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Le Capitole de Toulouse danse Noureev à Massy

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Opéra de Massy

15 décembre 2013

 

 

La génération Noureev a quitté successivement la Grande Boutique une fois le glas de la retraite sonné, pour aller danser ailleurs mais surtout pour enseigner l'héritage du Tatare au monde de la danse. Ainsi de Legris à Vienne, de Vu An à Nice ou encore de Jude à Bordeaux. En 2008, Kader Belarbi quitte l'Opéra après un ultime Signes et prend en 2012 la direction du Ballet du Capitole de Toulouse. En cette année d'hommage à Noureev, il se sentait donc obligé de rendre hommage au chorégraphe et a conçu ce programme qui réunit des chorégraphies parmi le best of Noureev.

 

La conception même de ce programme ressemble beaucoup à ce que Noureev faisait lorsqu'il tournait inlassablement avec ses Noureev and friends. Un théâtre pas forcément prestigieux. (Je vous rappelle que le spectacle été ici présenté à Massy), une bonne bande son (ce qui selon lui valait mieux qu'un mauvais orchestre), peu de répétitions sur place et du talent pour interpréter ces pas de bravoure.

 

J'avais déjà vu les extraits proposés dans un des opéras parisiens et je commence à bien les connaitre. Je me cramponne à mon siège en entendant la musique de la variation de la première ombre de Bayadère, vu tellement de fois au concours l'année dernière. La descente des ombres est réduite à 18 danseuses qui remplissent bien le plateau sans pour autant paraitre trop serrées. Ces ombres tremblent un peu mais, en gardant une vue d'ensemble, c'est très correct. Les ombres se succèdent, me rappelant que j'avais déjeuné un jour avec la première Ombre (sans doute une fois que je me promenais vers l'Himalaya). Le niveau commence sérieusement à s'imposer, les trois variations sont très bonnes techniquement. J’ai trouvé Solor (Kazbek Akhmedyarov) un peu en retrait, semblant stressé et courant après la musique, permettant en contraste de la faire briller tout à fait. Nikiya (Tatyana Ten) arrive ensuite, tout à fait altière et maitresse de sa technique, restant très sérieuse et pleine de grâce.

 

En pleine saison d'orgie de Belle au bois dormant, je ne refuse pas non plus un nouveau pas de deux du mariage. Siliva Selvini et Evgueni Dokoukine forment un couple tout mignon, tout sucré, presque aussi féerique et enfantin que Casse-Noisette. Tout y est très solide, l'enthousiasme est présent, tout le monde se sourit. Un léger problème dans le début de la coda mais rien de bien grave, ils sont solidement applaudis. Ils ont compris le principe du gala, ne pas directement toucher l'émotion mais impressionner et se faire plaisir.

 

Un pas que je n'avais pas vu depuis longtemps : le pas de trois du cygne noir. Problème initial, le costume de Rothbart, à mi-chemin entre la grenouille et le Power Ranger, que l'obscurité de Bastille a l'habitude de dissimuler! En pleine lumière, il parait vraiment ridicule. Sinon je trouve le cygne noir de Julie Charlet brillant, regardant d'un air malicieux Rothbart alors qu'elle attire un Siegfried qui parait bien naïf. Sa technique est assurée, avec de beaux fouettés. Rothbart (Takafumi Watanabe) va un peu trop vite, il ne me parait pas suffisamment musical. En face, le (bienheureux) Siegfried de Shizen Kazama semble rapidement essoufflé. Dans l'ensemble, cela donne quand même un beau résultat notamment au début et à la fin, on comprend la dramaturgie rapidement.

 

Le programme se finit par un nouveau succès de Noureev, le mariage de Don Quichotte, immédiatement applaudie par le public pour les costumes et les décors. Tout y est effectivement bien joli, à l'exception néanmoins des tutus des demoiselles d'honneur, fuschias à souhait. Le corps de ballet retrouve ici un peu d'utilité avec le fandango avant de laisser de nouveau la place à Mlle Charlet (accréditée fouettés au Capitole) et M. Watanabe, tous les deux aussi beaux qu'en pleine forme, aussi explosif que le demandent ces rôles. Ses piqués à l'éventail réussissent presque à me tenir en haleine, tandis que je prends peur pour les têtes des figurants lors de son manège, vu la taille de ce Basilio, dont l'explosivité est davantage de rigueur ici que pour Rothbart.

 

Tous ces pas académiques et découpés, hérités pleinement de Petipa, ont été éclairés par un pas de deux rempli d'émotion, sans doute le seul du programme, bien loin du classicisme. Ce fut la scène du balcon de Roméo et Juliette, avec un couple très crédible. Maria Gutierrez est une Juliette dans la fleur de l'âge, Davit Galstyan est un Roméo jeune adulte rempli d’excitation. Ils réussissent un pas superbe, se trainant sur la scène de Massy avec une grande expressivité et de la passion réel.

 

Le Capitole de Toulouse danse Noureev à Massy

La Grande-Duchesse par les Brigands

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Théâtre de l’Athénée
17 décembre 2013
D’après La Grande Duchesse de Gérolstein d’Offenbach

Compagnie Les Brigands

Mise en scène : Philippe Béziat ; Direction musicale : Christophe Grapperon ; La Grande-Duchesse: Isabelle Druet ; Krak : David Ghilardi ; Le Baron Grog : Emmanuelle Goizé ; Le Prince Paul : Olivier Hernandez ; Schwartz : Olivier Naveau ; Le Baron Puck : Flannan Obé ; Schumacher : Geoffroy Buffière ; Le Général Boum : Antoine Philippot ; Fritz : François Rougier.

 

De retour à l’Athénée avec une tonitruante Grande-Duchesse, adaptée d’Offenbach. Les Brigands jouent avec les caractéristiques de l’opérette pour nous apporter un spectacle purement distrayant, loin des grandes productions du genre (de toute façon bien rares à Paris) mais qui est sans doute plus apte à créer un lien semblable avec son public que celui qui existait sous le second Empire.

 

Le programme nous apprend que sous Napo III les têtes couronnées se pressaient aux Variétés pour voir l’œuvre d’Offenbach et en sortaient bien satisfaits c’est tout à fait ça aurait ainsi dit Bismarck. Toute la satyre y est, une grande-duchesse qui gouverne son ridicule état germanique selon son bon plaisir et qui, le temps de l’opérette, a le temps de transformer un simple soldat en baron, comte et général en chef, puis de le remettre à son état initial, tout cela parce qu’il est bel homme, mais finalement marié. En parallèle, un prince parcourt les pays à la recherche d’une grande-duchesse à épouser, sous les ordres de Papa. Les généraux compétents sont écartés, la duchesse fait du populisme avec ses soldats, les symboles de la nation sont tournés en dérision : quoi de plus actuel un siècle et demi plus tard ?

 

Et pour montrer que les polémiques ont quand même évoluées légèrement, Philippe Béziat ajoute un travestissement dans sa mise en scène, en faisant de Wanda, la fiancée du beau soldat Fritz, un homme, Schwartz. Rien de choquant je vous rassure, quelques embrassades et de sous entendus, on reste loin de la revendication Mariage pour tous, et cela rajoute une touche moderne à l’ensemble des images sociales de la pièce.

 

La pièce ne se veut pas prétentieuse et la mise en scène est réduite au strict minimum suivant les habitudes des Brigands, laissant suffisamment d’accessoires et de décors pour permettre une gestuelle et des mouvements de grossière farce, mais sans jamais être vulgaire. Elle parait notamment moins absurde que le diptyque de la saison passée. Les musiciens répandus un peu partout sur la scène s’insèrent au décor, en trainant leurs pianos et contrebasses. Christophe Grapperon (dont la pilosité chabalistique m’était restée en tête depuis la dernière fois) se glisse là où il peut pour diriger efficacement et avec rythme ces neuf musiciens qui se répartissent avec succès la partition.

 

L’adaptation de l’opérette originale rend ici la théâtralité de l’œuvre encore plus frappante, l’alternance chant/parlé semble évidente même si l’on perd quelques airs en chemin. L’avantage d’une troupe française est avant tout la diction, aucun problème pour comprendre les chansons, dont les paroles restent d’ailleurs en tête à l’entracte et en sortant. Du rythme, de la gestuelle, des personnages bien typés, un dialogue simple et amusant, on y passe un bon moment.

 

Depuis leur dernier passage à l’Athénée, la troupe a dégoté une soprano de choix pour le rôle titre, Isabelle Druet, véritable chanteuse d’opérette dans son jeu, ses mimiques et sa voix amusante qui se fait applaudir à chaque air. Le nazillon Baron Puck du livide Flannan Obé, le grave Général Boum d’Antoine Philippit, la jeune voix du Fritz de François Rougier et le gros Prince Paul d’Olivier Hernandez encadrent la grande duchesse et entrainent les spectateurs.

 

Les chanteurs et les musiciens ne se font pas longtemps prier avant le bis, un air de l’œuvre d’origine, un Bonne Nuit qui rappelle un peu celui des enfants Van Trapp dans The Sound of music, et le public quitte la salle le sourire aux lèvres, après ce spectacle farfelu et drôle.

 

La Grande-Duchesse par les Brigands

Hamlet à La Monnaie

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La Monnaie de Bruxelles
22 décembre 2013
Mise en scène: Olivier Py; Direction musicale: Marc Minkowski; Hamlet: Stéphane Degout; Ophélie: Lenneke Ruiten; Gertrude: Jennifer Larmore; Claudius: Vincent Le Texier; Polonius: Till Fechner; Le spectre: Jérôme Varnier.

 

 

Une petite escapade à Bruxelles et l'occasion d'aller passer une après-midi à la Monnaie, une maison d'opéra dont on parle regulierement quand il est question de productions à succès. Cet Hamlet d'Ambroise Thomas ne fait que confirmer cette réputation avec un spectacle d'une haute qualité, et sans doute un des meilleurs d'Olivier Py.

 

 

Quatrième mise en scène de Py depuis le début de la saison, le futur directeur d'Avignon avait realisé celle-ci au Theater an der Wien au printemps dernier, rapidement exportée chez nos cousins belges. J'y retrouve les différents éléments py-esques qui m'ont parfois fait grincer des dents, mais que je réussis maintenant a surpasser. Ainsi de l'écriture à la craie par exemple. Mais plus insupportable encore, l'arrivée des manifestants lors de la balade du printemps. (Printemps-->printemps arabe--->manifestation), alors même que la présentation pré-spectacle nous dit que l'opéra a perdu l'aspect politique qui existait chez Shakespeare, ce qui rend d'ailleurs bien floue l'arrivée du prince norvégien à la fin du dernier acte une fois tous les morts allongés à terre.

 

 

J'y retrouve néanmoins ce que j'aime particulièrement dans le duo Py-Weitz, c'est l'usage d'un décor unique et maniable à l'infini. Ici le grand escalier se décompose, tourne, se décale, dévoile ses souterrains, disparait, avant de reconstituer aux derniers instants. L'épisode d'Hamlet n'aurait été qu'une parenthèse. Je retrouve également ces costumes de militaire fin XIXe, signe de ces périodes transitoires d'une civilisation, entre rayonnement, période sombre et renouveau (si bien etudiées dans Les Troyens).

 

 

Le spectre du roi n'est pas sans rappeler la ballerine d'Aïda, tout en blanc et brillant dans cet atmosphère très lugubre en noir et blanc, quelque chose qui dépasse le simple cadre des personnages et les illumine. Ophélie également est en blanc, mais elle est trop impliquée dans l'histoire, trop influençable pour servir d'astre dans ce monde-ci.

 

 

La direction de Minkowski donne une jolie couleur à une partition pour le moins étrange, coincée entre des airs de Massenet, de Berlioz et de vaguement wagnériens, sans pour autant se rapprocher de quoique ce soit que j'ai entendu, tout coule de sources, avec l'absence d'arias marqués notamment. Dommage que cette oeuvre ait disparue des répertoires alors qu'elle avait pourtant eu un succès retentissant à l'Opéra de Paris! Les thèmes orchestraux oscillent entre romance, lyrisme ou folklore, gardant toujours une teinte de noirceur, révélant le dilemne permanent d'Hamlet.

 

 

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'argument qui présente Hamlet comme un jeune prince fils de lors du premier acte, il est ici déjà en plein questionnement. L'apparition du spectre s'apparente davantage à une évidence dans le cheminement du personnage qu'à un retournement de situation. Hamlet perd peu a peu tout ce en quoi il croit, finissant nu dans une baignoire, se lavant comme un Macbeth avec ses mains eternellement souillées de sang. Pourtant ici Hamlet n'a pas encore commis de crime mais s'inflige déjà un châtiment de repentance avant le crime. Le conflit freudien avec sa mère vient accentuer les nuances du personnage.

 

 

Tout l'opéra tourne, étonnamment, autour d'Hamlet, un baryton. L'oeuvre prend une toute autre dimension, tellement plus profonde, qui nous change des variations des ténors indécis. Stéphane Degout y trouve un de ses plus beaux rôles, il reste presque trois heures sur scène, ne semble pas se fatiguer, devenant de plus en plus distant, violent, presque illuminé. Je l'ai trouvé superbe.

 

 

En face, je n'avais pas d'a priori sur Ruiten en Ophélie, et j'ai été charmé par son acte 4 et son adorable chanson sur les willis, qui a capté mon attention pendant ce qui semblait un instant. Une douleur réelle et un air de folie type Lucia sans le décorum. Plus absente lors des premiers actes, elle se dévoile avant de mourir.

