sur scène et j’aimerais bien le revoir inviter dans un grand ballet classique !
- Prix du feu d’artifice : Simkin (et sa partenaire Yana Salenko de Berlin)
Je l’avais vu il y a quelques années danser Les Bourgeois au TCE et j’avais à peu près oublié qui il était jusqu’à ce qu’on me ravive la mémoire. Oui oui le petit prodige était toujours là, et de plus en plus connu. Depuis l’ABT, il s’amuse à New York, semble se moquer de la gravité, revoit des sauts de plus en plus époustouflants.
C’est la bête de cirque, la bête à gala. Ou encore l’anti-Polunine. Il n’a pas besoin de se torturer l’esprit, il danse, il est heureux, il aime se faire applaudir. Chacun de ses pas entraine des OHHHHH et des AHHHH. Sa partenaire, Yana Salenko de Berlin, est tout à fait au niveau. Elle nous rappelle à la réalité en représentant la danseuse hors pair qui sert de partenaire au génie. Leur pas Stars and Stripes, hilarant par son thème militaire et sa volonté nationaliste, est ainsi une vraie merveille pour le feu d’artifice et les mets tous les deux en valeur.
Le second extrait, La Pluie, est un peu plus étrange, il offre d’abord la scène au seul Daniil dans un solo très énergétique de pyrotechnique, pour finir par un pas plus romantique sur de la musique de piano accompagnée par un doux murmure. C’est un bref moment, pendant lequel je me demande si oui ou non il serait capable de danser un rôle de prince plus lyrique, un Siegfried ou un Désirée. En tout cas je me dis de plus en plus que je vais aller voir son Basilio au Palais des Congrès. Des feux d’artifice de temps en temps, ca fait du bien.
La Dame aux Camélias #1 (Letestu/Bullion)
Opéra de Paris
Palais Garnier
21 septembre 2013
Marguerite : Agnès Letestu ; Armand : Stéphane Bullion ; M. Duval : Michaël Denard ; Prudence : Nolwenn Daniel ; Le Comte : Simon Valastro ; Nanine : Christine Peltzer ; Manon Lescaut : Eve Grinsztajn ; Des Grieux : Christophe Duquenne ; Olympia : Myriam Ould-Braham ; Gastion Rieux : Nicolas Paul
Dumas, Verdi .... Neumeier. À voir ce ballet, je me dis que cette histoire fait décidément beaucoup parler d'elle, avec à chaque fois autant de poigne, pourtant sous des aspects bien différents. La courtisane malade qui trouve l'amour mais le père du jeune homme implore la jeune femme qui retourne alors à ses occupations antérieures avant de mourir dans la solitude.
Chaque artiste ayant exploré différemment la dramaturgie initiale, Neumeier choisit de revenir à la source: que s'est-il réellement passé entre Armand et Marguerite? Suspens insoutenable certes, mais dont les réponses se trouvent dans le roman plus que dans la pièce de théâtre: Armand était en voyage à l'étranger lors de la mort de celle qui était devenue comtesse ; il avait succombé aux charmes d'une amie de Marguerite. Et ici nous insistons sur la comparaison avec Manon et Des Grieux qui parait tout d'un coup si évidente. Quelques modifications donc par rapport à l'histoire de Traviata.
Tout comme Roland Petit qui choisit la musique de Bizet pour son Carmen, il aurait été facile pour Neumeier de prendre des extraits du chef d'œuvre de Verdi pour accompagner son ballet. Que nenni, de nouveaux personnages, une intrigue en partie remaniée, il faut trouver autre chose. Cela ne m'empêche pas de voir çà et là des images sorties de Verdi, quand Marguerite/Violetta donne un camélia à son jeune amant (ebben, domani) ou encore quand Duval/Germont vient demander à la courtisane d'abandonner son fils. La musique sera donc du Chopin, accompagné d'un orchestre pour vivifier l'ensemble, notamment des valses, dont la Brillante de Dances at a gathering.
En sortant d'une répétition de ce ballet, je m'étais réellement demandé quelle idée j'avais eue de prendre trois dates. J'avais l'impression (à l'inverse d'autres) de voir un Onéguine réduit. Au bout du compte, en voyant l'œuvre dans sa pleine version spectacle, je me dis effectivement que cela me rappelle Onéguine.... mais en mieux! Là où parfois le bal du dernier acte du ballet de Cranko me fatigue un peu, je n'ai pas trouvé un moment qui m'ennuyait chez Neumeier. Alors oui l'œuvre est longue, mais je ne saurais pas où couper. [Pour la liste de comparaisons des ballets néo classiques Onéguine-Manon-La Dame, nous vous préparons quelque chose avec blog à petits pas.]
Entrons (enfin) dans le vif du sujet, les interprètes. Letestu disait qu'elle y avait trouvé le rôle de sa vie, et je vois bien qu'elle s'y sent tout à fait naturelle, notamment avec son partenaire de longue date Stéphane Bullion. Elle vit pleinement la dramaturgie, et tout aussi actrice que danseuse. Lorsqu'elle souffre, j'y crois.
Évidemment la chorégraphie n'est pas des plus simples, notamment quand Marguerite passe de partenaire en partenaire. Lorsqu'elle se retrouve portée par Alexis Renaud, elle a l'air un peu tendue. Quand je la vois prête à danser avec Valastro, c'est moi qui me tends. Mais dès qu'elle se retrouve avec Bullion tout semble bien aller. Sa taille lui confère une telle grâce qui la magnifie et la sanctifie presque dans un tel rôle. Chacune de ses intentions, palpables à la vue de ses mains, de ses pieds, laissent montrer qu'elle est bien au top de sa forme et qu'il est bien dommage qu'elle quitte la compagnie à la fin de la série.
Les pas de deux sont nombreux et fatigants, et pourtant elle ne montre pas de signes de fatigue. Je sens qu'elle a voulu donner le meilleur d'elle même pour ces représentations. Jusqu'au pas avec Mickael Denard, qui commence d'ailleurs à fatiguer, elle est attendrissante et réussit à calmer l'état du vieil homme qui finit par voir une fille en elle. Si leur pas de deux n'est pas particulièrement gracieux, je trouve que ce décalage colle tout à fait avec l'histoire.
Bullion quant à lui fatigue plus vite, assis devant lui au parterre, je le vois suer et respirer fort, le rôle est usant. Je trouve qu’il le danse très bien, le partenariat fonctionne c'est certain. Il est juste dommage qu'il ne travaille pas davantage sa dramaturgie. Il ne sourit....jamais. Il n'a jamais l'air étonné, heureux. La tristesse éventuellement lui va bien. Quand il doit paraitre énervé lors de la représentation de Manon Lescaut, il se contente de partir sans réaction furieuse. Mais bon, je trouve qu'il est naturellement charismatique donc ca rattrape un peu, tout à la fois imposant, séduisant et fragile.
Pour les autres rôles, il y a un peu de tout. Ould Braham ne réussit pas à être aussi bitch que Grinsztajn en Olympia, mais son regard mutin la rend parfois bien snob et chipie tout comme il faut. C'est un peu dommage de la voir au milieu du corps de ballet, mais elle y brille, comme toujours. Nolwenn Daniel hérite du rôle de Laurence, la bonne amie, mais n'est pas aussi attentionnée et amoureuse que pouvait l'être Mélanie Hurel. Enfin Grinsztajn nous campe une Manon malicieuse et libertine puis désolée et souffrante. Plus je la vois, plus j'apprécie cette danseuse.... Leurs partenaires masculins font tous preuve de bonne volonté mais Nicolas Paul semble un peu dépassé par son étoile de partenaire. Duquenne, comme à son habitude, est toujours très charismatique.
Je sors la gorge un peu nouée. Les applaudissements sont très chauds et la moitié de la salle est debout. J'imagine déjà la foule en délire pour les adieux.... A dans deux semaines!
Roméo et Juliette russe, mais terne
Théâtre Bolshoï
10 mai 2013
Yuri Grigorovich, Serge Prokofiev
Direction musicale: Andrey Anikhanov
Juliette: Anna Nikulina; Roméo: Alexander Volchkov; Tybalt: Mikhail Lobukhin; Mercutio: Andrey Bolotin; Pâris: Vladislav Lantratov
Vérone, Renaissance, Shakespeare, les thèmes portent pourtant bien vers le raffinement et l'élégance. Si je ne suis pourtant pas particulièrement chauvin vis à vis du ballet de l'Opéra, il faut pourtant avouer que le Roméo et Juliette de Noureev est un des plus beaux spectacles de ballet qu'il soit donné à voir, autant pour la chorégraphie que les costumes et les décors.
La version du Bolchoï de Grigorovitch, qui date de 1979 et qu'ils ont eu la sotte idée de remettre sur scène, ne rend absolument pas hommage à la beauté de la Renaissance et me rappelle tristement les affiches de ce ballet de plus humbles compagnies d'Europe de l'Est, un peu kitsch et sans raffinement. Il est bien dommage pour une compagnie aussi douée et mondialement connue que le Bolchoï de disposer d'une version aussi peu esthétique d'un ballet pourtant vendeur et qui change des Bayadères et autres Lac des Cygnes.
La scène est coupée en deux. Au fond, le lit de Juliette, la cérémonie du mariage, les tribunes de spectateurs de bataille. Presque toute la narration s'y déroule. Comme je l'ai expliqué ici, la scène du Bolchoï est gigantesque; sans jumelles il semble impossible de pouvoir voir en détail l'intrigue. Devant cette arrière scène, un rideau noir et rouge transparent qui sera donc le seul décor du reste de l'espace scénique.
Les costumes ne suivent pas ce qui semble pourtant s'imposer comme une évidence, c'est à dire la séparation en deux ou trois couleurs pour l'ensemble du ballet: Montaigu, Capulet et les partisans du Prince (ici un Duc). Je m'y perds donc, ne réussissant que difficilement à repérer dès la première scène si c'est Tybalt ou Roméo qui se traine comme cela en diagonale à travers la scène. Je trouve dans l'ensemble les costumes bien pauvres.
Une fois finie cette liste d'accusations, je reviens à l'essence même du Bolchoï, la danse. Là, enfin, je retrouve l'énergie et la beauté qui manque à cette production. Finalement, dans cet espace épuré de décor, la danse en ressort presque mieux, mais je n'ai donc pas toujours l'impression que l'on me raconte une histoire.
Mercutio et Tybalt, les deux opposés, me semblent ici danser bien plus que dans la version parisienne. Ce qui m'impressionne le plus chez Mercutio est sa capacité à se rattraper pour réussir à cacher ses cafouillages. Il brille dans sa variation, réussissant à chauffer la triste salle de bal des Capulet, qui se réveille à peine lors de la danse des chevaliers. Sa scène de mort est une vraie tragédie, le poète entouré de sa foule de bouffons réussit à m'émouvoir. Tybalt me semble un peu plus en retrait mais me marque cependant lors de son irruption entre Roméo et Juliette, avec une violence de caractère remarquable.
La douce Juliette et Roméo forment un couple idéal, plein de jeunesse et d'entrain. Elle est fraiche, timide, se laisse porter par ses parents, sa nourrice, par son amant. Ses jolis pointes tournent sur la grande scène. Elle est pleine de poésie et semble écraser par le poids qui repose sur ses épaules. Mais elle semble un peu à part de l'histoire, servant d'excuse à Roméo pour danser. Les pas de deux sont surs, passionnés et lyriques, mais surtout grâce à lui.
La vraie surprise reste ce Roméo de Volchkov. Décidément devant mes différents ballets moscovites j'aurais été impressionné surtout par les hommes qui m'ont toujours paru avoir des rôles plus important qu'à Paris. Ce blond Roméo réussit à nous faire croire au passage du jeune homme romantique à l'adulte qui affronte ses réalités en face et prend en main sa vie. On voit d'ailleurs bien peu l'autorité paternel qu'il respecte, pour nous indiquer sa prise d'indépendance. Depuis son arrivée sur scène (applaudie évidemment), jusqu'à sa mort, les manèges se succèdent avec une finesse élégante et une très bonne présence scénique. Il vole à travers le ballet. Finalement, j'ai plus l'impression de voir la vie de Roméo que celle du couple.
Il manque à cette production le piquant narratif. La nourrice n'est pas très amusante, Pâris m'a semblé absent. L'histoire semble passer à la va-vite. Nous ne voyons pas l'arrestation de père Laurent avant Mantoue, ni la réconciliation ultime des familles, comme si le sacrifice des deux amants n'avait servi à rien. Ce qui est bien dommage puisque leur ultime pas de deux dans la mort nous faisait croire à une véritable histoire d'amour.
Pierrot Lunaire / Paroles et Musiques
24 septembre 2013
Théâtre de l'Athénée
Compagnie Le Balcon, avec Damien Bigourdan et Eric Houzelot, sous la direction de Maxime Pascal
Finalement j'écris quand même quelques mots sur ce diptyque présenté au Théâtre de l'Athénée où j'ai pu assister à la générale. Peu de connaissances en arrivant sur place, mes attentes sont donc limitées au nom connu de Pierrot Lunaire et à Beckett. Deux pièces absurdes pour un résultat plaisant, dont Paroles et musiques aurait pu être le nom global.
La musique de Schönberg restait pour moi un mystère, ne l'ayant jamais entendue mais le nom restait en tête. Finalement c'est une musique qui semble presque intellectuelle, compliquée à saisir et à comprendre, mais pas désagréable à écouter, avec ses coups de vents et de cordes qui paraitraient presque aléatoires, mais sont finalement si bien organisés. Je n'ai pas réussi à comprendre le texte énoncé, j'en retiens des bribes, la diction pourrait être améliorée même si j'imagine la difficulté d'un tel texte.
Apparemment la difficulté de cette œuvre est de réussir à balancer entre chant et la diction (sprechgesang) et la plupart des interprètes préfère même parler plutôt que chanter. Ici il choisit le chant, une bien belle solution, sa voix nous emmène dans les abymes et les obscurités de ce Pierrot complètement fou à la voix nasillarde. La mise en scène, simple, nous met directement dans l'état d'esprit. Cette lune qui monte au dessus de l'orchestre et règle les humeurs de Pierrot, affichant une vidéo qui circule à travers la salle, où alors montrant de très près le travail de Pierrot ou encore affichant un œil supérieur qui voit tout. Une tête ensanglantée, un Pierrot qui, fou, court dans toute la salle, un violoncelle assassin dont le pied transperce la tête au sol.
Cette œuvre mérite sans doute d'être revue pour mieux saisir les nombreuses subtilités qui doivent s'y glisser. Je suis content, je n'ai pas fait d'allergie à Schönberg.
La pièce qui suit relève plus du théâtre, où la musique joue un rôle à part entière. Beckett, avec son éternel modèle du vieil homme en réflexion qui semble perdu et s'appuie sur d'autres personnages plus énigmatiques. Le vieil homme est situé au premier rang du parterre et on devine à peine qu'il bouge ses lèvres. Ses deux acolytes sont la musique et un jeune homme insolent (qui ne prononce pas le d de Milord), la première réussissant à calmer, comme une drogue, les anxiétés du personnage.
Un moment agréable où l'on s'amuse à suivre les sauts d'humeur du personnage et à attendre les réactions des musiciens qui se cachent derrière le rideau.
Le Détachement féminin rouge
Théâtre du Châtelet
1er octobre 2013
Ballet National de Chine
Zhang Jian, Zhou Zhaohui, Li Jie, Wang Qi, Wang Hao
On peut osciller entre un nom de compagnie de l'Est un peu pipeau ou une troupe de kabuki version Chine en entendant le nom Le Ballet national de Chine. En creusant un peu plus, on trouve que l'école chinoise de danse est bel et bien véritable et à été formé par Makarova, une déserteuse russe (passée de l'Est à encore plus à l'Est). En se renseignant encore plus, on découvre que la compagnie vit dans des conditions folles, tous dans le même immeuble en face du théâtre, avec les cours qui s'alignent toute la journée.
Pour passer au spectacle, après la révolution culturelle, qui éradiqua les princes, cygnes et autres prêtresses du répertoire, il n'y resta que deux œuvres dont celle ci. Évidemment, une œuvre de propagande qui brasse tous les clichés, l'amour du drapeau, du chant patriote, du sacrifice pour la nation, du refus des sentiments personnels et, surtout du capitalisme.