 

 

Le second rôle le plus frappant reste néanmoins celui de Gertrude, Larmore a un léger accent mais sa diction reste correcte. Elle reflète la femme pécheresse et meurtrie, je l'ai trouvée magistrale dans son duo avec son fils, parfois avec une voix chancelante. Elle souffre mais ne fait pas pitié, le public est comme Hamlet, il la hait.

 

 

Outre ce trio, les autres rôles sont corrects. J'ai préféré la basse du spectre du roi, plus grave d'outre-tombe que celle de Claudius, qui ne réussissait pas à être pleinement méchante.

 

 

Durant tout l'opéra, les cendres du feu roi trônent sur le côté, déposées avec soin par Hamlet. Il contemple l'histoire qu'il a indirectement causée. Est ce que toute l'histoire se déroule dans la tête du prince à partir du moment où le grand escalier se décompose? Les créatures qui entrainent Ophélie vers sa tombe proviennent elles des enfers ou de l'imagination infernale d'Hamlet? Tout comme ce spectre au visage d'or qui hante la scène et Hamlet. Enfin les acteurs de la troupe de théâtre sont les doubles parfaits des chanteurs, l'illusion est totale. Et lorsque Hamlet veut attaquer son oncle, c'est son double comédien qui l'en empêche, il se bat contre lui même, et s'étonne finalement à peine ensuite de ne pas avoir pu tuer le roi.

 

 

Une sympathique façon de clore l'année lyrique 2013, entre Le Dialogue des Carmélites et cet Hamlet, Py a finalement réussi à me séduire.

Hamlet à La Monnaie

Giselle, revue par Mats Ek

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27 décembre 2013
Ballet de l’Opéra de Lyon
Chorégraphie de Mats Ek

Giselle: Dorothée Delabie; Albrecht: Randy Castillo; Hilarion: Franck Laizet; Bathilde/Myrtha: Julia Carnicer

 

 

Pour une fois, je vois la relecture de l'oeuvre classique avant le classique. Si je ne connais pas la Giselle en tutu blanc de Coralli et Perrot, j'ai réalisé que Mats Ek avait réussi le coup de maître: faire de sa Giselle une oeuvre forte et indépendante de l'original.

 

Je ne risquais donc pas de faire comme pour le Sleeping Beauty de Bourne et penser à la chorégraphie classique en entendant la musique. J'ai tout juste reconnu la musique de la variation d'Albrecht, ici réutilisé pour une variation particulièrement expressive.

 

Giselle n'est plus une jeune allemande que le monde regarde avec tendresse à la veille de son mariage. C'est ici une folle que les gens craignent et ne comprennent pas. Au lever du rideau, Giselle est attachée par une corde tel un mouton. Elle veut s'échapper, vivre, sauter, sourire, découvrir le monde. Mais Hilarion l'attache et ne comprend pas pourquoi elle n'est pas comme les autres jeunes femmes.

 

Alors que les villageois dansent d'une façon très lourde et terrienne et qu'Hilarion leur sert de coryphée, notre joyeuse Giselle passe sa vie à explorer le plateau, en sautant gaiement et s'échappant des des obstacles. Jusqu'a ce qu'elle rencontre Albrecht. Telle Pocahontas devant John Smith, elle l'observe, comme une espèce qu'elle n'a jamais vue: un homme noir dans un costume blanc. Elle le touche et se frotte à lui comme un enfant.

 

C'est la découverte d'un monde à nouveau avec l'arrivée des citadins, les amis d'Albrecht, enfermés dans leurs robes et leurs smokings. Ils rappellent de loin les personnages de "Une sorte de..." de Mats Ek. Ils sont intrigués par ces villageois, par cet Hilarion moqueur et par cette folle qui pique Albrecht à Bathilde (qui n'a d'ailleurs pas non plus l'air désespérée).

 

Jusque là, la pièce reste une sympathique distraction, mais rien de poignant à proprement parler, ce qui n'est pas le cas de la suite.

 

Au lieu des sacro-saintes Willis, le deuxième acte se déroule dans un asile psychiatrique, où d'autres âmes égarées sont habillées de blanc et placées sous la protection de Myrtha. Cette une infirmière-bonne soeur nous rappelle la figure autoritaire de la madre de La Maison de Bernarda, en gardant toutefois un aspect maternel, féminin et protecteur. Ainsi lors de la dernière scène elle porte une à une ses aliénées hors de la scène, avec beaucoup de tendresse.

 

Alors qu'Hilarion revient voir sa fiancée, il danse une variation réellement touchante. Le gros bourru ne comprend toujours pas, et la voit s'échapper de nouveau. Elle a fini de jouer avec lui et veut d'autres jouets. Sa danse à elle est toujours très libre, mais l'asile l'a entravée, ou alors canalisée, elle semble plus nostalgique, plus humaine. Elle aurait enfin fini par apprendre à se modérer et à se tourner vers l'amour.

 

Arrive alors Albrecht, et c'est lui qui sortira métamorphosé de cet asile, il apprend avec Giselle à laisser ses a priori, pour se tourner vers plus de sincérité. Peu d'amour ici finalement, mais de l'attirance vers l'inconnu.

 

Il finira nu sur scène, un peu dans un esprit Mythe du Bon Sauvage sans doute trop vintage pour moi. Il sera accueilli par le bon et magnanime Hilarion qui l'habillera enfin. Une façon d´être purifié avant de revivre plus sereinement. On ne revoit plus Giselle, sorte d'ange incompris.

 

Giselle, revue par Mats Ek

Les Nuits (blanches) de Preljocaj

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Vendredi 10 janvier 2013

Théâtre de Chaillot

Les Nuits, Angelin Preljocaj

Compagnie Preljocaj

 

En créant Le Parc, Preljocaj était encore un chorégraphe bien élevé, qui parlait d'amour en faisant intervenir Marivaux et Mozart. 20 ans plus tard, Angelin s'est un peu décomplexé et nous présente ses nuits torrides.

 

Les Nuits nous présente une vision un peu pessimiste des couples au XXIe siècle. Tout le monde se drague, puis se retrouve dans des lits pour du sexe plutôt violent, puis on se redrague et ca repart. Certes cela fonctionne pour certains couples, où la violence entraine des sentiments d'amour palpables, mais c'est malheureusement rapidement noyé dans la masse. La fin ne nous laisse pas une meilleure idée, les femmes sont laissées après la nuit, enfin indépendantes, jusqu'à la prochaine nuit,

 

Et Shéhérazade dans tout ça? Et les 1001 nuits? Et bien gardons le sur le côté. La femme intelligente du khalife ne surgit d'aucune femme ici. Aucune ne réussit à calmer les ardeurs de son mari pour le fidéliser, sauf une, un instant, noyé dans le reste de l'action. Si cette pièce nous raconte la vie d'une Shéhérazade version 2013, c'est alors une vision plutôt triste. Certes comme la princesse, elles sont indépendantes le jour mais forcenées la nuit. Mais c'est un peu tarabiscoté.

 

Le rideau s'ouvre sur les douze femmes, au hammam, on dirait une before entre copines, on se pomponne avant de sortir. Puis comme toujours les hommes entrent, le rythme s'accélère et on arrive dans une ambiance plutôt sexy, une boîte chaude où les couples se font et se défont. Première apparition de la violence.

 

Un couple d'hommes reste seul, ce sera un couple de femmes plus tard. Les premiers sont violents entre eux, les deuxièmes plus sensuelles. Les hommes sont jaloux de cette sensualité, arrivent pour intervenir et les séparer.

 

Entre ces deux scènes de couple, une scène qui semble rappeler un bal comme dans Grease, tout le monde est habillé plus sagement, les femmes ont leur chorégraphie, les hommes la leur, et il y a peu d'interactions. Une transition avec le prude Parc?

 

Les femmes, dans une robe d'un rouge sensuel, dansent sur talons aiguilles, sur une chanson qui parlent de girlz. Comme quoi les garçons, c'est pas gentil et c'est vraiment pas le prince charmant. Plus tard on retrouvera une scène identique, où des hommes arrivent, bien habillés, bien propres. Ils sont gentils, caressants. Mais finissent par repartir. Le prince charmant n'est qu'un rêve.

 

Deux scènes se distinguent néanmoins de cette méchante vision. Après ce qui s'avère être des partouzes, un couple reste sur scène et semble se découvrir. Je retrouve alors ici la poésie du Parc, la recherche de l'autre et de soi-même. L'avant-dernière scène allonge les hommes à terre, un narguilé entre les jambes, les femmes manipulant les tuyaux, excitant les hommes en soufflant dedans. Elles entourent parfois les bras et les cous des hommes, comme prêtes à les tuer. La femme prend alors l'ascendant. Mais ils finissent par s'en sortir, sans même débattre.

 

Enfin, lors de la dernière scène, les femmes sont placées derrière des fenêtres, les hommes les retrouvent une dernière fois avant de les laisser de nouveau, comme les abandonnant à leur destinée, enfermées derrière leurs fenêtres.

 

Finalement, et je vais peut être paraitre très macho, cette pièce ne m'a pas déplu. Mais ce n'est pas le propos qui m'a tenu à coeur (ayant vraiment l'impression d'assister à un porno soft), mais l'esthétique globale de la pièce, entre les costumes d'Alaïa et les lumières, les pauses proposées par Preljocaj créent de très jolis tableaux qui restent en tête, avec un décor simple jouant sur les lumières, qui rappellent l'Orient. Comme si Preljocaj avait fait comme Montesquieu et ses lettres persanes: utiliser l'Orient comme excuse pour illustrer l'Occident.

 

Les Nuits (blanches) de Preljocaj

Einstein on the beach

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11 janvier 2013
Théâtre du Châtelet

Philip Glass, Robert Wilson, Lucinda Childs, Christopher Knowles, Samuel M Johnson

The Lucinda Childs Dance Company ; The Philip Glass Ensemble sous la direction de Michael Riesman

 

Je ne connaissais rien de cet œuvre pourtant bien atypique mais sa nouvelle tournée avait été triomphalement annoncée depuis des mois, comme quoi une bonne campagne de communication permet de transformer un spectacle en must de la saison. Et il faut avouer que je suis rentré au Châtelet avec beaucoup d'excitation, en partie à cause du format: 4h30 de spectacle, sans entractes, comment tenir ? Le spectacle commence réellement dès 18h, avec l'arrivée des chœurs. Soit le même emplacement sans bouger de 18h à 23h. Effectivement la production nous indique que le public est libre de sortir et entrer de la salle au cours du spectacle (en précisant que les autres spectateurs ne peuvent pas prendre les places libres), mais en étant placé en plein milieu d’une rangée, ca semble difficile.

 

Et donc? Un bon spectacle qui passe effectivement vite, les 5h ne se font presque pas sentir. Un spectacle qui n'est pas tout à fait un opéra mais plutôt une œuvre d'art totale, mélangeant musique, texte, chant et danse.

 

J'y ai retrouvé l'esthétique wilsonnienne que j'avais pu voir dans son Old Woman et que j'espère pouvoir voir dans le Pelléas qu'il a fait pour l'Opéra. Ses lignes géométriques (mobiliers, éléments de décors, ...) illuminées par des lumières finement choisies et du maquillage si typique créent des tableaux saisissants qui n'ont pas vieilli en quarante ans.

 

L'œuvre va de l'invention du train, révolution du XIXe siècle, à la bombe atomique, révolution du XXe siècle. Pas de narration, mais une série de tableaux séparés par des entractes-knee plays. Je vous avoue ne pas avoir tout compris, mais on se laisse saisir et porter par les tableaux de toute façon.

 

Ce que j'en ai tiré, si ce ne sont les thèmes évoqués dans le programme sur la solitude, l'oppression de la société et j'en passe, c'est surtout la décomposition de la matière. Le tableau de la bombe atomique nous démontre comment l'outil nucléaire a pu décomposer la molécule. Ce qui intéressait Einstein n'était pas l'explosion ou la destruction, mais plus la capacité d'étudier et de séparer l'atome.

 

Ici, l'œuvre nous propose une décomposition musicale, textuelle et corporelle. La citation de Wilson sur Balanchine tirée du programme illustre plutôt bien le propos :

 

"Une des choses qui me fascine chez Balanchine, c’est que vous regardez dix-sept femmes alignés faisant à vos yeu le même pas. Mais non. Si vous les observez longtemps et d’assez près, vous vous apercevez que chacune est en léger décalage"

 

En regardant la première scène, du train, comme je l'ai fait, c'est à dire de façon artificielle, je ne comprends pas, pourquoi refont-ils les mêmes gestes? La même musique? Les mêmes textes ? Puis je me rappelle The Old Woman, ses répétitions qui paraissaient finalement si fines. Et là le texte répétés à l'infini, les gestes de la femme qui traversent de façon identique la scène en diagonale, la musique et les chants, tout s'explique. Le duo Glass/Wilson nous décompose chacune de ses composantes, pour arriver à leur essence même.

 

La scène la plus frappante reste sans doute celle du train numéro 2. Nous voyons l'arrière d'un wagon, où un couple chante des notes musicales Fa Si La Mi, pour nous conter une histoire. J'y vois un exemple d'opéra, un patchwork que les compositeurs classiques ont réutilisés. Le couple sort du wagon, continue à chanter, le stress monte, puis chacun rentre et la femme finit par abattre l'homme d'un coup de pistolet. C'est la seule scène où il y a réellement une volonté narrative, et sans doute celle qui reste le plus dans les esprits à la fin du spectacle, sans doute par ce qu’on entend, ces répétitions de notes de musique, qui font écho à celles des numéros de 1 à 8 qui reviennent

 

En ce qui concerne la danse, je dirai qu'elle a du mal à s'insérer au reste de l'œuvre. Si la continuité n'est pas évidente entre les différents actes, les changements restent encore moins naturels entre les scènes dansées et le reste. Les chorégraphies comme le reste, reviennent à l'essence de la danse, on sent ici une influence de Balanchine et des modernes, mais aussi de Cunnigham (en respectant néanmoins la musique), les danseurs traversent l'espace et se croisent sur une musique aussi saisissante que le reste de la partition.

 

Cette œuvre géante est presque aussi écrasante qu'un Ring. Elle finit par une scène plus intimiste qui se recentre sur l'humain, avec un joli texte sur l'amour, raconté par un chauffeur de bus à la grosse voix. On en sort apaisé, avec des chiffres et des notes de musique dans la tête.

Einstein on the beach

The Rape of Lucretia de Benjamin Britten

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Théâtre de l’Athénée
17 janvier 2013

Mise en scène : Stephen Taylor ; Direction Musicale : Maxime Pascal ; Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris

 

Leur récital permettait, comme dans un autre registre le spectacle annuel de l'école de danse, de se rendre compte du talent des jeunes chanteurs de leur formation, que le public parisien a parfois l'occasion d'entendre dans des rôles secondaires dans des les productions de l'Opéra. Ainsi d'Elodie Hache en sacerdoce dans le récent Aida. Les voir dans un véritable opéra mis en scène tenant l'ensemble des rôles nous donne un nouvel aperçu, plus global dans la perspective de devenir un jour un premier soliste.

 

J'avais déjà entendu l'Atelier Lyrique dans La Finta Giardiniera à la MC93 de Bobigny, si les solistes m’avaient plu, l'œuvre m’avait un peu ennuyé. Double découverte vendredi soir, avec notamment Britten dont c'est d'ailleurs le centenaire et les nouveaux membres de la formation lyrique.

 

Comme me l'avait dit Hugo à l'époque, la musique de Britten raisonnait dans celle de George Benjamin dans son superbe Written on Skin, une modernité affirmée qui ne rompt pas avec ces prédécesseurs et reste audible et accessible. La direction de Maxime Pascal, le jeune chef d'orchestre de la compagnie Le Balcon, dirige l'ensemble de façon pointilleuse et avec un investissement que j'avais déjà remarqué lors de la soirée sur Pierrot Lunaire. Je trouve notamment l'utilisation des vents superbes.

 

L'histoire de Lucrèce est plutôt connue: alors que le roi étrusque Tarquin le superbe gouverne Rome, son fils Tarquinius transforme la ville en son bordel personnel. Au milieu de ce Sodome romain, la chaste Lucrèce reste seule fidele à son mari. Tarquinius est attiré par cette chaste Diane et la violera. Honteuse elle se suicidera, entrainant alors une révolte qui entrainera la chute des rois étrusques et l'avènement de la république.

 

Le politique est plutôt mise de coté dans l'œuvre et à peine entends-je Junius, ami de Collatinus, proclamait la fin des Étrusques. La courte scène où l'on voit les romains se plaindre de l'état de ville, ainsi que celles où les deux choristes-narrateurs racontent l'aspect historiques, s'effacent devant ce qui prime: la tension triangulaire qui existe entre Collatinus, Lucrèce et Tarquinius.

 

Les deux choristes encadrent l'histoire et nous la racontent, les autres chanteurs servant parfois simplement de pantins muets entre leurs mains. Elodie Hache a parfois peur de ce qu'elle raconte ; Kevin Amiel, semble lui dire qu'elle n'a pas le choix, que c'est l'histoire et qu'elle ne peut intervenir. Leurs habits d'officiers britanniques avec leurs dossiers rappellent les renseignements généraux, qui auraient retrouvés un rapport classé sur une histoire passée pendant une des guerres du XXe siècle. Je leur ai trouvé beaucoup de sensibilité et de réalisme dans leurs voix.

 

Les trois femmes présentes chez Lucrèce (elle-même, sa vieille bonne et sa pupille, la charmante Lucia), symbolisent les trois âges de la vie, tous avec leurs qualités, leurs défauts mais cette même peur du mâle non civilisés qu'est Tarquinius. Le moment que je trouve donc le plus intense dramatiquement est donc celui qui précède la nuit ou chacune souhaite bonne nuit au Prince de Rome, l’imposant Vladimir Kapshuk. La musique y est tragique, annonçant déjà la fin, que chacun connait.

 

Le reste de l'œuvre ne sera qu’un déroulement de ce que le spectateur attend, la tension diminue, le piano apparait pour quelques moments plus récitatifs ou en tout cas moins forts. La scène du viol reste forte, les voix de Kapshuk et d’Extrémo en Lucrèce se mêlent sur le fond musical tragique.

 

Les trois hommes du premier acte peignent différents états de l'homme en société: le guerrier rustre, l'homme sage qui accomplit son devoir d'Etat et celui d’homme victime, profiteur et faible. La musique qui les accompagne décrit très bien leur univers de caserne: malsain, sale et conflictuel. La tension commence à se construire dès les premières notes.

 

Trois femmes, trois hommes, sainte trinité que cet opéra ou le sacrifice de Lucrèce permet, comme celui de Galahaad et du Christ, la sauvegarde de son monde et un bouleversement considérable. Je n'ai pas tout a fait saisi toutes les références christiques de l'œuvre. Ce long solo des dernières minutes, alors que la révolution prend forme, sur le Christ vient apporter une nouvelle dimension religieuse, qui n'est peut-être pas suffisamment marquée par la mise en scène. Le reste de l’intrigue se détache pourtant très bien.

 

La mise en scène ne prend d'ailleurs pas parti sur la question principale: Lucrèce est-elle chaste car enfermée dans le cube à verrous qui lui sert de maison, ou l'est-elle réellement ? Elle lutte effectivement contre Tarquinius, elle a peur. Mais est-ce une peur d'approcher du désir qui la tient ou une virulente opposition? Plus je la fixais et moins je réussissais à me faire une opinion claire. Misons donc sur ce que marque Britten, not all women are whores, mais Lucrèce est bien un idéal qui, touchant terre, n'a pas pu survivre, un Lohengrin sali par l'humanité.

 

L’Atelier Lyrique, Le Balcon et Stephen Taylor nous proposent un opéra de chambre dans sa juste dimension, dont les tensions sont palpables à travers les deux actes.

The Rape of Lucretia de Benjamin Britten

Mois de janvier 2014

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Le mois de janvier : quelques surprises, une révélation, mais toujours quelques déceptions.

 

Le spectacle marquant de ce mois est évidemment Einstein on the Beach, 5h de spectacle qui réussissent à garder l’attention (presque) sans moment creux.

 

En danse ensuite, je n'ai pas résisté à la dernière Belle au bois dormant de la série le 4 janvier. Espérant revoir la délicieuse Ould-Braham et le spectaculaire Heymann, un changement de dernière minute (as in deux minutes avant le lever du rideau) amène Albisson sur scène. Elle a su donner une Aurore plus jeune fille que les autres titulaires, affirmant une technique en pleine maturation. Si Magnenet fatigue rapidement, Alu finira avec brio une série (trop?) bondissante d'oiseau bleu. Barbeau convient mieux que la terrienne Colasante en Florine. J'ai pu assister à cinq représentations de La Belle, certainement le plus spectaculaire des ballets de Noureev. J'espère que la Belle ne s'endormira pas de nouveau pour dix saisons....

 

Splendeurs et misères des ballets, je suis allé au Gala du Bolchoï pour Les Illusions Perdues. La partie gala était toute aussi brillante que pour le tricentenaire la saison dernière. Une fois entré dans la salle, c'est une toute autre affaire. Après une tournée éblouissante il y a deux ans avec Don Quichotte et Flammes de Paris, qui signait avant tout l’excellence de la compagnie, ils sont revenus avec une œuvre particulièrement étrange. Le phénomène Ratmansky semble prendre dans le monde anglo-saxon (les comptes twitters parlant aisément de #ratmanskyness), mais tout ce que j'ai pu en voir restait sous la barre du passable. Ainsi de Psyché. Ainsi de Flammes (des interprètes époustouflants malgré une chorégraphie bien plate).

 

Je retrouve avec plaisir David Hallberg (que j'avais vu deux semaines avant en Désiré) et Evguenia Obraztsova, mais je m'ennuie terriblement. La dimension narrative est encore plus forte que dans Les Enfants du Paradis ou La Petite danseuse de Degas et cela finit par écraser le ballet. J'adore Balzac mais pas en ballet. Et je ne parle même pas de la musique assommante d’Asafiev. Une ou deux variations intéressantes mais le ballet ne prend pas.

 

J'ai écrit une note sur Les Nuits de Preljocaj, une œuvre amusante qui dépasse le vulgaire pour se distancer des clichés romantiques du ballet. De l'érotisme, de la sexualité, oui c'est possible dans une salle de spectacle.

 

Les derniers ballets que j'ai vus étaient à Londres où j'ai pu découvrir le classique des classiques: Giselle. Deux placements différents dans la salle, de l'amphithéâtre au coté de la scène, deux distributions éclatantes. Lamb et McRae m'ont fait pleinement croire à leur histoire, je me croyais en Allemagne et la fin m'a rempli d'émotions. Des danseurs nobles et beaux, qui s'opposaient à une Myrtha souffrante. Nunez et Soares étaient totalement différents, avec bien plus de violence sur scène contre une Myrtha rageuse. Si le physique de Soares l'éloigne des rôles classiques, sa performance semble presque actualiser l'histoire de Giselle et la placer au XXIe siècle. Nunez ne fait pas pleinement jeune femme, mais guide Albrecht dans ses péripéties. La pantomime se mêle à la danse, le superflu est éliminé, la virtuosité laisse place à l’élégance. Si la Sylphide m’avait donné une mauvaise image du ballet romantique, Giselle redort le blason.

 

Enfin, le dernier ballet du mois de janvier n'en était pas réellement un. Le Swan Lake de Bourne au Sadler’s Well privilégie largement l'idée à la danse, sacrifiée au raisonnement de mise en scène. J’avais déjà vu tout cela dans son Sleeping Beauty. Je suis donc épaté par les conceptions visuelles en termes de décors, costumes, lumière et dramaturgie mais la danse est trop absente. Le thème de l'homosexualité qui sort de la partition de Tchaïkovski avait été intelligemment utilisé par Dada Masilo pour sa version de Swan Lake. J'en étais ressorti bouleversé. Bourne décide de privilégier le spectacle: le prince souffre d'un complexe d'Oedipe, souhaitant se suicider il rencontre un homme cygne dont il tombe amoureux. Même histoire que chez Petipa, mais les cygnes sont des hommes. Bourne réussit à nous livrer un bon spectacle, on rit, on admire l’idée.

 

Côté lyrique, je suis sorti du répertoire italien classique pour accéder à des nouveautés, au premier rang desquels The Rape of Lucretia de Britten avec les solistes de l’Atelier Lyrique dont j'ai parlé ici.

 

Je suis ensuite passé aux opéras français avec une Lakmé aussi clichée que je l'attendais. Rien n'est ménagé sur l'opposition entre les Indiens sacrés et les Européens terriens. La musique est agréable sans me transcender, le livret bien plat. Regret principal : ne pas voir Lilo Baur plus inspirée pour la mise en scène, trop lisse, sans recherche réelle et sans reflet de l'œuvre. Peut etre avait elle peur de mettre en scène une œuvre si connue qui permettait tant de choix. L'ensemble est heureusement mis en couleurs par Devieilhe et Frédéric Antoun. Je n'ai pas été aussi sensible à sa voix à elle, saluée brillamment par les critiques officielles, mais j'ai passé un bon moment.

 

J’attendais de l’ennui de Werther, mais une fois les critiques de la première sorties, je me suis finalement forcé à y aller. Alagna et Deshayes m'ont enchanté. Lui n'était pas aussi rustre que d'habitude et a réussi à offrir un visage de poète romantique français. Elle s'éloignait des rôles que je l'avais vu prendre (Cherubino, Angelina, Despina, Sesto) pour nous donner une Charlotte raffinée et désespérée. La mise en scène de Jacquot est efficace mais l'ensemble manquait de force lors des derniers instants, qui aurait pu être plus larmoyant. Plasson dirigeait avec une rigueur et une grande sobriété, la musique en elle-même m'a ému. Je n'en attendais pas tant depuis Manon, Massenet m’intrigue de nouveau.

 

Un retour aux Italiens en fin de mois, avec un Rossini de jeunesse, La Pietra del Paragone. J'en retiens les prémices du talent rossinien, avec ce qui deviendra si caractéristique dans ses opéras bouffes, mais ici, les rebondissements sont trop attendus et les moments éclatants de musique sont rares. Néanmoins j'apprécie les solistes et leur intégration à la mise en scène. Celle ci utilisait la méthode de l’incrustation (comme dans une émission de météo), filmant les solistes sur un fond bleu. A l’écran, plus haut, l'image écran les plaçaient dans un autre décor: piscine, salon, chambre, jardin, terrasse. Ou comment s'éviter le tracas des décors. L'ensemble est astucieux, je passe donc un bon spectacle, sans plus.