C'est bien simple, il fait beau chez les communistes, les palmiers poussent dans une oasis qui ressemble fort au jardin d'Eden, le tout dans un décor d'un kitsch effrayant. Alors que les capitalistes vivent, telles des fourmis, dans le noir permanent (le soleil ne perce jamais les tours de La Défense, de la City ou de Wall Street), où les gens marchent, courbés sous l'échine du Dieu dollar et de la canne du méchant Propriétaire Terrien. À la fin, le soleil percera, les capitalistes mourront sous l'effort collectif et le sacrifice de l'individualisme, et la foule se réjouira.
Il y a quand même une histoire, une jeune fille s'échappe de son esclavagiste de maitre, qui pense ensuite la laisser morte, tuée par ses sbires. Elle rejoint alors le camp du bonheur, se joint à leur cause et retourne chez son maitre. Mais sa haine personnelle prend le dessus et elle lance l'assaut trop vite, tuant alors un travail de longue haleine. Ses amis se détournent de son regard. Vous pleurez? Moi aussi. Le méchant Propriétaire Terrien s'échappe par un rocher qui s’ouvre [oui le capitaliste est magicien].
Heureusement, le pardon arrive rapidement, et après une remise symbolique d'épée, voilà venu le temps de la guerre. Le chef, qui a soudainement perdu son arme, se sacrifie pour le reste de la légion, et se fait attraper par les méchants. Mais il ne meurt jamais et, tel superman, résiste aux balles, aux jets de pierre, aux armées de 20 soldats. Seul son sacrifice dans un bucher [soudainement apparu] l'achèvera. Le reste de la compagnie revient pour finir tout le monde et glorifier le sacrifice du défunt, pour ensuite célébrer la victoire.
Effectivement, comme Les Balletonautes nous le rappellent si bien, nous avons, sans doute pour la première fois, un ballet qui ne traite pas d'amour entre deux personnes, mais de l'amour de la patrie. Le patriotisme comme thème principal, j'avoue que je n'y avais jamais pensé. Même si le déjà très propagandiste Flammes de Paris traitait de la mort du bourgeois en plein ère communiste, il y avait en plus deux histoires d'amour. Ici, rien du tout.
Mais cela ne contrarie finalement pas la nature du ballet! Il y a quand même des pas de deux ou plus, des ensembles de corps de ballet, des variations et des instants de grâce et de virtuosité. Je trouve les hommes dans l'ensemble bien plus faibles dans leur technique, et ils cachent ces faiblesses dans des acrobaties époustouflantes. Chez les femmes en revanche, de réels talents qui doivent rendre très bien dans un répertoire plus habituel.
La danseuse principale nous offre de superbes sauts, ainsi que de nombreux développés d'une qualité époustouflante. La chorégraphie est malheureusement assez pauvre et j'ai l'impression que, comme la musique, elle se répète à l'infini. Mais je ne boude pas mon plaisir de voir une technique affirmée et une histoire qui, bien que navrante, se comprend sans problème. Les seconds rôles féminins sont également impressionnants, toujours avec cette même précision dans la technique,
Un ballet qui en est donc bien un, mais qu'il est important de remettre dans son contexte d'œuvre (quasi) unique à l'affiche d'un théâtre pendant une décennie, comme tout autre film de propagande. Un message du Parti via un média qui paraitrait occidental.
Théâtre du Châtelet
1er octobre 2013
Ballet National de Chine
Zhang Jian, Zhou Zhaohui, Li Jie, Wang Qi, Wang Hao
On peut osciller entre un nom de compagnie de l'Est un peu pipeau ou une troupe de kabuki version Chine en entendant le nom Le Ballet national de Chine. En creusant un peu plus, on trouve que l'école chinoise de danse est bel et bien véritable et à été formé par Makarova, une déserteuse russe (passée de l'Est à encore plus à l'Est). En se renseignant encore plus, on découvre que la compagnie vit dans des conditions folles, tous dans le même immeuble en face du théâtre, avec les cours qui s'alignent toute la journée.
Pour passer au spectacle, ce fut longtemps, après la révolution culturelle, qui éradiqua les princes, cygnes et autres prêtresses du répertoire, il ne resta que deux œuvres dont celle ci. Évidemment, une œuvre de propagande qui brasse tous les clichés, l'amour du drapeau, du chant patriote, du sacrifice pour la nation, du refus des sentiments personnels et, surtout du capitalisme.
C'est bien simple, il fait beau chez les communistes, les palmiers poussent dans une oasis qui ressemble fort au jardin d'Eden, le tout dans un décor d'un kitsch effrayant. Alors que les capitalistes vivent, telles des fourmis, dans le noir permanent (le soleil ne perce jamais les tours de La Défense, de la City ou de Wall Street), où les gens marchent, courbés sous l'échine du Dieu dollar et de la canne du méchant Propriétaire Terrien. À la fin, le soleil percera, les capitalistes mourront sous l'effort collectif et le sacrifice de l'individualisme, et la foule se réjouira.
Il y a quand même une histoire, une jeune fille s'échappe de son esclavagiste de maitre, qui pense ensuite la laisser morte, tuée par ses sbires. Elle rejoint alors le camp du bonheur, se joint à leur cause et retourne chez son maitre. Mais sa haine personnelle prend le dessus et elle lance l'assaut trop vite, tuant alors un travail de longue haleine. Ses amis se détournent de son regard. Vous pleurez? Moi aussi. Le méchant Propriétaire Terrien s'échappe par un rocher qui s’ouvre [oui le capitaliste est magicien].
Heureusement, le pardon arrive rapidement, et après une remise symbolique d'épée, voilà venu le temps de la guerre. Le chef, qui a soudainement perdu son arme, se sacrifie pour le reste de la légion, et se fait attraper par les méchants. Mais il ne meurt jamais et, tel superman, résiste aux balles, aux jets de pierre, aux armées de 20 soldats. Seul son sacrifice dans un bucher [soudainement apparu] l'achèvera. Le reste de la compagnie revient pour finir tout le monde et glorifier le sacrifice du défunt, pour ensuite célébrer la victoire.
Effectivement, comme Les Balletonautes nous le rappellent si bien, nous avons, sans doute pour la première fois, un ballet qui ne traite pas d'amour entre deux personnes, mais de l'amour de la patrie. Le patriotisme comme thème principal, j'avoue que je n'y avais jamais pensé. Même si le déjà très propagandiste Flammes de Paris traitait de la mort du bourgeois en plein ère communiste, il y avait en plus deux histoires d'amour. Ici, rien du tout.
Mais cela ne contrarie finalement pas la nature du ballet! Il y a quand même des pas de deux ou plus, des ensembles de corps de ballet, des variations et des instants de grâce et de virtuosité. Je trouve les hommes dans l'ensemble bien plus faibles dans leur technique, et ils cachent ces faiblesses dans des acrobaties époustouflantes. Chez les femmes en revanche, de réels talents qui doivent rendre très bien dans un répertoire plus habituel.
La danseuse principale nous offre de superbes sauts, ainsi que de nombreux développés d'une qualité époustouflante. La chorégraphie est malheureusement assez pauvre et j'ai l'impression que, comme la musique, elle se répète à l'infini. Mais je ne boude pas mon plaisir de voir une technique affirmée et une histoire qui, bien que navrante, se comprend sans problème. Les seconds rôles féminins sont également impressionnants, toujours avec cette même précision dans la technique,
Un ballet qui en est donc bien un, mais qu'il est important de remettre dans son contexte d'œuvre (quasi) unique à l'affiche d'un théâtre pendant une décennie, comme tout autre film de propagande. Un message du Parti via un média qui paraitrait occidental.
La Favorite de Spontini ne me plait pas tout à fait
Théâtre des Champs Elysées
18 octobre 2013
Mise en scène : Eric Lacascade ; Direction musicale : Jérémie Rhorer ; Julia : Ermonela Jaho ; Licinius : Andrew Richards ; La Grande Vestale : Béatrice Uria-Monzon ; Le Souverain Pontife : Konstantin Gorny
Le Cercle de L’Harmonie, Chœur Aedes.
Retour lyrique au Théâtre des Champs, un peu fatigué mais attendant, comme souvent, avec hâte un opéra que je ne connaissais pas du tout, tout comme Spontini, le compositeur. Je me trouve alors devant une œuvre équilibrée et sensible. Qu’en est-il pour son retour sur la scène parisienne? Finalement, comme le retour de La Favorite la saison passée, le spectacle n’est malheureusement pas un triomphe total, malgre, de forts bons interprètes.
L'oeuvre en soi est un opéra classique avec une trame qui se déroule certes sans surprise mais également sans temps mort. La Vestale retrouve son amour passé devenu défendeur de l'Empire. Celui ci se compromet en se rendant dans le sanctuaire sacré et alors que les deux jeunes gens batifolent, la flamme soudainement s'éteint. Julia est condamnée à mort, mais Licinous vient la sauver, se rebelle contre les prêtres, la flamme se rallume subitement avec l'aide de la grande prêtresse et tout le monde finit heureux.
La musique offre de belles promesses mais qui ne sont malheureusement pas tenues par Rhorer mais qui semblent peu concentré et peu maîtriser la situation, dommage, je l’ai entendu meilleur. Les grands gagnants de la soirée sont les chœurs, qui m’ont donné un très beau moment de chants aussi sacrés que populaires, de triomphe et de haine.
Eric Lacascade, homme de théâtre, proposait ici ce qui semble être sa première mise en scène d'opéra. Je ressens bien le travail de théâtre, tout est très minutieux, d’une manière qu’on voit peu d’habitude à l’opéra. Mais les chanteurs ne sont peut-être pas habitués à travailler comme des comédiens et certains choix de la direction d’acteur finissent par paraitre ridicules. Ainsi le ‘combat’ entre le Pontife et Licinius qui ressemble à un échange de coups de poing entre bons camarades ou encore la course qui clôt le ballet et n’est pas sans rappelé les ridicules traversées de scène d’Onéguine.
Le choix des costumes peut heurter, il m'a globalement laissé insignifiant. Les chemises de nuit des vestales ne reflètent que la vie oisive et ennuyante que doivent mener ces prêtresses dans un univers aussi fermé qu'un pensionnat de jeunes filles. Les hommes en revanche, j'ai moins compris l'utilisation de costumes vaguement New Age/Game of Thrones qui rendent un piètre état.
Les décors alternent entre le franchement absurde et le passable. Ainsi Julia nous murmure "Ou suis-je?" non pas depuis un tombeau mais depuis l'intérieur d'un cylindre qui trone au milieu de la scène. Ou encore ces fleurs que les prêtresses disposent un instant puis reprennent quelques airs plus tard. Non décidément non, il vaut mieux ne rien mettre.
Pour finir sur des notes plus joyeuses, je noterai des chanteurs en grande forme, et une version concert m'aurait sans doute autant plu. Pas une fausse note pour Jaho, à la fois émouvante, sensible et attendrissante. Un physique de Vestale, et une voix de princesse. En face Andrews Richard ne tient pas tout à fait la comparaison et semble parfois un peu léger, mais reste dans l’ensemble d’un bon niveau. Je reste plus convaincu par le souverain pontife, avec une voix qui se rapproche de celles qui n’existe qu’à l’opéra, celles des hommes sacrés. Enfin, j’aurais bien aimé entendre davantage Béatrice Uria-Monzion, dont le rôle de grande prêtresse est un peu court et respire la nostalgie.
Si la programmation de cette saison au Théâtre des Champs parait prometteuse, j’espère que les prochaines productions répondront davantage aux attentes !
Lang Lang Dance Project
Du peu de concerts que je suis allé voir, je cherchais quelque chose à regarder. Tout aussi belle que fut la musique, voir les musiciens travailler leurs instruments, le chef d'orchestre s'acharner ou le public s'agiter ne me suffisait pas, ou alors j'y décelais une forme de chorégraphie (des cygnes par exemple). En bref, il fallait quelque chose qui occupe mon espace visuel, l'auditif étant déjà occupé. Lang Lang semblerait répondre directement à ce problème avec son Dance Project, une compagnie de danse et un musicien de renommée, ce qui devrait théoriquement permettre une balance stable.
Éternel problème du lien entre musique et danse, laquelle doit primer? À l'exception des ballets orchestrés par Tchaikovsky ou Glazounov, la plupart des ballets classiques nous ennuient à force de Delibes et autres Minkus et n'attirent pas de grands noms de musiciens. La musique y est faite à la demande du ballet. À l'inverse, Lang Lang s'inscrit avec son projet dans une lignée déjà bien établie, la musique vient, puis les danseurs. Neumeier y avait pensé avec ses Symphonies de Mahler, Robbins avec Chopin, déjà.
À l'inverse de ces deux grands chorégraphes, l'équipe de Lang Lang n'a pas choisi de trouver un équilibre entre danse et musique. La musique prime, et la danse l'accompagne. Nous sommes donc arrivés à l'opposée de Bayadère. Ici le nom qui nous attire n'est pas celui du chorégraphe () mais du musicien. La balance penche.
Si les concertophiles ont apparemment passé un agréable moment avec le prodige chinois (ma voisine annonçant à son autre voisin qu'elle a pleuré pour la première fois devant de la musique ce soir-là), quel bilan en tirer pour un balletomane?
Les habitudes du concert priment sur le ballet, on applaudit à l'arrivée, mais uniquement le pianiste, pas les danseurs pourtant déjà en place. Nous aurons droit à un bis final, mais sans danseur. Les interprètes iront de temps en temps s'accouder au piano laqué, attendant le moment de retourner danser. La balance penche encore plus, c'est Lang Lang qui mène la danse.
La musique, nous la connaissons bien, et après une orgie de Dame aux Camélias à Garnier et une dégustation de Robbins il y a deux ans, je finis par voir des Marguerite et des hommes en bruns à chaque Nocturne. Toutefois je suis resté plus ouvert que lors du Boléro de Cherkaoui et j'ai pu détacher la musique des autres chorégraphies. Chopin me plait toujours autant, je regrette juste de ne pas encore m'émerveiller totalement devant la performance du pianiste.
Arrivons donc à l'épine, les danseurs. Je ne devrais sans doute pas parler de chorégraphies, le mot (me) désignant un ensemble construit d'une façon linéaire ou autre. Ici, je fais une indigestion de belles choses: de beaux mouvements, de beaux portés, de beaux échanges, de belles positions, de beaux danseurs. Mais rien de cohérent, rien n'est relié. Les danseurs illustrent effectivement la musique, comme le souhaitait Lang Lang, mais cela devient ennuyant pour qui n'est pas porté suffisamment sur la danse en général. Ils réagissent à la musique plus qu'ils ne s'expriment. J'assiste totalement passivement à ce spectacle, sans émotion particulière, sauf éventuellement la satisfaction de voir de jolis mouvements.
Finalement, pour continuer dans le vocabulaire comestible, j'avais devant moi un de ces gros gâteaux américains, c'est gros et plein de couleurs chimiques, mais au bout de quelques instants, on n'en veut plus. La compagnie se défend car elle est belle. Les danseuses sont grandes, jolies, souriantes, mais très lisses, alternant entre un début de lyrisme et la froideur. Les danseurs changent de l'Opéra, ils sont grands, poilus et massifs, notamment leurs jambes! Tout y est très bien fait, mais sans progression, tout a le même goût. Le spectaculaire comme le lyrique, tout est traité de la même façon. En revenant après l'entracte, je me demande pourquoi je suis revenu, vais je voir des choses nouvelles? Et non.
Les Vêpres Siciliennes
Royal Opera House
11 novembre 2013
Mise en scène : Stefan Herheim ; Direction musicale : Antonio Pappano ; Hélène : Lianna Haroutounian ; Henri : Bryan Hymel ; Montfort : Michael Volle ; Procida : Erwin Schrott
« Ca ne vous parait pas étrange d’aller à Londres pour voir un opéra français ? » m’avez demandé mon très élégant et très British voisin il y a deux saisons peu avant le lever de rideau des Troyens dans ce même Royal Opera House. Faits historiques (véritables ou non), cinq actes, un ballet : voilà les grandes caractéristiques d’un grand opéra français. Le public anglais y voit encore une source d’exotisme, là où les salles françaises n’y voient plus grand intérêt et peuvent de moins en moins supporter les coûts. Le nombre de français dans la salle semble supposer que nous y sommes toujours intéressés.