 

Mois de janvier 2014

Onéguine, deux premières soirées

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3 et 4 février 2014

Palais Garnier

Direction musicale: James Tuggle

Onéguine: Karl Paquette / Evan McKie; Tatiana: Ludmila Pagliero / Isabelle Ciaravola; Lensky : Matthias Heymann; Olga: Charline Giezendanner; Grémine: Christophe Duquenne / Karl Paquette.

Deux Onéguines en deux soirs, c'est un luxe inouï, heureusement que les places de catégorie 5 se libèrent de temps à autres pour cette série de représentations qui affiche bien complet. Mon premier ballet à l'Opéra fait toujours autant plaisir à voir, même après l'avoir vu autant de fois, comme ici la saison dernière à Londres. S'il est bien dansé, les émotions seront toujours au rendez-vous.

Le roman en vers de Pouchkine est une de mes œuvres littéraires préférées et je conseille à tous de le lire. Le style est simple et léger mais diablement efficace, on se laisse porter par l'histoire, les descriptions et surtout les sentiments. En le lisant, Cranko a su s'en approprier les idées pour les mettre en musique et en danse. Il recentre l'action sur six moments importants, qui donnent la part belle à Tatiana. Les autres solistes ne sont pas en reste, que ce soit Onéguine, son ami Lenski ou encore la sœur de Tatiana, la jeune Olga.

L'œuvre est très facile d'accès, l'histoire se suit sans problème, facilitée par des costumes reconnaissables et une ligne dramatique fluide. La danse est naturelle et aide à faire comprendre les troubles sentimentaux et les enjeux de l'histoire. La musique tirée des œuvres de Tchaïkovski est le fruit d'un travail complexe de Cranko et de Stolze, son responsable d'orchestration. Les thèmes reviennent, remaniés à travers la soirée et restent bien en tête quelques jours après.

La première scène se passe dans le jardin de Madame Larina, la mère des deux sœurs. La rêveuse Tatiana lit un livre romantique, alors que sa sœur tout excitée du futur bal cout avec sa mère et sa nourrice. Elle se moque de Tatiana, alors que des amies arrivent. Mme Larina montre alors un miroir qui dévoilerait le visage de celui que l'on aime. Assise devant, Olga voit alors Lenski, son fiancé, apparaitre derrière elle. En voisin de campagne, il amène un de ses amis arrivé de St Pétersbourg, Eugène Onéguine, jeune dandy perpétuellement ennuyé qui charme tout de suite Tatiana qu'il emmène se promener. De jeunes amis viennent danser, puis les couples se succèdent sur scène dans des atmosphères bien différentes.

Nous arrivons ensuite dans la chambre de Tatiana qui veut écrire une lettre à Onéguine dont elle est amoureuse. Elle finit par s'endormir et rêve que le jeune homme entre, via son miroir. Dans sa chambre s'ensuit un duo qui, s'il est bien réalisé, peut être superbe et remplie d'émotions, rappelant les portés de Neumeier dans La Dame aux camélias. Au petit matin elle se réveille et fait porter une lettre au jeune homme.

Lors du bal donné pour son anniversaire, Tatiana reçoit sa famille, vieux oncles et tantes, et ses amis. Sa mère a également invité un ami de la famille, également ami d'Onéguine, le prince Grémine. Lenski vient accompagné d'Onéguine qui arrive en baillant, il se moque bien de cette petite noblesse campagnarde qui ne vit qu'au rythme des mariages et des moissons. Il réussit à isoler Tatiana pour lui rendre froidement sa lettre. La jeune femme est désespérée alors que la compagnie revient dans le salon. Pour tromper son ennui, Onéguine joue aux cartes puis décide de draguer Olga, qui se laisse prendre au jeu. Le fiancé devient furieux provoque alors son ami en duel, qui accepte. Le rideau ouvre ensuite sur Lenski qui danse un solo funéraire. S'ensuit une scène de supplication où les deux sœurs le supplient de revoir sa décision, qui refuse. Il se fait ensuite tuer par son ami, qui revient désespéré.

La dernière partie se déroule des années plus tard. Dans le livre, Onéguine a fait un tour d'Europe et revient dans les capitales, où il se rend à une réception chez le Prince Grémine et sa nouvelle femme, Tatiana. En voyant le duo d'amour familial qui est dansé devant lui, Onéguine est au désespoir, il voit sa vie défiler devant lui entre les couples du bal et se rend le lendemain chez la jeune femme. Si elle l'aime toujours, elle ne peut pas rompre son engagement de mariage. Elle se laisse aller puis se reprend. La jeune fille est devenue une femme respectable, une Tatiana, pas une Karénine, elle crie son désespoir alors qu'Onéguine s'enfuie.

Commençons par les ensembles. L'orchestre dirigé par James Tuggle ressort le meilleur de cette partition remplie d'émotions, jouant sur les tempi pour suivre les changements d'humeur sur scène.

Le corps de ballet était sympathique dans le premier acte, la jeunesse de l'ensemble rend crédible la scène de flirt pastorale. Au deuxième acte, le mélange entre jeunes et vieux est toujours aussi amusant. Le problème du troisième acte est qu'il est un peu trop touffu. Les robes sont très lourdes, accentuant l'implacabilité de cette cour pétersbourgeoise, mais la scène de Garnier n'est pas extensible et les bras s'entrechoquent un peu trop, les lignes ne sont pas impeccables et on arrive rapidement à un mélange un peu compliqué. Les meneurs du corps de ballet sont choisis par les héritiers Cranko (au droit de regard implacable sur les distributions) parmi les espoirs de la compagnie: Bittencourt, Bourdon, Park, Révillion, Stokes.

Lors des deux premières, le couple secondaire était dansé par Mathias Heymann et Charline Gizendanner. Ils offraient à leurs rôles toute la fraicheur dont a besoin un couple proche du mariage. Heymann n'était peut être pas suffisamment dans la retenue, mais Lenski prenait ainsi un coup de vivifiant qui n'était pas déplaisant. Surtout, il a poussé Charline vers le haut, elle paraissait un peu stressée lors de la première, cela s'était un peu calmé à la deuxième représentation. Dans son solo du deuxième acte, sa danse mortuaire avant le duel, il en fait peut être un peu trop, mais on y croit quand même. Les deux soirs j'ai été ému par ce moment en particulier.

Grémine est un rôle un peu en retrait mais qui nécessite une affection particulière, tant il est important que le couple qu'il forme avec Tatiana doit être vraisemblable et symboliser l'amour fidèle. Duquenne est (malheureusement) un habitué de ces seconds rôles et le joue tout comme il faut, protégeant presque la jeune Pagliero dans le grand monde moscovite. Paquette réussit également à me convaincre, son couple avec Ciaravola n'est plus à prouver, ils se comprennent et la tendresse est au rendez-vous.

Car Paquette est davantage un gentil qu'un méchant, il ne réussit pas à paraitre snob et désagréable en Onéguine lors de la première. Pour la première scène et la rencontre avec Tatiana-Pagliero, il donne presque une nouvelle version de l'œuvre, il est devenu un poète maudit incapable d'aimer. Mais malheureusement cette vision ne correspond pas au reste du ballet et on se perd un peu dans la seconde partie, j'ai du mal à croire à la scène du bal. Le pas de la chambre ne fonctionne pas tout à fait, Pagliero va trop vite, les portés affichent quelques difficultés.

Heureusement la soirée change de tournant après la deuxième entracte, entre l'affection du couple Pagliero-Duquenne, le dernier pas entre Paquette et Pagliero affichent une vraie passion. Elle réussit pendant tout le ballet à entrer dans ce rôle de tragédienne. Dès la première scène, elle joue impeccablement la jeune fille amoureuse admirative de ce bel inconnu. Si sa prestation dans la chambre ne m'a pas laissé d'impressions marquantes, je pense qu'il manque un peu de répétition car ses émotions sont présentes. Le changement est flagrant avec la dernière scène où la femme apparait, maitresse d'elle même, reine dans son palais et de sa technique.

Le soir de la deuxième, le couple-star est arrivé sur scène. Ciaravola-Moreau, Le couple que j'attendais, car il avait été mon premier à l'Opéra, n'a malheureusement pas pu se refaire en ce début de série, Moreau s'étant légèrement blessé. Comme lors de la dernière série, la direction a donc eu l'excellente idée d'appeler au secours le spécialiste ès Cranko, ès Oneguine: le formidable Evan Mckie.

Ce couple a été éprouvant à force d'être émouvant. En croisant McKie sortir de la première, je vois que même dans la rue il est élégant, il est presque naturellement Onéguine. Sur scène on y croit donc d'autant plus. Ils n'avaient jamais dansé ensemble même s'ils en parlaient depuis longtemps. Ils ont eu peu de répétitions et pourtant aucun accroc sur scène.

La scène de la chambre est pleine d'émotions, je n'étais pas resté autant scotché à la scène depuis longtemps. Les moments plus théâtraux sont également réussis, comme le bal ou la scène avant le duel. Lorsqu'il emmène Isabelle-Tatiana se promenait et qu'il va trop vite pour elle, on voit cette subtilité dans ces gestes: je veux m'amuser avec cette petite fille et quand même, un peu, être son ami. On croit à son désespoir lors du troisième acte et son départ est déchirant.

Ciaravola retrouve un de ses meilleurs rôles, c'est sa nomination, celle qui a mis tant de temps à arriver, c'est sa consécration. Elle est tragédienne à 100% avant d'être technicienne. Lors de son solo du bal, elle réussit à être si émouvante en reculant sur pointe. Pour la dernière scène, elle est en larmes. Elle remerciera sincèrement Evan Mckie au salut, le saluant pour une très belle prestation.

Onéguine, deux premières soirées

Don Quichotte: Simkin et Salenko

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6 février 2014

Palais des Congrès

Saint Pétersbourg Ballet Théâtre.

Kitri: Iana Salenko; Basilio: Daniil Simkin.

Après l'overdose de Don Quichotte la saison dernière (Opéra de Paris et de Vienne), il fallait se forcer pour retourner voir la version du Saint Pétersbourg Ballet Théâtre. Mais vu les têtes d'affiches, Simnkin et Salenko, se forcer pouvait faire du bien. Je les avais déjà vus au gala des étoiles du TCE et je n'attendais que de les revoir dans un ballet complet. Dommage que cela soit tombé sur cette compagnie.

L'avantage du SPBT est qu’ils sillonnent la France dans des grandes salles plus populaires, comme ici au Palais des Congrès, et ont une volonté de donner accès au grand public à un art jugé élitiste. Ainsi, régulièrement, on voit des affiches de Casse-Noisette, La Belle, La Bayadère, Le Lac des cygnes, Don Quichotte. Le contre point principal est que ces productions sont bien souvent kitsch, mal arrangées et simplifiées, et franchement décevantes. Se voulant populaire, le prix des places restent pourtant élevé.

Kolesnikova, la star de cette compagnie, avait été refusée du Mariinsky et du Mikhailovsky et s'était donc mis dans une compagnie dont elle a rapidement pris la direction. Elle a un talent certain, que j'avais pu voir déjà dans La Belle, Casse-Noisette et Le Lac. Un petit côté diva que j’apprécie chez les russes, et une technique assurée. Mais le corps de ballet était souvent catastrophique, avec des demi-solistes qui rattrapaient quelque fois la soirée. Les costumes et les décors sont dans l'ensemble kitsch et parfois passés (permettant d’ailleurs à l'inverse de mettre en valeur les productions de l'Opéra dont on oublie parfois la qualité).

Cette soirée n'a fait que confirmer ces idées. Don Quichotte est un long ballet et il faudrait donc que ce qui se passe sur scène fasse passer agréablement le temps, seulement ici c'est un échec et on attend avec hâte les prochains moments où les solistes apparaitront. L'histoire ne se suit même pas facilement ; la scène des Dryades semblait ainsi sortie d'un chapeau.

Et le Palais des Congrès n'est vraiment pas la salle adaptée pour de la musique ou de la danse. Les changements de décor durent bien trop longtemps, les lumières font rapidement show à l'américaine. Et quand l'orchestre est passablement passable, l'acoustique n'aide pas vraiment à le mettre en valeur.

En allégeant la chorégraphie (et la partition), on évite donc le prologue, mais le corps de ballet est trop souvent sans pointes et les lignes sont mal réglées, bref tout ce qui énerve n'importe quel balletomane. Heureusement Salenko et Simkin arrivent, sauvant la première partie. Ils s'insèrent dans l'ambiance du ballet sans snobisme. Seul leur danse et leur talent d'acteur leur permettront par la suite de se distinguer largement. Ils sont jeunes, petits (1m70 pour lui, encore moins pour elle), tout mignons. Leur complicité évidente rend contagieux leur enthousiasme. Son ballon époustouflant entraine des applaudissements furieux, ses pointes de même. Il est rare de voir une telle osmose entre deux danseurs et un tel désir de danser, Don Quichotte était un choix évident pour les voir ensemble. Seulement, une fois qu'ils s'assoient, le terrible Ennui revient. Je remarque néanmoins que, si la danseuse des rues est plutôt faible et danse peu (et "danse" autour de verres plutôt que de couteaux), Espada est particulièrement bien choisi pour ce rôle: viril, imposant.