Verdi, comme Wagner, rêvait de pouvoir conquérir Paris avec un de ces ‘grands opéras,’ il a même fini par demander à Scribe, son librettiste et librettiste de tous les compositeurs français de l’époque, de rajouter un cinquième acte, pour faire plus grand opéra. Au début, Wagner a reçu une tôlée avec son Tannhäuser francisé et ballet-isé, mais Les Vêpres ont connu un joli succès avant de disparaitre du répertoire de l’Opéra alors que le public se lassait de ce type d’œuvre.
Si j’insiste sur l’aspect historique du ‘grand opéra’ symbolisé entre autres par Meyerbeer et Halévy, c’est parce que c’est le point de départ de la réflexion de Herheim pour sa mise en scène. Le décor est donc bien loin de celui de la Palerme du XIIIe. Il s’agit de celui de la salle Le Peletier, l’Opéra qui a précédé Garnier, où Degas peignait et où les vies de la Comédie Humaine se faisaient et se défaisaient.
Le combat entre les Français envahisseurs et les Siciliens nationalistes semble alors devenir une lutte entre le public de l’Opéra planqué dans les loges et la troupe de l’Opéra. Mais on y pense finalement bien peu et (heureusement) l’opéra ne devient pas un pamphlet marxiste contre la bourgeoisie et conserve toute sa saveur de bon nationalisme à la Verdi (depuis La Force du Destin et Aïda à l’Opéra de Paris, je ne reviens pas dessus). Les parois sont tour à tour les loges de l’Opéra, des miroirs de studio de danse ou encore les murs des salons d’apparat. Les lumières enfin accentuent l’effet de clair-obscur qui reflètent les dilemmes des personnages centraux.
Quelques bonnes idées qui rendent la mise en scène intéressante. A commencer par cette référence directe et permanente au Degas de la salle Le Peletier en mettant, à chaque interlude musicale, des danseuses en tutu de Giselle, abordant parfois les ailes des Willis. Elles semblent symboliser la stabilité de la Sicile pendant l’ouverture, l’essence même de la nation, perturbées puis violées par des hommes français en arme. Naitra d’une des ces unions Henri, que l’on apercevra tout au long de l’œuvre comme un enfant blondinet qui vient rappeler à Montfort ses actions passées. Un air de Lohengrin à la Scala finalement.
Qui dit grand opéra dit avant tout grand chœur et scène de fanfare. On perd un peu de splendeur ici, les chœurs sont corrects mais ne m’émerveillent pas comme peuvent le faire ceux de Paris parfois. Ils semblent s’améliorer pour le quatrième acte qui est, dans l’ensemble, celui qui m’a le plus plu. Le temps que je m’en remette, le cinquième est passé et la moitié des personnages est déjà morte.
Si j’ai pu passer un si bon moment malgré les quatre heures de spectacle (dont deux debout en fond d’amphithéâtre), c’est sans doute grâce aux merveilleux solistes sur scène, à commencer par les deux barytons : Michael Volle et Erwin Schrott. Le second réalise un quasi sans faute, avec ce type de voix qui vous assoit sur votre siège quant il défend la valeur de la patrie et le sacrifice de soi même. Une sorte de conscience morale venue d’un autre monde pour rappeler chacun à son devoir sacré. Volle est sans doute encore plus spectaculaire, avec un jeu d’acteur supérieur et une présence écrasante sur scène, alternant sans problème entre l’autorité militaire et la tendresse envers son fils, apportant ainsi un troisième acte de haute volée.
Bryan Hymel, Henri, semble ici plus prêt pour le rôle qu’il ne l’avait été pour Les Troyens (en remplacement de Kaufmann), une diction impeccable, une douceur de voix qui alterne avec toutes les nuances du ténor. Ses plaintes au quatrième acte et ses différentes déclarations d’amour sont parmi les plus beaux moments de l’opéra.
Enfin, l’unique soprano, Haroutounian, dans le rôle d’Hélène, est arrivée sur scène après quelques problèmes de distributions. Elle semble donc ne pas maîtriser tout à fait une des grandes difficultés du rôle, la diction française. L’écart par rapport aux autres chanteurs semble si fort que cela lui nuit d’abord. Mais passé cette barrière, le chant est juste, mais pas suffisamment fort émotionnellement pour qu’elle puisse contre balancer tout à fait les efforts de ses camarades. Arrivé aux deux derniers actes, l’émotion arrive enfin et elle est ovationnée à la suite de ses airs du quatrième.
Le changement drastique dans la dramaturgie qui la rend tout d’un coup maîtresse du jeu dans le dernier acte la propulse sur le premier plan de l’action. Elle en devient encore plus faible et apparait pour une fois comme la femme désespérée et déchirée telle qu’il en existe tant chez Verdi dans ses opéras plus italiens, là où il était sans doute le plus à l’aise.
Written on Skin
Opéra Comique
19 novembre 2013
Direction musicale : George Benjamin ; The Protector : Christopher Purves ; Agnès : Barbara Hannigan ; The Boy : Iestyn Davies.
Un opéra au XXIème siècle qui ne fait pas peur et n’est pas incompréhensible, c’est possible. Written on skin est une œuvre qui n’effraie pas, qui est musicalement et dramatiquement accessible et qui finalement est même superbe, s’inscrivant dans l’évolution de l’opéra plutôt qu’en essayant d’être une rupture. J’y étais le dernier soir de la tournée parisienne, qui clôt une tournée de quinze mois depuis la création à Aix.
George Benjamin et son acolyte Martin Crimp ont respecté l’existence d’une dramaturgie lisible et claire en allant chercher une histoire, basée sur des faits historiques, qui nous parait aujourd’hui la plus archaïque possible et qui ne date pourtant que du XIIIème siècle. Un chevalier-troubadour arrive au château et entame une liaison amoureuse avec la dame du lieu. Son seigneur de mari l’apprend, tue de sang-froid l’amant et sert son cœur à sa femme qui se jettera du haut d’une tour avant que son mari ne réussisse à la tuer. Le roi d’Aragon punira son vassal en l’emprisonnant à vie et enterrera les deux amants ensemble.
Le troubadour n’en est ici plus un mais est transformé en enlumineur. Les créateurs voulaient distinguer le personnage, et le faire chanter (dans un opéra) n’était pas la meilleure solution. Ils font finalement un choix que Carsen avait déjà fait en mettant en scène Tannhäuser : le personnage éponyme était devenu un peintre. Ce changement permet de donner une toute autre forme à l’œuvre, que je trouve esthétiquement intelligent. La scène est découpée, comme différentes salles d’une maison. On voit les personnages des ‘anges’ ouvrir un livre, et ils donnent vie à une histoire qui s’est déroulée 800 ans avant notre époque. Chaque scène est donc un tableau que les anges confectionnent d’eux-mêmes lors des intermèdes musicaux : disposition des éléments décoratifs et même des personnages qu’ils portent, placent ou retirent du cadre principal. Pendant que l’action se déroule dans le cadre inférieur droit, les anges s’affairent dans les autres morceaux du cadre, tels des agents du NCIS, observant les pages du livre avec des yeux et des mains de scientifique.
L’opéra nous a ouvert une livre, qui nous raconte son histoire. Dans ce cadre, la lumière y est particulièrement bien arrangée, elle donne à la scène un aspect doré qui confère tout de suite l’aspect d’une enluminure médiévale. Les personnages n’y vivent pas mais nous raconte leur histoire. Ainsi quand Agnès, la femme, parle, elle finit ses phrases par ‘says Agnes.’ Presqu’aucun des personnages ne s’étonnent, ils semblent vivre leur histoire à l’infini, réellement comme des personnages de tableaux. L’opéra commence comme les thèmes des Très riches heures du duc de Berry, tout y est parfaitement réglé. Le Protecteur (l’homme de l’histoire) se félicite de sa richesse, de sa domination sur tout, y compris sur tout le corps de sa femme, qui reste silencieuse en retrait. Les étoiles et les saisons rythment la vie de chacun. Puis arrive le Garçon, élément perturbateur dès le début, c’est un contre-ténor, et c’est un artiste. L’ordre commence déjà à être chamboulé.
Le Garçon est celui qui écrit sur la peau. Littéralement d’abord puisque les enlumineurs travaillaient sur de la peau de bête. Mais c’est lui qui façonne la femme et qui, tel Pygmalion, lui donne vie en lui révélant son corps et ses sens, en modelant son corps. Progressivement la femme commencera à prendre son indépendance, on ne l’entend chanter qu’après l’arrivée du Garçon, puis elle commence à prendre elle-même des décisions, à demander d’elle-même à son mari de lui faire l’amour : elle devient un individu.