Noureev avait eu la bonne idée de rajouter un pas de deux sur la musique de Bayadère au deuxième acte qui donnait un peu de danse à la scène des gitans, ici narrative et ennuyeuse. Après une longue attente dans le noir, on arrive dans un monde des Dryades qui fait exception au reste du ballet, le corps de ballet est dans l'ensemble correct (sans doute car il sert plus de cadre que de danseurs), mené par une Reine, Tkachenko, qui semble plus âgée mais à la technique solide et majestueuse. Cupidon est plus reconnaissable que dans la version Noureev, mais parait un peu trop enfant et instable ici. Salenko est brillante, ses développés et ses bras flottent sur la scène. Puis l'Ennui reprend jusqu'au mariage, avec toutefois un regain d'intérêt lors de la scène du suicide.

Le pas de deux du mariage justifie à lui seul l'ensemble du spectacle, les applaudissements ne s'arrêtent pas. Pour autant, Simkin n'est pas (plus ?) une bête de cirque, leur adage n'est pas explosif mais juste ; il laisse de la place à Salenko pour un ensemble équilibré. Il fait ensuite penser à de mythiques icônes du ballet masculin lors de sa variation, le public reste scotché. Salenko offre une variation de l'éventail toute en finesse, narguant le public avec ses piqués, avant le grand feu d'artifice de la coda, sous un tonnerre d'applaudissements.

J'espère maintenant revoir ces solistes avec une grande compagnie derrière eux

Don Quichotte: Simkin et Salenko

Roméo et Juliette par Briançon

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7 février 2014

Théâtre de la Porte Saint Martin.

Mise en scène: Nicolas Briançon; Roméo: Niels Schneider; Juliette: Ana Girardot

Même si l'on connait leurs textes par cœur, je trouve qu'il est nécessaire d'aller voir de temps en temps des pièces des plus grands dramaturges de l'ère moderne, Shakespeare et Molière. Le Français reste incontestablement la maison de Poquelin mais je n'ai jamais trouvé leurs adaptations de Shakespeare éclatantes. Je vais quand même aller voir leur version du Songe, mis en scène par Mayette.

A Paris, il faut donc attendre des tournées British, comme celle de Sam Mendes il y a quelques années, ou alors assister à des tentatives par des théâtres français. Il y a de tout: un brillant Conte d'Hiver par Lilo Baur aux Abbesses, des Commères de Windsor bien lourdes au français, un Roméo trop vulgaire et peu approfondie à l'Odéon, ou alors une tentative réussie de Nicolas Briançon du Songe d'une nuit d'été. Ce dernier revient au Théâtre de la Porte Saint Martin pour une adaptation du plus classique des classiques, Roméo et Juliette.

Première épreuve du feu réussie, celle de la traduction. Ni trop populaire, ni trop guindée, chaque personnage a son style de langage, Mercutio parait donc encore plus poète tant ses tirades sont soignées. En face, le langage des deux amoureux parait très naturel. Ensuite, d'autres différences entre le frère Laurent, les parents, la nourrice.....

Le metteur en scène choisit de placer l'ambiance des familles rivales dans une atmosphère des parrains de la mafia siciliens. L'idée n'est pas mauvaise et semble inspirée du Roméo+Juliette de Luhrmann avec Dicaprio. Les deux pères en chef de clan, sous le pouvoir du Parrain/Prince, pourquoi pas. Tous s'y insèrent très bien, nourrice et prêtre inclus. Mais seul petit problème, pas le couple principal. J'ai du mal à voir Roméo en héritier de gang. Plus on avance dans la pièce, plus le fossé se creuse entre Roméo et Juliette et le reste de la troupe.

Ainsi les scènes qui mélangent Juliette et ses parents trainent un peu et je n'y crois pas tout à fait. La scène du père énervé tombe comme un cheveu sur la soupe par exemple. Heureusement trois rôles réussissent à relier le couple au reste de la salle alors que le reste de la troupe semble un peu à la traine,

Mercutio tout d'abord que j'ai trouvé amusant sinon réussi. La mise en scène lui donne un petit aspect Gainsbourg et décalé par rapport à ses amis qui ne comprennent pas toujours ce qu'il dit. Il en fait peut être un peu trop et j'ai du mal à croire à sa mort. Mais j’aime son aspect distant qui essaie de se marginaliser. S'il sert de conscience à Roméo, c'est surtout le frère Laurent, dont je ne me rappelais pas qu'il avait un rôle aussi important. Bernard Malaka assure la seule figure d'autorité et de conscience réelle. Enfin, Valérie Mairesse remporte la palme du meilleur second rôle, naturelle, aimante, pleine d'énergie, d’humour en nourrice-mama italienne.

A les voir ensemble, le couple principal semble évident, l'alchimie est sincère, trop naturelle entre eux pour qu'ils la montrent. Ils sont presque trop pudiques entre eux pour se dévoiler au public. Ils sont beaux comme tout, jeunes, et pour une fois je crois à une Juliette de 14 ans et à un Roméo à peine plus vieux. Chacune de leurs répliques d'hésitation au moment de la rencontre semble issue d'un journal intime d'adolescent, avec les problèmes de premières amours, comme l'état de Roméo après leur première nuit: est-ce l'idée de partir pour Mantoue ou l'épuisement de la nuit qui l'intrigue?

Le désespoir de Juliette est pour le moins étrange, on y croit un peu, puis pas trop, puis je réalise qu'elle ne sait pas tout à fait ce qu'est l'amour, j'ai l'impression de voir une amourette de collégienne qui se tue car elle ne réussit pas à supporter ce qui lui arrive. Schneider parait, sa voix aidant, beaucoup plus sérieux. Il a déjà connu l'amour, combien de femmes y a t il eu avant Rosalinde? Malgré les indications de Laurent sur son inconstance, je crois à son dévouement réel envers Juliette.

Quelques subtilités dans la mise en scène, les décors mobiles, habilement éclairés sont plutôt réussis et laissent la part belle aux acteurs. De plus les couleurs des robes ne font que confirmer les idées sur Juliette. Elle est la seule en blanc au bal de son père, au milieu de ses jeunes amies en noir. Elle reviendra avec une robe tachetée après la rencontre avec Roméo puis finira dans une robe de mariage rouge sang, annonciatrice de la fin tragique. Une idée intéressante sur l'évolution de la jeune fille en femme. Les références sexuelles restent d'ailleurs tolérables par rapport au reste de la mise en scène.

En choisissant de mettre en scène Roméo et Juliette, classique entre les classiques, il est nécessaire de prendre un statut fort, qui fasse sortir la pièce de la ruche parisienne, au risque qu'elle devienne un n-ieme Roméo et Juliette. Briançon avait choisi le glamour pour son Songe, production et distribution et c'est ce qui m'est resté comme image. Malheureusement, aucune image ne me reste ici particulièrement en tête et j'en garderai simplement le souvenir d'un couple amoureux et sincère sur scène. C'est déjà ca, mais il aurait du trouver un moyen de mettre davantage en valeur cette pièce.

Roméo et Juliette par Briançon

Kabaret Warszawski

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8 février 2014
Théâtre de Chaillot

4h30 de spectacle (en polonais surtitré) qui passent encore plus vite qu’Einstein on the beach, Warlikowski confirme de nouveau qu’il relève du génie. Son Médée de la saison dernière reste une de mes meilleures impressions de la saison dernière. Je vais sans doute avoir beaucoup de mal à parler de cette nouvelle œuvre hybride, qui relie performance scénique et théâtre plus classique, tant les références à d’autres œuvres sont multiples. Beaucoup de mal à expliciter, mais je vais décrire comme je peux ce que j’ai ressenti.

Les deux premières heures se déroulent dans un Berlin des années 30, inspiré d’un texte de celui qui léguera au grand public Cabaret. La première scène chez Chris, qui enseigne l’anglais à une juive allemande qui s’apprête à partir pour les Etats-Unis pour échapper au nazisme montant. Arrive alors Sally Brown, qui rappelle presque la Médée – Amy Winehouse de la saison dernière. Mini-mini-robe, maquillée grossièrement, une bouteille à la main, rapidement xénophobe, moqueuse et vulgaire. Ensuite une scène de cabaret où un à un on nous présente les acteurs comme des danseurs ou chanteurs. Tous ces hommes et femmes qui vont nous faire entrer dans leur monde, le nôtre. De là part la pièce, chaque morceau entouré et séparé de musiques explosives. Tous les thèmes y passent : la starlette passée ou carriéristes, la musique de Wagner contre celle de Schönberg, les problèmes sentimentaux ou sexuels, le racisme, quelques timides approches de l’homosexualité et les derniers problèmes de mariage arrangé. Tout cela autour d’un cabaret où chacun peut se révéler tel qu’il est. La scène finit sur les JO de 36 et une remise d’Oscar à Sally.

Cette partie est particulièrement prenante. Les acteurs me rappellent ceux du Tanztheater de Pina Bausch, notamment Kontakthof. Ils sont avant tout humain, tout fard rajouté est là pour grossir des traits existants, non pas pour faussement embellir. Je trouve donc Sally Brown tout à fait émouvante dans sa quête d’elle-même. La vieille française Jacqueline dont nous suivons les dernières heures de cabaret et les amours avec Pepe apportent également ses sentiments de dégout et de tendresse. Ou la scène où la bourgeoise juive s’est faite agressée dans une foule, se lamente et se moque de son ami impuissant du moment. La magie de Warlikowski est de réussir à nous saisir l’attention du début à la fin : on est d’abord intrigué puis passionné. La barrière de la langue transforme l’histoire en sorte de témoignage étranger, mais on ne s’approche pas pour autant (heureusement) du reportage historique. C’est le naturel des acteurs, leur implication dans la mise en scène et leur capacité à relancer le débat qui est passionnant.

Après un rapide entracte, retour dans une toute autre atmosphère, celle de la phobie post 11 septembre que Warlikowski met en parallèle avec la première période. Il remarque avec tristesse le retour du nationalisme et du sectarisme en Pologne, qui l’effraie. De la même façon, il va donc mettre en lumière les différents problèmes de notre société. Je trouve néanmoins que sans le recul de 80 et quelques années, cela me touche moins, mais l’ensemble reste globalement très fort.

Les sources sont le film Shortbus et la biographie de Justin Vivian Bond. La première scène montre Jamie et James chez une sexologue frigide. Ils se lassent de leur vie monogame et souhaite élargir à une troisième personne. Et nous partons dans un monde de night-club, sex-shop, orgy. Comment atteindre l’orgasme ? Comment envisager une relation sentimentale ? Une scène moins réussie, sur l’attentat de septembre 2001 directement, sur une musique de Radiohead, qui finit pour autant par nous toucher. Enfin une dernière scène où les différents antagonistes semblent enfin heureux avec eux-mêmes, ou au moins plus calmes. Ainsi de James, en sirène suspendue, calmé de tous ses tracas. Le tout entouré par un acteur qui joue le rôle de Bond, tantôt homme, tantôt femme.

Le décor est classique de Warlikowski, des carreaux blancs, une salle de bain avec bidet, une cabine de strip-teaseur, un rideau doré qui se coulisse sur le côté, et un canapé qui servira à travers toutes les scènes. La musique est jouée soit sur les enceintes, soit par l’orchestre et ne fait qu’accentuer les émotions et les ressentiments. Ce qui ressort de ces 4h30 est fort, j’en retiens des images de théâtre réellement engagé, avec un message clair et des questions sous-jacentes. Et une nouvelle playlist.

Kabaret Warszawski

Les Fausses Confidences de Luc Bondy

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9 février 2014
Théâtre de l’Odéon

Retour à l’Odéon pour la première fois depuis la nomination de Luc Bondy (et j’espère pouvoir aller voir Py cet été en Avignon), pour une production star mise en scène par le directeur du lieu avec deux gros noms, Huppert et Garrel. En quelques jours, le spectacle a rapidement affiché complet. Malgré tout l’aspect très people, la pièce n’en reste pas pour le moins sobre et intelligente, un excellent moment de théâtre.

Au départ il y a cette pièce de Marivaux, plutôt inconnue et qui s’éloigne des ‘marivaudages’ de travestissement, type Le Jeu de l’amour et du hasard. On approche des œuvres plus sérieuses de Marivaux, comme cette Epreuve que j’avais vue de Hervieu-Léger avec Corbery. Les thèmes y sont les mêmes, un mariage, de l’argent, un déguisement. Mais la fin était bien plus sérieuse, le mariage se faisait, avec une ambiguïté sur le bonheur ou non qu’il procurait. Ces Fausses Confidences résonnent de sérieux, en gardant néanmoins quelques notes d’humour pour rééquilibrer la dramaturgie.

La riche veuve Araminte est en procès avec le Comte Dorimont pour une histoire de terre. La mère de celle-ci propose donc un mariage pour arranger l’histoire. Or le jeune Dorante est tombé fou amoureux de la veuve en la voyant sortir de l’Opéra et se fait engager comme intendant. Il est beau, honorable, mais pauvre. Ainsi son oncle tente de le marier successivement avec une employée d’Araminte, Marton, puis avec une femme riche de 15 000 livres de rente. Dorante refusera toujours. Autour de ceci, tel un magicien, un Prospero maladif qui orchestre l’ensemble, en jouant triple jeu : Dubois, ancien domestique de Dorante et actuellement chez Araminte. Il aide le premier mais finit par le tromper en parlant trop ou pas assez à la seconde.

Les quiproquos sont moins lourds que dans d’autres pièces de Marivaux ou que chez Molière, plus subtils et à la finalité plus grave. A partir du texte, le choix doit être fait de rendre uniquement un aspect humoristique un peu gras, ou alors celui de miser sur la gravité. Bondy choisit la seconde solution, en conservant quelques touches d'humour. Un instant, je crois réellement que la pièce finira mal, que chacun partira seul et qu’Araminte, par vanité, refusera de se donner et d’avouer qu’elle sait qu’il l’aime. En parallèle, les scènes avec la malheureuse et impuissante Marton, dont tout le monde se moque bien, nous font rire du malheur d’une autre.