Lui ne comprend pas tous ses dérèglements, ne comprend pas que ses paysans s’insurgent. Il répond, archaïquement, par la violence et les champs brûlent et les gibiers de potence s’alignent au loin. On ne voit pas tout ça mais on nous l’apprend, comme une illustration. Et ce bouleversement, c’est l’arrivée du savoir, de la connaissance, qui vient des livres. C’est ainsi l’apparition d’un monde ou chacun revendique son droit d’exister, par l’accès à la connaissance et à l’amour, et de dépasser le simple état de soumission au ‘Protecteur,’ qui est un terme finalement presque Orwellien. Agnès, qui nous révèle son nom lors de son chemin vers sa recherche de soi, est donc une martyre dans cette évolution. Le Garçon lui apparait comme un ange, si on lui ôte son cœur, il retourne vers les autres anges, observateurs de l’histoire, et c’est lui qui nous contera la fin de l’histoire. Cet opéra m’a donc paru être un mythe fondateur, une fable qui annonce le passage d’un monde primitif à notre ère moderne, sur fond d’instances religieuses du Moyen-âge, comme l’apparition du sacrement du mariage, et en raisonnance directe avec la Genèse. Mais pourtant j’ai eu un sentiment de découverte totale, devant l’histoire et la beauté de la mise en scène.
Parlons maintenant musique et chants ! A nouveau, une simplicité éclatante. Pas de lignes brisées, tout s’accompagne, pour pouvoir suivre et entendre les chanteurs. Selon Hugo, ca ressemblerait à du Britten, je vais me lancer dedans alors ! La musique reste suffisamment douce, bien réglé au début alors que toute la vie est bien calibrée. Ensuite, au fur et à mesure que la femme prend conscience, on gagne des tonalités forte. Je connaissais Barbara Hannigan de nom, mais ne l’avais vue, ce qui est un tort, car elle est belle et en plus a une voix sensible et un vrai caractère. Elle est accompagnée de deux chanteurs qui ne déméritent pas à commencer par Christopher Purves, un baryton sorti de cet état primitif qui nous glace sur place avec son manque de compassion. En face, c’est tout autre chose avec la tendresse presque fatale du contre-ténor Iestyn Davies. Il chante finalement peu j’ai l’impression mais sa voix est bien différente de celles des autres contre-ténors que j’ai pu entendre, languissante, cassante parfois.
J’ai passé un très bon moment, ma place de dernière catégorie s’est finalement révélée être une bonne surprise, je n’avais qu’un léger angle mort. 1h30 de spectacle, une légère longueur au premier acte, mais un spectacle qui tient tout à fait la route !
The Old Woman, Bob Wilson
Théâtre de la Ville
20 novembre 2013
Robert Wilson, Michail Baryshnikov, Willem Dafoe
Je ne m’intéressais initialement à cette vieille femme que pour le trio d’hommes qui l’entourait : Baryschnikov, Dafoe et surtout Bob Wilson. Le premier c’était surtout pour pouvoir dire que je l’ai vue, car je ne me rends pas à ces spectacles où Micha a du mal à raccrocher ses chaussons du haut de ses 65 ans. Il faut savoir s’arrêter à un moment (et puis je réussis rarement à avoir des places pour le voir, mais ca n’a rien à voir). Le deuxième ne me disait pas grand-chose à part dans Spiderman. Non, je venais notamment pour Wilson.
Depuis la saison dernière, le Festival d’Automne a décidé de rendre des hommages. L’année dernière c’était donc à Maguy Marin, dont j’avais bien aimé le Cendrillon à Chaillot par le Ballet de Lyon. Cette saison, c’est au metteur en scène américain Wilson qu’il s’attaque. Une exposition intimiste au Louvre présente d’ailleurs des objets personnels de l’artiste, comme des chaussons de danse de Noureev ou de Balanchine (dans la continuité de Baryschnikov donc) ou encore des chaises et des photographies. Je n’y ai pas vu un intérêt fou soit entendu, mais le symbole est fort, la salle de la Chapelle, soit une des mieux placées du palais, réservée pour un metteur en scène américain toujours en vie.
Sera programmé pour janvier son fameux opéra Einstein on the beach. 4h30 sans entracte d’un artiste que je ne connaissais pas, il me paraissait donc urgent de m’y préparer avec d’autres spectacles. En désespérant de trouver des places pour Peter Pan avec le Berliner Ensemble (cherche toujours d’ailleurs), je tombe un peu par hasard sur une place au tout premier rang, à l’avant scène, soit la même que grignotages, qui disait avoir subi tout son spectacle. Finalement, les sensations y sont très fortes, mais pas déplaisantes.
Je ne pense vraisemblablement pas avoir compris grand-chose de cette pièce, fondée sur l’œuvre du russe Daniil Kharms, plus connu pour ses œuvres pour enfants que pour ses autres écrits, interdits par le régime soviétique qui l’enferma dans un asile. Ce sont des petites vignettes, ponctuées de descriptions étonnantes et de personnages insaisissables ; c’est ce qui ressort le plus dans le spectacle adapté.
La pièce est découpée en douze scènes et un épilogue qui suit vaguement une trame narrative d’une femme morte dans un appartement et d’un écrivain qui ne sait pas quoi en faire, drague une femme, tente de se débarrasser du corps de la vieille dans une valise qu’il finit par égarer, pour finalement retrouver la vieille femme qui lui indique l’heure. Peu importe l’histoire, les dialogues sont ici découpés entre les deux hommes et il faut faire abstraction de toute logique. Ils alternent les rôles au cours d’une même scène. La notion même de dialogue semble perdre son existence, ils parlent plus au public qu'à l'autre.
Il faut en réalité se laisser porter par les répétitions de textes absurdes, qui sont en partie tirés de ceux-là,et les évolutions des acteurs dans l’univers de Bob Wilson, ponctué de lumière et d’ombres, d’accessoires géométriques taillés : un oiseau, une horloge, une chaise, une valise, une porte. Le tout est entouré d’une musique qui oscille entre du classique et du moderne. L’univers de Wilson donne tout de suite un côté très personnel et onirique au spectacle.
Effectivement, les sens sont attaqués. La lumière qui vient s’allumer et s’éteindre comme pour donner vie à ces personnages de cartoon dans leur vignette fournit un clapet violent tant musical que visuel. Ils sont tous les deux vêtus comme des clowns tristes ou des mimes, pourtant dotés d’une forme de parole. Ils sont très sonorisés et leurs voix paraissent préenregistrées. Dafoe ne parle qu’anglais, mais Micha alterne entre russe et anglais. En plus des bruitages, le son est permanent, strident et parfois agressif.
Les mimes bougent en accentuant chaque geste et en le répétant à un tempo parfois différent des répétitions du texte. Etrangement, malgré ces répétitions de texte sur, au choix, la défenestration de femmes trop curieuses, la suite logique des chiffres après six ou la succession des états qui précédent la faim, je ne me suis ennuyé en tout que cinq ou dix petites minutes. L’ensemble est suffisamment bien ficelé pour que chaque scénette apporte son lot de découverte, amusement et fascination.
De si près qu’en tendant le bras je pourrais toucher les acteurs, je réalise les multiples intentions qui se dessinent sur leur visage. Les rides de ces vieux messieurs (sic) accentués par leur maquillage leur donnent des airs de personnages de dessins animés, et de clowns pour grandes personnes, qui, s’ils ne lâchent rien, comprendront toute la saveur de ce spectacle tout aussi absurde que drôle.
Milonga, Cherkaoui
Grande Halle de la Villette
27 novembre 2013
Décidement, j'ai du mal avec Cherkaoui! Son Boléro, que j'avais pu entre apercevoir lors de la soirée mixte du printemps dernier m'avait laissé de marbre alors que je repensais trop à Béjart. Je suis finalement sur que maintenant j'apprécierais la conception. Je suis en revanche assez certain de ne pas avoir cet avis sur ce Milonga. Au bout d'une demi-heure j'ai commencé à regarder ma montre.
Ce n'était toutefois pas comme pour le spectacle de la Trisha Brown Dance Company à la Ville où je me suis assoupi (et que j'ai préféré ne pas chroniquer), je regarde quand même le spectacle mais je ne suis pas séduit. Si la danse classique, moderne ou contemporaine me plait, c'est par l'effet esthétique qu'elle peut fournir ou son message et son intention, trois facteurs qui peuvent évoluer au cours de la pièce. Avec une danse de salon comme le tango, je n'ai pas vraiment d'évolution, à aucun niveau.
Le petit rat me souffle que si elle ne trouve pas cela jolie, elle aimerait pouvoir danser comme eux. Mais donc cela implique t-il forcément d'être habillé de cette façon? Les chemises noires déboutonnées jusqu'au nombril, ou alors les bretelles avec plumes, très peu pour moi. Quant aux femmes avec leurs robes à paillettes ou à strass, ca ressemble à des costumes de cabaret, mais sans l'aspect show du cabaret. Je trouve que ca ressemble aux photos des émissions de danse, comme Danse avec les Stars.
La danse en elle-même n'évolue pas et je ne réussis pas à sentir toute la sensualité qui se dégage entre les danseurs à travers ce regard ou ces mouvements du corps. Je l'avais bien plus ressenti chez Gades par exemple. Il n'y avait pas toutes ces fioritures de décors, costumes et installations techniques qui viennent plus noyer le propos que l'éclairer. Cherkaoui semble plus ici metteur en scène que chorégraphe réellement.
Dans ces installations, nous avons donc un danseur devant un écran où s'affichent des photos d'Argentine. Il réalise tous les gestes typiquement utilisés sur un ipad pour agrandir les photos, les décaler ou les repositionner. Puis nous avons une danseuse effrénée qui court sur place devant une vidéo qui nous fait visiter dans ce qui doit être Buenos Aires. J'ai un peu de mal. Ou encore cet écran de fond où sont projetés cinq ou six fois les figures des danseurs sur scène, avec un léger temps de retard.
Si cela s'était inscrit dans un tout, un ensemble qui m'aurait paru logique et évolutif, j'aurais pu l'apprécier. Là néanmoins je ne vois pas grand chose et tente d'apprécier indépendamment chaque scène. Certaines scènes font effectivement effet Danse avec les stars, on veut en foutre plein dans la vue du spectateur. Sauf que pour un balletomane aguerri le challenge est un peu trop haut. Si l'émotion ou l'impression de beau ne vient pas, c'est loupé.
Je retiens notamment un couple qui m'a bien plu par la simplicité de son propos, le rapport homme femme. Ils semblaient tour à tour s'aimer puis se détester, se trainant à la suite de l'autre puis se repoussant. Un pas de trois hommes donne également par la suite une belle force à l'ambiance, car il reste également dans la sobriété.
C'est finalement le début qui m'a le plus plu, avec son effet de masse dansante. Les couples se font et se défont dans un marasme incompréhensible, les corps se touchent, les regards ne suivent pas toujours les corps en mouvement. Puis quand la masse se dissipe, on retourne à l'individuel et au couple et ça devient terriblement lassant.
La musique, pour finir, reste toujours un bon moyen de repli en cas de lassitude.
Le Dialogue des Carmélites
Théâtre des Champs-Elysées
10 décembre 2013
Direction musicale : Jérémie Rhorer ; Mise en scène : Olivier Py ; Mère Marie : Sophie Koch ; Blanche : Patricia Petibon ; Madame Lidoine : Véronique Gens ; Sœur Constance : Anne-Catherine Gillet ; Madame de Croissy : Rosalind Plowright ; Le Chevalier de la Force : Topi Lehtipuu ; Le Marquis de la Force : Philippe Rouillon.
Ce Dialogue des Carmélites a réussi quelque chose que je n'avais pas vue depuis longtemps: émouvoir jusqu'aux larmes, réunissant les meilleures voix françaises du moment.
J'y ai retrouvé ce que j'avais pu voir ailleurs chez Poulenc, la Voix Humaine notamment, vue ici et là, sur le désespoir d'une femme seule accrochée à son téléphone. Vu la force de ce monologue, je me suis dit qu'étendue à un opéra complet avec cinq solistes femmes, ce devait être superbe. Pari gagné, tout a permis de passer une très belle soirée, atteignant le sublime.
Patricia Petibon joue aussi bien qu'elle chante le rôle de Blanche, femme qui n'est pas complètement folle mais qui ne semble pas savoir comment vivre face à tous ces personnages qui la rattachent à différents aspects de la vie terrestre et céleste. Une musicalité et une diction qui rendent son personnage si proche de nous que j'ai parfois l'impression de voir du théâtre mis en musique. Elle est tremblante pendant toute l'œuvre et elle s'affirme quelque fois dans des instants de grâce aussi pur que son nom. Je suis avec évidence son cheminement spirituelle et sociale.
Sa mère spirituelle, Mary Plowright, semble une voix d'outre-tombe, revenue de la mort pour tourner Blanche vers le martyre. Sa mort reste un des plus beaux moments du spectacle, j'en sors tout retourné. Py choisit d'installer sa chambre à la perpendiculaire de la scène, le public est donc au dessus du lit de la mourante qui se tord de douleur et ne comprend pas que son corps physique ne suive pas l'état de son esprit. Un reflet parfait de ce que comprendra Sœur Constance, elle se sentait dans la mort comme dans un vêtement trop petit. Seul problème : c’est la seule chanteuse non francophone, et son accent heurte un peu en comparaison avec le reste de la distribution.
Sandrine Piau, qui avait apparemment fait de la quasi figuration lors de la générale a été remplacée en dernière minute par la sympathique Anne-Catherine Gillet, que j'avais pu entendre en Aricie à Garnier. Elle est brillante, pétillante, innocente et sincère. Ses premiers instants sur le mariage de son frère et ses contredanses apportent une joie étonnante que l'on ne retrouve à aucun autre moment de l'œuvre. Pendant toute l'œuvre, elle reste pétillante, jusqu'aux derniers instants elle reste fidèle à sa foi, se reprenant à l'instant où elle refuse de voter le martyre, un pêché humain racheté par la foi.
Cet ensemble de femmes se clôt avec une Sophie Koch et une Véronique Gens en pleine forme, plus ténébreuses que les deux novices. Les hommes, mis ici au second rang, ne font pas pâle figure. Le père représente à lui seul tout l'ancien régime, le prêtre une tentative ultime de protection patriarcale. Le frère enfin, athlète de 2m de haut, est aussi charmant que sa sœur. Le parloir est superbe, tous les tourments des personnages s’expriment violemment. Ils représentent tous des exemples que Blanche cherche à éviter ou à combiner.
Rhorer fait de nouveau des merveilles à la direction, je retrouve cette charmante musique de Poulenc, si forte et si naturelle, qui se clôt par ce magnifique Salvae Regina qui m'a donné des frissons dans le dos (aidé certes par le bruit de la guillotine juste derrière moi). Les leitmotive sont moins évidents que chez Wagner, plus subtils, avec certaines sonorités qui paraissent nouvelles dans un orchestre d'opéra, notamment les vents. Le langage de Poulenc, si naturelle et si humain, colle si bien à son accompagnement musicale.
Py enfin signe une des meilleures productions que j'ai pu voir de lui. Des opéras qu'il a choisi de mettre en scène dernièrement, c'est sans doute celui qui le touche le plus, en tant que grand croyant. Tout y est sobre mais pas épuré, classique sans être rasoir, innovant mais pas contre ton. Les costumes restent étonnamment sobres mais raisonnent de modernité, les décors désarticulés enferment et libèrent Blanche selon son état psychologique, limitant à l'avant scène les instants avec sa famille, ouvrant vers le fond en prison et encore plus avec la mise à mort. Les parois se font et se défont formant un court instant une croix dans l'air. Même ces scénettes de carton pâte où les religieuses représentent des étapes de la Bible (Annonciation, Présentation) semblent tout à fait logiques lors des interludes musicaux.
Je regrette uniquement son utilisation, de nouveau, de la craie pour écrire Égalité et Liberté, qui n'apporte rien de très clair dans le jeu global. Enfin, son utilisation de la lumière et des parois pour la fendre rendent des tableaux d'une grande beauté, avant qu'ils s'effondrent tous pour laisser place aux étoiles du ciel lors des décapitations. Constance voit de loin Blanche s'approcher, elle lui sourit d'un sourire franc et heureux avant de mourir. La perspective est enfin ouverte vers l’apothéose.