La mise en scène nous place l’action dans une époque vaguement contemporaine, le décalage n’est absolument pas choquant, tous s’y insère très bien. L’intrigue se centre autour d’Araminte, une Isabelle Huppert que l’on voit apparaitre au naturel, un peu cougar certes, mais qui reste une femme maîtresse d’elle-même, une bourgeoise très occupée, très riche et très organisée.

Alors que le public s’installe, elle est au fond à apprendre le taï-chi au milieu de ses chaussures. Elle changera de chaussures à chaque scène. Celles-ci sont impeccablement organisées en rond ou lignes au fond de la scène, comme pour illustrer les variations d’humeur qui seraient tout à fait réglés. A la fin du deuxième acte, tout cet ordre est chamboulé, la veuve a perdu complètement ses repères d’avant, elle devient une nouvelle femme, une femme aimée. Ainsi les différents panneaux qui sont des pans de murs d’un appartement haussmannien, bougent, se rapprochent et s’éloignent, reflétant l’état d’esprit d’Araminte, soit tout est clair, puis elle ne comprend plus, et ainsi de suite jusqu’à la fin, quand les murs retrouveront enfin leurs états originaux.

Les fausses confidences ou les faux-semblants. La scène s’avance au delà du cadre de la scène, nous rappelant que la frontière entre réel et théâtre est mince. La scène elle-même est découpée. La partie la plus visible est celle où les acteurs vont jouer, feindre, se moquer. Au fond, ils seront égaux à eux-mêmes, honnêtes et francs. Ce qui est amusant, évidemment, c’est de jouer avec les frontières. De la même façon, le petit salon d’Araminte où chaque siège correspond à une personne : un fauteuil club pour le comte, une chaise en satin rouge pour sa mère, une mini chaise élégante pour Marton. Puis chacun échange, chacun se donne de fausses opinions, on ment aux autres.

Huppert joue sans snobisme, ce qui n’était pas assuré avant d’arriver, bourgeoise mais sans rien de trop. Lors des différents moments où elle est choquée, touchée, et bien j’y crois totalement. Elle désire être une femme, elle a presque oublié de l’être.

En face Louis Garrel réussit son rôle de jeune premier (dont mes accompagnatrices apprécient autant largement les charmes), timide, amoureux et sincère. Un peu trop naïf certes, il fait parfois un peu penser à un Arlequin/Calimero sur qui la fatalité s’abat. Sa sincérité ne semble pas trouver sa place dans ce monde de manigance. J’ai d’ailleurs l’impression de peu le voir sur scène, tout se déroule autour de lui, mais souvent sans lui. Peut-être est-il le seul à travailler d’ailleurs, derrière ce tableau de scène bourgeoise. Quand il est là néanmoins, une certaine tension dramatique s’installe.

A l’opposé, Madame Argante, la brillante Bulle Ogier, est calculatrice, intéressée et se moque bien de ce jeune freluquet qui lui ôte l’argent, les titres et le prestige. Elle sillonne la scène, son homme de main au bras, s’énervant tel Yoda dans la première trilogie de George Lucas, insultant bêtement avec une petite voix nasillarde.

Au dessus donc, Dubois, le domestique sournois au jeu caché, qui fait presque peur tant il a l’air malsain. Araminte finira par l’insulter, le frapper, en pleurant. Il s’amusait de la faire souffrir. C’est une sorte de pied de nez aux comédies de Molière, mais ici les patrons souffrent réellement et personnellement. Difficile de percer son jeu, pour qui travaillait-il ? Est-il simplement pervers ?

Sinon, je remarque le talent des autres acteurs à s’approprier les personnages plus typiques du théâtre de Marivaux, Barbin en Arlequin ivrogne et aussi fidèle qu’un chien, Malo en Dorimont vieux barbon qui se dévoile charitable en fin de pièce ou encore Verley en Monsieur Remy, aimant tel un père son neveu Dorante.

La scène la plus forte est sans nul doute celle où Araminte dicte à Dorante une lettre où elle annonce au Comte accepter leur mariage. Elle lui dicte, sèchement, manipulatrice. Cela le tue, il lutte mais s’effondre, et finit par la consommer elle-même aussi. La scène la plus délicieuse du théâtre de la comédie est celle du quiproquo du portrait : Marton pense que le portrait commandé par Dorante est d’elle, quiproquo après quiproquo, le portait est en réalité d’Araminte. La scène est entourée de tous les personnages secondaires qui donnent à la pièce son délicieux piquant.

La fin quand à elle-même allonge Huppert sur sa cheminée alors que Garrel est de l’autre côté de la scène à terre. Les étoiles apparaissent sur le fond de scène, tous les tracas ont enfin disparu, plus rien ne se tient entre les amants, qui ont maintenant la vie pour s’aimer.

Les Fausses Confidences de Luc Bondy

Février 2014

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De moins en moins de temps pour des articles complets sur mes spectacles, donc voilà un premier tour d’horizon de mes spectacles de février 2014.

Février a décidément été le mois d’Onéguine. Moi qui m’étais promis de ne pas le voir trop de fois, j’y suis quand même allé quatre fois. Même en connaissant ce ballet par cœur (musique, chorégraphie), les émotions reviennent, bien différentes selon chaque interprète. Paquette a tenté de faire un poète romantique, ce qui ne marchait pas trop à l’acte II. En face, Pagliero avait du mal à se positionner en tant que Tatiana. Un peu hésitant, ils finissent le ballet de façon très propre. Le lendemain, Evan McKie est revenu de Stuttgart au dernier moment pour reprendre Onéguine avec Isabelle Ciaravola. Il est décidément parfait et a réussi à montrer toutes les subtilités du personnage ; elle reste une superbe tragédienne et est sans doute la danseuse qui a le mieux compris Tatiana. Je la retrouve pour sa dernière représentation à l’Opéra, cette fois avec Hervé Moreau. Ce ne fut pas une représentation larmoyante, mais heureuse. Tatiana s’est donnée tout entière à son partenaire, Moreau est décidément un danseur très noble et très dur dans un tel rôle.

Ciaravola est sans doute la plus grande tragédienne de sa génération. Effectivement je ne m’imagine pas trop dans les rôles ultra classiques du répertoire : La Belle, Le Lac, Bayadère ou encore Kitri, car son véritable potentiel aurait sans doute été gâché. Elle le dit elle-même, elle n’était pas une technicienne hors-pair. Ses mouvements reflétaient ses états d’âme. Ses grands rôles sont ceux d’actrices (Marguerite, Tatiana, Manon).

Lors de ces trois dates, Heymann et Giezendanner dansaient le couple secondaire Lenski/Olga. Il était bien heureux de retrouver une série longue sur la scène de Garnier et s’est donc donné à cœur joie dans ce rôle qui mêle joie amoureuse et souci de la mort. Son solo du deuxième acte semblait pousser plus loin celui du deuxième acte de La Belle. Charline a trouvé ici un bon rôle pour s’exprimer, certainement plus valorisant que l’éternelle Fée-Canari de La Belle, sa joie sur scène réussissait sa mission principale : s’opposer à la nostalgie de Tatiana.

Et puis il y a eu une représentation bien différente, la troisième distribution, celle d’Albisson et d’Hoffalt, de Révillion et Barbeau. J’ai vu une toute nouvelle version du ballet, qui m’a (désolé) fait penser à High School Musical, dans le sens où c’était une histoire de lycéens. Je me fiche bien que cela gâche Pouchkine, Cranko ou d’autres, j’ai adoré cette version où les sentiments et les réactions étaient bien plus jeunes. Ainsi quand Onéguine revient, Hoffalt a l’air de se dire ‘j’ai fait une bêtise.’ En osant blâmer Onéguine après le duel, elle devient femme et ce changement est d’autant plus visible avec une aussi jeune danseuse. Je suis réellement content que Révillion ait eu un rôle consistant en plus de sa Pierre Précieuse. Ce danseur appartiendra décidément à la prochaine génération prometteuse. Il m’a convaincu tout à fait en Lensky. Voir la chronique des Balletonautes, avec qui je suis décidément de plus en plus d’accord.

J’ai également pu voir une fois le double programme très intéressant Cullberg/De Mille avec ce que je jugeais être la plus équilibrée des distributions. Pujol était parfaite en Accusée de Fall River Legend, son expressivité, qui en fait parfois un peu trop, est ici tout à fait à sa place. Elle est cinglante et glaciale en meurtrière, mais tout d’un coup plus attendrissante quand elle rencontre Pierre-Arthur Raveau, le jeune pasteur qui cherche l’amour et une âme à sauver. Il est attiré par cette jeune fille si différente. Les scènes de groupe réalisent de bons ensembles. Cette danse qui semble briguer l’héritage expressionniste de Lifar n’est pas tout à fait ma tasse de thé mais se laisse regarder sans trop d’excès.

En face, Abbagnato jouait une Mademoiselle Julie qui reflétait tout à fait ses talents. Elle est la descendante d’une grande famille, le dernier rejeton pourri gâté et mal élevé qui veut un nouveau jouet. Elle fait fuir son fiancé, Yann Saïz, excellent même avec sa moustache et son costume violet, et se cherche un nouveau jouet. Elle regarde alors un de ces domestiques, Jean, qui drague déjà d’autres domestiques. Bullion de la même façon trouve là un rôle taillé pour lui : le domestique distant un peu froid, qui fait le travail et retourne vers autre chose. La scène de la cuisine semble directement venir du Carmen de Roland Petit, Abbagnato debout qui tente de faire craquer Bullion. Sauf qu’ici c’est elle qui souffre. La dernière scène, celle du tableau des ancêtres qui prennent vie pour blâmer l’enfant, prévient déjà l’arrivée d’Ek. Un excellent ballet que je vais sans doute aller revoir.

Pour finir sur le ballet de l’Opéra de Paris, j’ai pu profiter d’une visite de l’Ecole de Danse de Nanterre, berceau actuel de la fameuse Ecole française de danse classique. Il est passionnant de voir les locaux d’où viennent les futures étoiles du Ballet et pouvoir échanger quelques mots avec Elisabeth Platel, directrice du lieu, une femme qui s’est dévouée corps et âme à la tradition française.

En danse, j’ai également pu voir un Don Quichotte au Palais des Congrès, dont j’ai parlé ici, avec Daniil Simkin et Iana Salenko.

Enfin, j’ai assisté à la performance de Noé Soulier au Palais de Tokyo, Mouvement sur Mouvement. Tout en exécutant des pas venus de Forsythe, Soulier nous récitait un texte sur le mouvement, les référentiels, le rapport entre les actes. Une performance courte, intéressante, qui traite de Bausch, Forsythe ou encore Cunningham.

Côté théâtre, je suis allé voir Les Fausses Confidences avec Isabelle Huppert et Louis Garrel et le Roméo et Juliette de Briançon. Je suis également allé au Français voir Le Songe d’une nuit d’été mis en scène par Muriel Mayette, que j’ai vraiment détesté, je ne m’étais pas autant ennuyé depuis longtemps. La traduction était bien plate, les coupures embêtantes, la scénographie en papier et les costumes ne créaient rien qui me paraissait pertinent. Heureusement la performance de Vuillermoz et de ses acolytes a réussi à éviter le naufrage.

Côté opéra, j’ai été plus flemmard, et n’ai pas réussi à voir Butterfly ou Alcina. J’ai néanmoins été voir La Fanciulla del West avec Stemme à Bastille : une mise en scène américaine ultra kitsch, mais qui m’a bien plu. L’œuvre rappelle La Bohème ou malheureusement parfois Il Tabarro. Décidément pas un chef d’œuvre, mais une bonne distraction, et quel plaisir d’entendre Stemme après son Tannhäuser il y a quelques années.

J’ai été conquis par Pelléas et Mélisande, dont ma critique va bientôt arriver. L’Opéra Comique retrouve une des œuvres créées dans sa salle et lui offre une mise en scène sobre qui met en valeur l’œuvre, avec des chanteurs français d’un très haut niveau, sous une belle direction. J’ai maintenant hâte de voir la production Wilson à Bastille la saison prochaine.

Enfin, dans la dernière catégorie, celles des ‘autres’ spectacles, je parlerai tout d’abord de Tabac Rouge de James Thierrée, un spectacle pluridisciplinaire : cirque/acrobatie, musique, et théâtre en tant qu’expression dramatique. En rangeant ce spectacle dans la catégorie de « Théâtre, » le TdV a peut-être mal visé le public. Sans presque aucune parole, je comprends tout à fait la trame de cette histoire. Le dictateur, tel Akel dans Pelléas, va mal, et tout l’univers en souffre. Ces ‘minions’ se contorsionnent de douleur et tentent de le distraire. Il essaie de s’échapper mais l’armée l’en empêche. Une trame presque venue d’Ionesco : absurde, émotion, esthétique. Ce grand final où les parois s’élèvent et se détachent, illuminant alors enfin l’espace, rend une très belle image. Thierrée est exceptionnel dans ce rôle de fou. Chaque geste est détaillé, et c’est bien un ‘choréo-drame.’

Mon meilleur spectacle reste décidément le Kabaret Warszawski de Warlikowski dont j’avais parlé ici.

Février 2014

Giselle[s] au Royal Opera House

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Représentations du 23 et du 25 janvier au Royal Opera House.