Après trois opéras de Py mis en scène à Paris cette saison, cap sur Bruxelles dans une semaine pour aller voir son Hamlet avec Stéphane Degout !
My Fair Lady
13 décembre 2013
Théâtre du Châtelet
Frederick Loewe et Alan Jay Lerner
Direction musicale : Jayce Ogren ; Mise en scène : Robert Carsen ; Eliza Doolittle : Katherine Manley ; Professor Higgins : Alex Jennings ; Pickering : Nicholas Le Prevost ; Doolittle : Donald Maxwell; Freddy: Ed Lyon.
I could have danced all night reste sans doute la phrase la plus connue de l'œuvre et en tout cas me concernant j'aurais pu sung all night en sortant du Châtelet, même ces chansons que je ne connaissais pas ou peu avant de venir.
Cette comédie musicale a le grand mérite de ne pas être une œuvre attendue à l'eau de rose où les amoureux se courent après pendant trois heures avant d'être réunis dans les derniers moments. Non, elle dépasse le cadre habituel du genre pour traiter des problèmes de société que G B Shaw voulait dénoncer: les accents anglais comme reflets et séparations des classes britanniques. En entendant deux mots, Higgins est capable de savoir que la mère d'un tel est gallois et qu'il est né près de Bristol d'un père alcoolique.
J'avais étudié la pièce de Shaw, Pymalion, qui n'a pas grand chose de drôle à l'exception de cet éternel bachelor tout bougon. La fin de la pièce ne m'avait pas choqué, Eliza finissait avec Freddie, le fils de bonne famille, et elle ne parlait plus au professeur. Pour parfaire sa création, Higgins devait la libérer et ne plus la toucher. Dans la comédie musicale le message est tout autre puisque nous ne doutons pas un seul instant qu'Eliza reviendra au bercail. Seuls quelques instants de mélancolie dans l'épisode chez Mme Higgins nous laissent des soupçons.
C'est bien plus réjouissant d'avoir une histoire qui finit bien pour les fêtes, même si ca ne semble pas tout à fait une histoire d'amour. Les seuls moments amoureux sont entre Freddie et Eliza, mais ringardisés à de la fleur bleue. Ed Lyon réussit impeccablement le rôle de l’eligible bachelor au sourire Colgate qui ne sait pas ce qu'est le travail. La réflexion sur comment est vu l'amour est donc plutôt complexe: on se moque du coup de foudre et on vend la soumission d'une femme à son désagréable créateur qui garde un cœur de pierre jusqu'au dernier moment.
Qu'importe ceci, l'important est de voir un beau spectacle, et là tout est réussi. Malgré le nombre d'œuvres que j'ai pu voir mises en scène par Carsen, je reste toujours ébahi. D'Elektra à My Fair Lady, l'esthétique reste poignante (pardon pour la réunion de ces deux œuvres aussi différentes qu'une serviette d'un poisson rouge), ne laissant aucun détail de côté. Les couleurs se mélangent dans un univers entre-deux guerres tout aussi traditionnel que glamour. Les décors sont suffisamment riches pour qu'on ne se lasse pas ceux qui reviennent plusieurs fois.
Je trouve la scénographie du salon de Mme Higgins particulièrement réussie, tout en blanc et blanc cassé, avec ce long rideau plissé, en arc sur l'avant scène, ce mobilier qui mélange modernité et classicisme, aboutissant à cet oiseau du paradis de Brancusi en fond de scène.
L'excellence se retrouve aussi dans la distribution, British et brillante du début à la fin. Katherine Manley, déjà vue dans The Sound of music ici même, se glisse très bien dans le personnage. Si elle n'est pas à proprement dit séduisante, elle est très élégante dans sa robe de bal. Elle s'amuse avec la partition et ces changements de langage, qui paraissant moins prude que Hepburn dans le film.
Higgins est très bon en jouant le sans cœur plein d'humour très British avec une voix plutôt nuancée qui oscillent entre le parlé chanté et le chant réel, avec son double à la sexualité ambiguë Pickering. Les chœurs sont aussi bons danseurs que chanteurs, entrainant des moments charmants autour d'Alfie Doolittle, de purs instants de comédie musicale pour le Get Me to the Church on time.
Une histoire loin du superficiel, un cast pointilleux et une belle mise en scène, le tout regroupé sous la direction enjouée de Jayce Ogren, un bien joli spectacle pour Noël de retour à Paris après avoir fait escale dans son autre maison, le Mariinsky de St Pétersbourg.
Alonzo King: Constellation
Théâtre de Chaillot
14 décembre 2013
Alonzo King LINES Ballet
Décor: Jom Campbell; mezzo-soprano: Maya Laahyani: piano: Hadley McCarrol.
Constellation, sans doute le meilleur moyen de ne pas appeler cela un gala, ou une réunion de solos, pas de deux et ensembles qui n'ont rien à voir entre eux. Une constellation, c'est une réunion d’étoiles mais vue de loin, on n'est pas suffisamment illuminé par une de ces étoiles, on touche un peu à tout.
Le manque de cohésion est d'abord effrayant dans la musique, j'entends des thèmes de Glück, du Roi Lion, du Seigneur des Anneaux, de Strauss et de Willems. Un joli melting pot, aussi mélangé que les types de danseurs et de danses. En plus de la musique sur bande enregistrée, un piano sert de temps en temps pour accompagner la une mezzo, correcte mais sans rien d'exceptionnel, qui est malheureusement sonorisée et on l'entend presque respirer avec ce micro qui grésille. Je ne reconnais presque rien de ce qui est nommé dans le programme: Vivaldi, Händel, Strauss. La musique forme un paysage plus qu'un accompagnement, la danse ne la suit pas toujours, mais ce n'est pas gênant.
La danse elle oscille entre du Balanchine, du Forsythe, quelque peu actualisés par des tonalités de modern jazz ou d'air chorégraphique d'Alvin Ailey (compagnie dont Alonzo King est issue). J'ai été bien content de voir ce type de danse dont nous allons peu voir d'exemples cette saison: de la danse pour de la danse, géométrique, précise et musicale. À l'inverse des pièces des autres américains cités précédemment, Alonzo King ne trace pas de fils entre ces différentes séquences. Je prends quelques instants à dépasser ce problème pour réaliser que ca n'empêche en rien de passer un bon moment.
Les séquences s'enchainent donc, toutes sont intéressantes, sauf peut être celle qui ouvre la seconde partie avec ses balles de lumière qu'on voit agiter par les danseurs dans une semi pénombre, c'est un peu kitsch et trop accessoirisé pour que cela soit intéressant. La pièce date de 2012, mais semble parfois déjà vieillie avec cette scénographie en boules de lumière qui rappellent les balles rebondissantes lumineuses de ceux qui ont grandi dans les années 90. Même problème pour les costumes, parfois un peut trop argenté.
Dans mes coups de cœur, je cite notamment deux pas de deux, celui qui clôt la première partie (et me fait enfin réfléchir sur pourquoi j'étais là) et le dernier de la seconde partie. Pas d'émotion, mais de la technique et de la sensualité, des jambes forsythiennes qui s'allongent et s'étirent en tournant. Un autre moment rassemble tous les danseurs sur scène sur une musique typée afro-américaine, chacun danse dans son coin, pour un résultat de mouvements incessants qui fourmillent.
Je tiens à noter que la compagnie est très belle, cosmopolite et hétérogène, reliée par une grande technique. Ils dansent naturellement sur scène, semblent habiter par cette chorégraphie, se perdent puis se retrouvent, s'attrapent et se détachent. De belles lignes se dessinent sur le plateau de Chaillot. Contrairement aux danseurs hommes texans du Houston Ballet, ils sont ici suffisamment musclés pour danser, mais pas trop pour perdre en légèreté, comme lors de ces duos où deux danseurs rappellent les cygnes de Matthew Bourne. Les hommes sont bondissants, plein d'énergie, là où les femmes oscillent entre la douceur et l'explosivité quand elles se forment en groupe.
J'étais donc content de voir de beaux gestes réalisés par de beaux danseurs (certes ca parait un peu simpliste), dans ce type de danse que j'aime tant. Je ne vois néanmoins pas un chef d'œuvre et ai donc un peu de mal à comprendre l'ovation que le public réserve aux artistes à la fin du spectacle. Ai-je manqué quelque chose? Une cohésion ou un fil conducteur?