Deux spectacles aussi bien différents de mon point de vue en tant que public que du point de vue de la danse. Le premier soir, je me retrouve à l'amphi, bien de face mais surtout bien loin de la scène; le deuxième, côté cour, au dessus de l'orchestre, je pouvais presque toucher les danseurs.

La première soirée était surtout pour moi la découverte de cette oeuvre quasi sacrée du répertoire, la plus emblématique du répertoire romantique. La Sylphide parisienne de Lacotte m'avait en partie bien ennuyé, sauvée néanmoins par les danseurs (Heymann, Obraztsova notamment), le spectacle manquait de force d'intrigue et de danse emblématique.

J'ai trouvé Giselle réellement emblématique, un vrai spectacle sans pour autant avoir l'impression de voir devant moi un monument de musée. La séparation entre les deux actes parait initialement étonnant par rapport aux grands ballets russes en trois actes qui semblent plus équilibrés. De plus l'usage des pointes est pour le moins caractéristique du ballet français: on refuse la virtuosité, pour privilégier l'élégance. Un pied plat peut être aussi bien utilisé qu'une pointe. Rien n'est en trop, les six o'clock sont mis au placard pour privilégier quelques développés plus justement placés.

L'histoire est plutôt simple. Le comte Albrecht se travestit en paysan pour séduire Giselle dont il est tombé amoureux. Celle-ci tombe à son tour amoureuse et rompt avec son fiancé Hilarion. Elle est sacrée reine des vendanges lors d'une fête paysanne. Des courtisans de la maison d'Albrecht chassent dans le voisinage et se reposent devant la maison de Giselle. Celle-ci rencontre alors la fiancée officielle d'Albrecht sans le savoir, qui lui offre un collier pour son futur mariage. Hilarion réussit à démasquer le comte, Giselle se suicide alors après avoir perdu la raison.

Le premier acte porte en grande partie sur l'intrigue: le drame prime largement sur la danse, et la pantomime encadre ce drame. En étant loin, j'ai eu du mal le premier soir à pleinement me concentrer sur cet acte. Plus proche le samedi, je saisis les nuances du langage chorégraphique, je vois les bras ou le visage s'exprimer. Typiquement, la scène où la mère de Giselle lui explique le danger d'abandonner son fiancé pour un autre homme en lui exposant le mythe des Willis, j'ai été saisi par la force du personnage en la voyant de très près. La lourdeur des costumes et des gestes de la cour d'Albrecht insistent sur la lourdeur de cet acte terrien qui mélange les problématiques sociales: classes supérieures contre paysans, mariage arrangé et amour.

Ainsi la danse du premier acte se comprend d'autant mieux si elle s'inscrit pleinement dans cette pantomime. La scène des vendanges qui sacre Giselle reine des vendanges consacre donc la jeune femme avant sa chute et sa folie. Je remarque que le corps du Royal Ballet n'est pas tout à fait aussi exactement placé que le serait celui de Paris, mais la danse reste dans l'ensemble bien fluide. La petite batterie est malheureusement un peu sacrifiée même chez les demi-solistes. Hilarion en revanche ne danse pas, il symbolise le rustre paysan bien éloigné de la danse, et privilégie donc la dramaturgie et le personnage.

Le deuxième acte ouvre sur Hilarion pleurant sur la tombe de Giselle, enterrée hors d'un cimetière car suicidée. Il prend peur devant l'éveil des Willis, ces vierges mortes avant leur mariage car trahies par leur fiancé. Elle sont menées par Myrtha leur reine qui entrainent les hommes dans une danse infinie jusqu'à ce qu'ils succombent. Hilarion finira par mourir mais l'âme de Giselle sauvera Albrecht du pouvoir des Willis avant de disparaitre.

Le deuxième acte raisonne donc des Ombres de Bayadère qui en semblent tout à fait inspirées, à l'exception près que ces Willis sont méchantes et porteuses de mort, afin de revaloriser encore plus le couple Giselle-Albrecht. La Myrtha du samedi apparait méchante et froide sur scène, avec un visage dur qui laisse transparaitre son histoire passée et la trahison qu'elle a subie. Celle du jeudi paraissait purement agressive et sans merci. Le corps de ballet m'a semblé très en place dans l'ensemble, mené le samedi par deux charmantes acolytes de Myrtha (notamment la latine Beatriz Stix-Brunell et son acolyte plus aristocrate).

Les deux couples que j'ai vu alterner dans les rôles principaux étaient bien différents. Le jour contre la nuit, mais les deux sublimes. Le couple McRae/Lamb est solaire, lumineux, on dirait un vrai couple allemand. De si près, j’ai pu voir chacune de leurs expressions, apprécier la fatigue mortelle de McRae alors que Myrtha le pousse à danser. La reine des Willis semblait ici souffrante plus que méchante. De même pour la souffrance de Sarah Lamb, réellement trahie par Albrecht, qui meurt à quelques mètres de moi. Je me croyais réellement en Allemagne avec eux.

Le couple lunaire Soares/Nuñez donne une toute autre impression, rendant le deuxième acte encore plus passionnant. Vu son physique, Soares ne donne pas un Albrecht tout à fait vraisemblable dans le premier acte, les costumes sont sans doute trop lourd pour être intemporelle et donner leur chance à tous les types de danseurs. Néanmoins il semble donner une nouvelle version du ballet dans le second acte. Nuñez, une superbe ballerine, n’est plus suffisamment jeune pour que l’on croie tout à fait à la jeune fille naïve, mais elle semble guider son Albrecht à travers les Willis. En face, Tierney Heap en Myrtha semble une reine réellement terrifiante.

Tout superflu est éliminé dans cette chorégraphie, la pantomime et la danse se succèdent et se combinent. La virtuosité est éliminée au titre de l’élégance : c’est le style romantique à son apogée.

Giselle[s] au Royal Opera House

Pelléas et Mélisande

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21 février, Opéra Comique

 

Ma première rencontre avec Pelléas et Mélisande, c'est dans Proust, Mme Cambremer parle d’un voyage à Paris « on donnait Pelléas et Mélisande, c’était affreux, » et c’est de la création Salle Favart dont elle parle. En réalité, Proust avait une réelle admiration pour l’œuvre de Maeterlinck et Debussy.

 

L'œuvre touche le spectateur comme quelque chose de cristallin. Tout y est fragile, symboliste et exquis. La direction de Langrée réussit à sortir de la partition cet aspect parfait qui porte le chant, l'oeuvre et le drame. Entre autres, la sensualité de l’œuvre ressort particulièrement.

 

Il semblerait que Debussy ait choisi de revenir vers son œuvre quelques années après sa création pour combler les intervalles entre les scènes par des instants musicaux, et heureusement que Langrée nous offre ces concerts, car les changements sont parfois bien longs. Ces espacements sont partie intégrante de l'œuvre (allongés d'ailleurs par quelques problèmes techniques sur le plateau) et accentuent ses traits principaux: le temps qui s'écoule très lentement, l'ennui, le vide et la mort du royaume d'Allomond.

 

L'intrigue relève presque d'un mythe originel à la Wagner: un vieux roi mourant mais qui ne meurt pas, ses deux fils réellement mourants, les deux petits fils, en réalité demi frère par la même-mère, qui ne s'entendent pas. Golaud a été marié mais est maintenant veuf et a trouvé Mélisande, une princesse en fuite, dans une forêt du royaume. Pelléas semble être le seul à ne pas s'ennuyer à mourir dans ce château au pied duquel les paysans viennent mourir. Geneviève, leur mère à tous les deux, est aussi une étrangère qui s'est habitué à ne pas voir le soleil bien souvent, à cette obscurité, à cette violence de la Terre et de la Mer. Elle voit donc dans Mélisande une sœur, une descendante qu’elle peut préparer.

 

Ainsi, Golaud est superbe dans ce rôle d'Abel, le mauvais frère calculateur, qui renie presque son fils, tue son frère, par amour pour Mélisande. Dans la première scène, il semble attachant, comme dans la dernière, où l'émotion est peut être la plus forte. Il ne sait juste pas comment faire, il est rongé par le doute. Laurent Alvaro a les capacités de tenir superbement ce rôle, c'est-à-dire comme une sorte de loser déprimé qui ne sait faire que le mal. Arkel est également superbe, un de ces rôles patriarcales, de roi, de spectre, mais qui ici à l'inverse des Godounov et autres, est pourtant bienveillant. Il semble donc presque s'excuser de vivre encore et entoure ce qui reste de sa famille de ses conseils. Je regrette de ne pas entendre plus Sylvie Brunet en Geneviève, qui a donné de beaux moments.

 

Du couple principal, je retiens surtout Karen Vourc’h en Mélisande, qui réussit à paraitre telle que j'imaginais le rôle, une femme moderne, rousse, les longs cheveux. Elle est le reflet du spectateur dans la pièce, elle se sent aussi perdue et dérangée que nous dans cette atmosphère lugubre et fermée. Le Pelléas de Philip Addis a notamment le mérite de paraitre vraisemblable, un jeune premier heureux (ou au moins plus heureux que la moyenne de la population d'Allomond), amoureux et naturel. Sa voix de ténor a les variations et la couleur nécessaires pour nous émouvoir. Si je n’avais pas été aussi fatigué, j’aurais bien fondu en larmes.

 

Braunschweig nous offre une mise en scène sobre, qui implante l'œuvre dans ce qu'on attend tout à fait d'elle. Cette pièce qui me paraissait un peu vieillie gagne ici en modernité, sans choquer, tant cela parait évident. Des habits simples pour chacun, un décor qui oscille entre le huis clos du château avec ses stores qui s'ouvrent parfois timidement. La lumière entre de temps à autres suivant les stagnations dramatiques. Sinon, en dehors, les scènes se situent sur un plateau dangereusement en pente, avec tantôt une fontaine miraculeuse qui a perdu ses pouvoirs, tantôt un phare qui rappelle la falaise. Tout y est simple (et diablement plus sobre que La Fanciulla le soir précédent à Bastille) et bien efficace, on ne s'insurge pas et on ne s'endort pas. Seule la mélodie nous porte parfois dans l'enchantement d'Allomond, monde qui, comme celui de Parsifal, semble voué à la mort et à la famine, en attendant un chevalier qui, ici, n'arrivera sans doute jamais.

Pelléas et Mélisande

Madame Butterfly: Wilson et Vassileva

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12 mars, Opéra Bastille

 

L'oeuvre en elle-même vaut le détour mais il faut avouer qu'elle reste dans l'ensemble plutôt soporifique, d'où la nécessité d'avoir une mise en scène irréprochable qui puisse rendre le spectacle attirant. Bob Wilson, décidément bien présent cette saison, revient avec cette production de 1993, que j'ai enfin réussi à voir. À n'en pas douter un véritable succès, qui survit à travers le temps.

 

Wilson nous offre cette esthétique qui lui est si particulière, de la lumière au costume et maquillage. Ici, comme dans son Einstein, chaque geste est précis et étudié pour sa finalité. La scène est un jardin japonais au cours duquel les destins se font et se défont le long du chemin pour s'éterniser dans le jardin. Le thème japonais ne sombre jamais dans le cliché. La sobriété reflète la partition, tout y est droit et clair. La robe de Mrs Pinkerton n'est pas sans rappeler la robe élégante de Signes de Carolyn Carlson: statique, raffinée, lente. Elle arrive en entrant et sortant de la scène, comme si elle ne dépendait vraiment pas de cette histoire et de ce monde. Wilson choisit de ne pas nous montrer la scène du suicide, qui salirait presque le travail esthétique de l'ensemble.

 

À l'inverse de ses partitions plus 'complètes', Butterfly reste sur une même longueur d'onde d'ensemble. Je retrouve presque l'idée de symphonie continue que j'avais vu dans La Dame de pique de Tchaïkovski, avec néanmoins une grande modernité, percussions à l'appui. Les moments de joie sentent eux mêmes la nostalgie d'un bonheur imaginé que Puccini n'a pas souhaité retranscrire. La direction de Callegari n'est pas inoubliable mais suffisamment correcte et pathétique pour mettre en valeur les chanteurs.

 

Svetla Vassileva nous sert une Butterfly superbe qui réussit à m'émouvoir réellement, sans m'endormir. Pinkerton, représentant de l'américain pragmatique et consommateur, se métamorphose un peu en s'approchant de Cio Cio San et de leur enfant, mais finit par lâchement s'échapper. Illincaï n'est pas tout à fait convaincant et s'efface devant Vassileva et les autres hommes. Presque un pantin de ce qu'il représente. Le Goro de Carlo Bosi est trop peu présent pour réellement statuer, il délègue rapidement son rôle paternaliste au consul. Viviani y est très bon. Florian Sempey complète joliment ce trio d'hommes. Enfin, Cornelia Oncioui est très intéressante en Suzuki, un rôle de ‘soubrette’ qui prend ici une toute autre intensité.

Madame Butterfly: Wilson et Vassileva

Platée par Carsen et les Arts Florissants

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17 mar

 

2013 rimait avec Verdi et Wagner, 2014 rime évidemment avec Rameau. L’Opéra-Comique, plus que jamais attaché à l’histoire de la musique notamment ancienne, présentait donc une période Rameau.

J’ai ainsi pu assister à la pré-générale de Platée. La production est en collaboration avec le Theater an der Wien, sous la direction de William Christie qui a malheureusement dû déléguer le bâton à son adjoint Paul Agnew. Les Arts Florissants confirment leur talent sur la scène baroque internationale, tout y est très finement analysé et joué. Agnew, dont c’était une des premières séries d’opéra mis en scène, est attentionné et rassemble toute l’énergie pour un résultat gracieux et énergique.

La mise en scène de Carsen ne souhaite néanmoins pas mettre à l’honneur le baroque de l’œuvre. A l’opposé d’Ivan Alexandre et son Hippolyte et Aricie de Garnier qui soulignait et nous exposait du baroque authentique, le travail de Carsen, qui demande une attention quasi-totale au jeu de scène, empêche presque de savourer intégralement la musique. Seule les scènes de danse (bien ennuyantes) sont une excuse pour regarder le ballet des violons.

Le parti pris est, comme souvent chez Carsen, très intelligent, efficace et distrayant. Jupiter le playboy est ici Karl Lagerfeld en cherche d’une nouvelle égérie, rendant ainsi jalouse Junon / Coco Chanel. Mercure son fidèle acolyte est donc un agent de relation public. On voit passer une détestable Anna Wintour qui s’éloigne apeuré de l’horrible Platée. Ce nouveau cadre entoure très bien la trame narrative et on passe vraiment un bon moment. On retrouve quelques traces de Carsen déjà vues : la scène du défilé rappelle directement son exposition Impressionnisme et la mode, la dernière scène rappelle le début de sa Traviata de Venise. Mais après tout, ce n’est pas une honte, et cela contribue à l’efficacité du spectacle.

Concernant les chanteurs, j’ai été un peu déçu par Platée (Marcel Beekman), fort acteur mais trop peu musicien et sensible. La Folie (Simone Kermes) souffre d’être la seule non francophone de l’ensemble, mais cela lui donne finalement un caractère effectivement supra naturel au milieu des autres. Emilie Renard est adorable en Junon/Coco, mais son rôle est vraisemblablement trop court pour qu’on en profite tout à fait. Les palmes reviennent au Jupiter d’Edwin Crossley-Mercer, qui conjugue un talent d’acteur génial avec voix stable et forte, et au Mercure de Marc Mauillon, qui semble gérer la pièce dramatiquement et nous comble musicalement.

 

Disponible bientôt sur CultureBox

Platée par Carsen et les Arts Florissants

Danse en mars 2014

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La danse a été très diversifiée en mars, de la recréation classique aux projets contemporains de nouvelles compagnies.

L’Opéra de Paris a fini une période de flux tendus entre Onéguine et le programme Cullberg/De Mille. Ce dernier diptyque a décidément été très intéressant, surpassant la simple notion d’œuvres muséales, comme je l’avais pensé lors de ma première représentation. Je reste convaincu que le couple Bullion/Abbagnato est le meilleur pour exprimer les tensions de Mademoiselle Julie (j’admets ne pas avoir réussi à voir Grinsztajn/Bézard). Les personnalités des danseurs s’accordent parfaitement avec celles des personnages.

Ce fut un plaisir de voir Nicolas Le Riche pour sa dernière représentation à Garnier avant ses adieux. S’il donne une interprétation intéressante et explosive de Jean, j’ai trouvé que Dupont restait trop dans la retenue pour nous donner une Julie tout à fait convaincante. L’image qui me restera le plus de ce ballet est à n’en pas douter Yann Saïz, moustachu et vêtu d’un costume fuschia, en fiancée. Un rôle court et amusant que le danseur a relevé avec beaucoup de talents.

Fall River Legend est une œuvre très intéressante mais au bout de la troisième fois je me lasse un peu. A l’inverse de quelques autres bloggueurs, j’ai trouvé Pujol la plus réussie en Accusée, son jeu d’actrice est parfaitement en adéquation avec l’expressivité que demande le rôle. Le décalage avec la jeunesse de Raveau rend la pièce encore plus intéressante. Le couple Renavand/Chaillet m’a quand même laissé une bonne impression (surtout vu de si près), la complicité entre ses danseurs a bien servi dans les moments de couple.

J’ai continué mon chemin dans la danse moderne en allant voir les pièces contemporaines du Los Angeles Dance Project de Benjamin Millepied. Si la précédente édition m’avait laissé une impression moyenne, je suis sorti plutôt content de cette soirée au Châtelet. Les danseurs sont décidément d’une technique et d’une plastique idéale pour ce genre de répertoire ; ils semblent si heureux d’être là.

Mon premier replacement m’a écrasé les jambes et donc je n’ai pas trop pu regarder le Gat, mais la chorégraphie ne m’a pas tout à fait parlé. J’en ai vu un, je suis donc prêt à en aborder d'autres. La pièce du japonais Umeda (Peripheral Stream) jouait sur les stroboscopes du fond, chaque danseur semblait dépendre d’une fréquence de lumière et de son, pour un résultat certes épileptique mais très intéressant et électrisant. Je reverrai cette pièce avec plaisir.

J’ai regretté que la pièce de Justin Peck soit si peu originale. On aurait cru un remake 2014 de certaines chorégraphies de Robbins, West Side Story style. Pas trop de début ni de fin, des applaudissements timides arrivent entre chaque morceau, avant que l’on comprenne réellement que c’est fini en regardant notre montre. Un peu léger, heureusement que les interprètes sont si sympathiques. Les américains semblent beaucoup parler de ce jeune prodige du NYCB, restons donc à l’écoute.

Je me suis finalement réconcilié avec Millepied. Sa pièce de l’année dernière m’avait laissé une bien piètre première impression, et c’est sa pièce Closer (2006) qui m’a le plus plu dans cette soirée. Rien d’innovant, on sentait bien l’inspiration de Preljocaj (Le Parc surtout), mais la musique de Philip Glass et les danseurs ont réussi à me convaincre. On frissonne même un peu.

J’ai testé une nouveauté en fin de mois : la retransmission live depuis le Bolchoï (via le service de Pathé Live) d’un ballet. Avec une absence de ballets purement classiques à Paris en cette fin d’année, c’est la solution la moins couteuse pour en voir (les billets d’Eurostar reviennent finalement assez chers). La recréation de Marco Spada de Pierre Lacotte et son entrée au répertoire par le Bolchoï la saison dernière avait reçu de bons échos dans les médias. C’est le style français comme Lacotte aime et sait le défendre et comme le Bolchoï sait le danser. Seule la compagnie moscovite est capable de faire danser cinq (voire six) premiers solistes pendant trois heures sans que l’on puisse voir de signes de fatigue. La petite batterie est respectée, le jeu d’acteurs important et la virtuosité éclatante.

Hallberg est le maître de ce spectacle, naviguant à travers la scène et les pas de deux avec un sourire malicieux et amusé, et une aisance insolente. Obraztsova assure une contrepartie bien plus délicate, toute en finesse directement importée du Mariinsky. Smirnova, la rising star moscovite, s’impose effectivement comme une grande ballerine, dans l’interprétation comme dans la technique. Un trio de tête auquel se rajoute les différents mariés. L’histoire est moins complexe que Paquita (qui a réellement compris tout Paquita sur scène ?), mais tout aussi improbable. J’ai l’impression de voir un mélange entre Les Brigands d’Offenbach et La Fille du Régiment de Donizetti. Un délicieux et long spectacle dont on sort avec le sourire.

Le mois avait commencé par un autre numéro de virtuosité : le gala en hommage à Manuel Legris. Une sympathique soirée, malheureusement avec un public bien trop clairsemé. Attention néanmoins aux malédictions, un hommage alors que la personne est encore en vie peut porter malheur. Rassurez-vous, le directeur du Staatsballett de Vienne est bien en forme. Si la chorégraphie de Sylvia m’a bien ennuyé (les costumes viennent-ils de Une Sorte de… d’Ek ?), je l’ai trouvé remarquable dans Le Parc (avec une Aurélie Dupont qui se laisse enfin aller) et drôle et efficace dans la super Chauve Souris de Petit.

Il y chaperonnait d’ailleurs sa star Olga Esina, déjà remarquée lors de la dernière tournée du ballet aux Etés de la danse. Une bien belle danseuse aux jambes infinissables qui se glisse dans la plupart des rôles. Je passe sur son Lac, dont je me passe bien en gala, mais son Anna Karénine m’a bien donné envie de voir le ballet.

Les moscovites m’ont bien plu avec leur classiques Belle au Bois Dormant et Fille du Pharaon, toujours un plaisir de voir leur finesse et rapidité de jeu, Krysanoba et Chudin ont bien représenté la danse russe ce soir là. Tout comme les danseurs de Stuttgart (Eichwald et Vogel), si leur Manon ne m’a pas laissé de souvenir poignant, j’ai adoré leur Mona Lisa, du Forsythe réactualisé dont je garde un excellent souvenir !

J’ai trouvé le ballet de Paris un peu plus faible, Donizetti Pas de Deux n’est pas exceptionnelle et le solo de la Belle ne rend pas aussi bien quand il n’est pas inséré dans le ballet. Heureusement, la technique et les sourires de Giezendanner et Heymann nous empêchent de nous ennuyer !

Les stars de la soirée ont été sans aucun doute Nuñez et Soares. Leur Don Quichotte a commencé par montrer leurs capacités techniques, leur Winter Dreams leur capacité à émouvoir, même en peu de temps. Elle est décidément une superbe ballerine. Je trouve également que Soares a une certaine présence sur scène particulière, bien différente des autres danseurs de la soirée : il est terrien, attentionné, un peu brut.

Le mois de danse s’est fini par une très sympathique rencontre avec Isabelle Ciaravola à l’occasion d’une conclusion sur sa carrière officielle à l’Opéra de Paris. Enseignements en Corse et ailleurs (Pologne, Lettonie, Japon…), tournées avec Nicolas Le Riche, spectacles, la plus jeune ‘retraitée’ de Garnier semble tout à fait sereine pour son avenir. Je la retrouverai avec plaisir à Amiens avec Nicolas Le Riche.

Danse en mars 2014

Tristan et Isolde (Viola, Jordan, Urmana, Smith)

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Je me permets de parler de ce Tristan même si je n'en ai vu que la générale : j'ai trouvé que les prestations des chanteurs étaient suffisamment bonnes pour que l'on considère que c'était une représentation en bonne et due forme.

 

J'attendais le retour de Wagner avec impatience à l'Opéra surtout depuis la noyade Krämer et le succès Carsen. On m'avait parlé de cette production de Tristan comme emblématique de l'époque Mortier, de la mise en scène de Peter Sellars comme réellement mythique. Je vous avoue que je n'en ai pas trouvé grand chose et si ce n'avait été pour la distribution et l'œuvre en elle-même, je me serai bien ennuyé.

 

Comme seule mise en scène, un espace noir, des habits noirs et une plateforme noire qui bouge suivant les actes. Et derrière, sur un écran, des vidéos projetées de Bill Viola. Je ne suis pas un grand fan de cinéma et de vidéo et ai donc eu un mal fou à apprécier ces vidéos. Certes en avançant dans les actes je les ai trouvées de plus en plus intéressantes.

 

Dans le premier acte, une vidéo qui n'en finit plus où l'on voit un homme et une femme se plonger la tête dans des bassines d'eau. Dans le deuxième, un couple sur la plage qui s'enfonce dans l'eau. Enfin, dans le dernier, un homme qui plonge et que l'on voit bouger dans l'eau. Il faut avouer que le rythme des vidéos et les idées qu’elles transmettent ne s’apparentent pas trop mal au rythme de l’opéra.

 

Que Bill Viola attire une certaine attention avec sa rétrospective au Grand Palais, certes, mais je n'ai pas réellement compris l'engouement pour ses vidéos dans ce spectacle. J'ai du passer à côté de quelque chose, mais même après 5h30 de spectacle je n'avais toujours pas compris.

 

Le plus horripilant est qu'il n'y a finalement pas d'autres aspects de mise en scène. Aucune direction d'acteurs pour des chanteurs totalement statiques. Certes Sellars place Marke, Brangäne, certains autres personnages mineurs et les chœurs dans des espaces différents de Bastille (galeries, parterre, couloirs....), ce qui permet un certain rythme, mais rien de plus. Ainsi lorsque Kurwenal enfonce son couteau dans Tristan, c'est presque drôle tant il y a peu de conviction dramaturgique.

 

Surtout que l'œuvre est un peu spéciale, il ne se passe pas grand chose, à l'inverse de la plupart des Wagner où l'action est plus importante. La musique est difficile, longue, lente, et une mise en scène plus intéressante peut aider à stimuler un public pas totalement mélomane. La partition reste une des plus émouvantes et sensibles que le maître de Bayreuth ait pu écrire et me rappelle la fin de Siegfried, opéra contemporain de ce Tristan.

 

La direction de Jordan est plutôt bien réussie, ce style lent lui convient bien, on étire les notes et les phrases pour les accentuer. Dans les voix, j'applaudis chaudement la performance de Janina Baechle en Brängane, une voix superbe et toujours juste qui remplit Bastille. Dommage que ce rôle soit si court, elle réveillait l'ensemble de ses parties. Franz-Josef Selig est un superbe Marke, dès que je vois ce chanteur il me plait.

 

Violeta Urmana, que j'avais déjà entendue dans ce rôle à Pleyel, s'améliore au dernier acte après des essais plutôt étonnants au deuxième acte et un premier acte où je l'ai également trouvée correcte. Malgré sa puissance, elle a du mal à réellement m'émouvoir, elle n'a pas suffisamment de sensibilité là où Robert Dean Smith s'avoue pourtant un Tristan vraisemblable et sensible.

Tristan et Isolde (Viola, Jordan, Urmana, Smith)
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